La téléweb de demain – Interview – Jean-Jacques Strauss, Canalweb –

« Nous allons nous retrouver dans une situation où l’on pourra se dire : J’ai tout chez moi et moi tout seul ».

Comment imaginez vous la téléweb dans cinq ans ?

D’abord il y aura un parc d’équipement beaucoup plus important. Imaginons que 70 à 80 % des foyers soient enfin connectés. Les questions de hauts débits seront de vieux souvenirs, des questions qu’on ne se posera plus. On aura un seul écran à partir duquel on pourra tout faire. Equipé d’une télécommande, on pourra naviguer de TF1 à Canalweb, choisir son émission thématique, rebondir sur ce qu’on voit en cherchant un site sur le thème, tout en envoyant un email à un ami, concerné par le sujet. Evidemment, il y aura plein d’écrans dans les maisons, mais chaque écran sera à la fois une télé, un écran d’ordinateur, une radio… L’écran familial, où toute la famille se réunira regarder un film, mais également un écran par passion. Les parents regarderont un film de cinéma, le petit dernier jouera en ligne, le grand, qui entre à Polythechnique, suivra une partie d’échec de Kasparov tout en se mesurant à lui et la jeune fille s’entraînera dans un cours de salsa cubaine…

Il y aura de la place à la fois pour la télé généraliste, classique, fédératrice et des émissions thématiques que chacun choisira selon ces envies. Du prêt-à-porter et du sur mesure. Dans cinq ans, à Canal Web, on peut s’imaginer qu’il y aura plusieurs milliers de thématiques et que tout le monde y trouvera ce qu’il veut.

Et qu’adviendra-t-il de l’interactivité ?

L’interactivité est la grosse différence entre la télévision classique et la télévision sur internet. Et dans cinq ans, cette interactivité sera encore plus performante. C’est l’anti-passivité. On n’est plus un légume devant un écran. Si on a envie de gueuler, de s’exprimer, de dire qu’on est d’accord ou pas avec ce qui est dit ou montré, ou de changer la fin du film parce qu’elle est trop triste, on peut le faire.

Nous sommes en pleine effervescence cannoise et le cinéma se préoccupe de plus en plus des questions de nouvelles technologie. Comment voyez-vous l’avenir dans ce domaine ?

Le problème des droits ne sera pas simple à gérer, mais cela laissera le cinéma du monde entier à portée de main. La vidéo à la demande est en gros développement, et si j’étais propriétaire de vidéo club, je me ferai beaucoup de souci. C’est la fin des k7 VHS. On pourra demander de voir n’importe quel film, dans la langue que l’on veut, à la demande et sans bouger de chez soi. Evidemment, ces services seront payants, mais d’ici 5 ans, le " tout gratuit » sur l’Internet sera terminé et les services payants nombreux.

Toutes ces " prévisions » peuvent finalement être très inquiétantes. Le danger n’est-il pas de voir les gens ne plus bouger de chez eux puisqu’ils auront tout à portée de main ?

J’espère que les gens continueront à aller au cinéma, dans les salles obscures, continueront à aller au théâtre. Nous allons nous retrouver dans une situation où l’on pourra se dire : " J’ai tout chez moi et moi tout seul. » On pourra se faire ces propres programmes, tout en faisant ses courses, en commandant un bouquin… le tout livré chez vous. Mais je pense que du coup nous allons avoir plus envie de nous retrouver. Parce que cette situation peut se voir aussi dans l’optique : " on a tout et on ne rate rien. » L’internet permet de stocker les choses, ne l’oublions pas. On n’aura plus besoin d’être devant le poste à 20h50 pour ne pas rater le film, le match ou le reportage… Tout ce système d’archives donne finalement plus de liberté. Nous aurons tous la possibilité de fabriquer notre propre programme de télé mais également celle de décider d’aller au théâtre ou de sortir avec des amis sans se dire que l’on va rater le match… ou qu’il faut remplir le frigo. Comme en plus on pourra tout lancer de son téléphone portable… Sans compter les 35 heures, le temps libre… Finalement tout cela va peut être nous laisser plus de temps pour nous consacrer aux autres. D’autant plus que la technologie sera simple et que tout passera par les airs.

Les questions et les enjeux me semblent se placer du point de vue de la Cité, de la politique et de la citoyenneté.
A savoir : comment cet outil qui rassemble tout à la fois, de l’internet à la télévision à la radio, au commerce, à la communication entre les gens, sera intégré par les politiques et dans la gestion des sociétés du monde entier. Avec cet outil, on peut vraiment devenir le maître du monde, et c’est là qu’est le danger.

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