Retour – décevant – sur l’expérience de Milgram

Difficile, lorsqu’on s’intéresse à la psychologie, de passer à côté de la fameuse expérience de Stanley Milgram, un véritable classique. Rappelons brièvement son déroulement : un chercheur expliquait aux participants qu’il s’agissait d’une étude sur l’apprentissage. Une personne assise sur une chaise et bardée d’électrodes devait répondre à une série de questions ; chaque fois qu’elle se trompait, la personne testée (qui ignorait qu’elle était le véritable « sujet » de l’expérience) devait appuyer sur un bouton lui envoyant un choc électrique, qui devenait de plus en plus puissant au fur et à mesure du déroulement de la séance. Il s’agissait bien sûr d’une mise en scène et c’était un acteur qui simulait la douleur due aux électrochocs. En réalité, l’éducation n’était pas le sujet de la recherche, c’était l’obéissance qui était testée.

La conclusion de Milgram est connue et fait maintenant partie de la culture générale en psychologie : les gens sous l’influence d’une autorité – en l’occurrence celle du « chercheur » – ont tendance à obéir aveuglément. Cela explique les phénomènes d’oppression de masse ou les camps de concentration…
Dans le New Scientist, la psychologue et écrivain Gina Perry s’est penchée à nouveau sur cette expérience, a interrogé certain des participants et consulté les archives de Milgram et ce qu’elle a découvert ne l’a guère convaincu : « J’ai été frappé par la fragilité des affirmations que le monde a acceptées comme étant des faits », écrit-elle. Elle a d’ailleurs publié un livre sur ses découvertes, Behind the shock Machine, the untold story of the notorious Milgram psychology experiments.

Selon Perry, Milgram a été plutôt cavalier avec les protocoles expérimentaux, les changeant parfois en cours de route.

Par exemple, au départ, il était entendu qu’un sujet refusant quatre fois d’appliquer des chocs électriques à la victime était considéré comme « résistant » et l’expérience était arrêtée. Cette condition a ensuite été abandonnée, et une fois, une femme a dû subir 26 fois l’insistance du chercheur avant de finalement céder. Une autre femme avait refusé de continuer et éteint la pseudo-machine censée envoyer les chocs. Mais le « chercheur » a rallumé l’appareil, insistant pour qu’elle continue, ce qu’elle a fini par faire. Selon Gina Perry : « en écoutant les bandes enregistrées, on pourrait croire qu’il s’agissait d’une recherche sur l’intimidation et la coercition, pas sur l’obéissance ».

Autre problème, les participants étaient-ils aussi naïfs que Milgram le supposait ? Certains ne se doutaient-ils pas qu’il s’agissait d’une simple mise en scène ?

En fait, Milgram l’a remarqué lui même : il a avoué que 56 % seulement des sujets croyaient à l’authenticité de l’opération. Et dans une étude non publiée, il reconnaît que les participants qui doutaient de la réalité de l’expérience étaient ceux qui avaient tendance à accepter de distribuer le plus facilement les chocs électriques.

Au final, que pensait Milgram lui-même de sa fameuse expérience ? Dans une note non publiée retrouvée dans ses archives, il se demande si celle-ci était : « de la science significative ou simplement du théâtre efficace… Je suis enclin à accepter cette dernière interprétation « .

Depuis quelque temps, les sciences sociales subissent une crise de crédibilité : expériences mal conçues, jamais répliquées… L’expérience de Milgram n’est pas le premier grand classique à être mis en doute. Sera-t-il le dernier ?

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