Michel Parent : « Les voitures entièrement automatiques ? Vous en verrez dans 5 ans. »

Des voitures qui conduisent toutes seules, des autoroutes qui ne sont plus que de minces bandes de bitume sur lesquelles circulent des trains de voitures à égale distance les unes des autres. Ces idées, Michel Parent, responsable du programme  » La route automatisée « , à l’INRIA, les a en tête depuis 1991. Et il ne s’est pas contenté de les avoir. Aujourd’hui, les expérimentations de la Cycab sont concluantes. Le futur transport public est en bonne voie de conception et vient de recevoir un grand coup de pouce de la communauté européenne qui a désigné l’INRIA responsable du programme CyberCab qui débutera en juin prochain. Rencontre avec un chercheur qui rêve de voir les villes libérées de la  » ferraille  » des voitures d’aujourd’hui.

Comment voyez-vous la voiture de demain ?

Il existe deux approches de la voiture de demain. La première, évolutive, part de l’existant. Pour la voiture moderne actuelle, l’électronique, déjà très présente, apporte une amélioration continue, sur la sécurité en particulier. Le conducteur n’a déjà plus tout à fait la main. Quand on appuie sur le frein, il y a une multitude de petits contrôles qui communiquent entre eux pour vérifier qu’une roue ne se bloque pas : c’est l’ABS. Mais on peut s’arranger également pour que la voiture ne fasse pas un tête à queue : la voiture freine d’un côté et pas de l’autre si elle détecte qu’elle amorce un mouvement bizarre. Aujourd’hui on parvient aussi à contrôler la direction. Si vous ne vous maintenez pas sur la route, à cause d’un coup de vent intempestif, un moteur électrique reprend le contrôle de la direction et vous remet dans le droit chemin. Petit à petit, l’électronique prend le contrôle.

Quelle est la seconde approche ?

Elle consiste à inventer une nouvelle voiture, complètement automatique. Ce ne sera pas la voiture avec laquelle on partira en vacances, mais une voiture réservée à la circulation dans les centres urbains. Nous travaillons déjà sur ce type de projet avec les Japonais. Le grand programme européen CyberCar, qui va démarrer le 1er juin 2001, dirigé par l’INRIA, est destiné à développer la partie technique de ces véhicules. Nous avons, pour cela, monté un consortium avec 17 partenaires au niveau européen, pour moitié des industriels, pour l’autre des centres de recherche. Un certain nombre d’industriels fabriquent déjà ce type de « voiture » et proposent des véhicules automatiques pour le transport urbain de personnes, voire même de marchandises. Il s’agit bien de nouveaux véhicules et non pas de voitures améliorées.

Mais l’idée n’est pas nouvelle ?

Non, c’est un concept sur lequel je travaille depuis 1991. A l’époque, nous avions lancé un programme qui s’appelait DEDALS : Développement d’un engin de déplacement automatique en libre service.
L’idée est de concevoir un taxi automatique. Vous appelez avec votre web phone et le véhicule arrive, dans la minute, devant votre porte, là où vous êtes, là où se trouve votre téléphone, votre écran. Vous montez dedans, vous donnez votre destination, et c’est parti. A l’intérieur, bien entendu, vous avez accès au web pour savoir où se trouve un restaurant, quand a lieu une séance de cinéma, etc.
Il s’agit de voitures électriques, des voitures urbaines, qui ne vont pas vite et consomment à peu près quatre fois moins qu’une voiture traditionnelle. Elles sont plus légères, équipées de moteurs plus adaptés et électriques. De toute façon la voiture traditionnelle est déjà en train de devenir électrique au niveau de sa propulsion. Même si subsiste encore le problème de la génération et du stockage de l’énergie.

Donc vous nous préparez un Paris sans embouteillage et sans pollution  ?

Et surtout sans voitures qui occupent tout l’espace public. Regardez tout cet espace occupé par de la ferraille. Quand vous circulez dans les petites rues du Marais, vous avez juste un mètre pour passer et encore. Et je ne parle même pas de circuler avec une poussette ! C’est lamentable.
Demain, les voitures privées, si elles existent encore, resteront à l’extérieur des villes, dans des parkings. Pour circuler vous aurez ces petites voitures urbaines. Et ce n’est pas pour dans 30 ans ! D’ici 5 ans, vous en verrez dans les villes.

Quelle place occupe l’internet dans tout ça ? Vous attendez l’arrivée de l’UMTS… s’il arrive ?

Pour nos expérimentations à l’INRIA, nous bénéficions d’un réseau hertzien à 10 mégabits. Nous sommes donc déjà au-delà de l’UMTS. Nous en avons besoin pour faire transiter des images, surveiller nos véhicules, reprendre le contrôle quand les automatismes sont défaillants ou télécommander les véhicules à partir d’un poste central. Et si quelqu’un a besoin de discuter avec un opérateur, c’est mieux s’il le voit, donc il y a un écran dans le véhicule et des caméras pour pouvoir dialoguer.
Et puis, l’internet mobile sera important pour avoir accès à une information de déplacement. Pourquoi se déplace-t-on ? Où se déplace-t-on ? Que va-t-on chercher ? Par quels moyens : en voiture ou plutôt à pied ? Par où est-ce le mieux de passer ? Le coût ? Où est qui ?
Le grand défaut de la voiture privée c’est qu’elle s’impose à vous : une fois que vous avez commencé votre déplacement avec votre voiture privée, vous êtes coincés. On n’a pas de visibilité  : on ne sait pas à l’avance où on va pouvoir la garer… Mais si ce n’est plus votre voiture, vous pouvez la déplacer n’importe où puis la laisser.

Cela représente un gain de temps et de tranquillité.

Oui, une très grande tranquillité d’esprit. Vous savez quand vous partez, à quelle heure vous arrivez, sans avoir le souci de vous garer, de vous perdre en chemin…

Et dans la voiture, qu’est ce que l’internet à haut débit va permettre ? Que les enfants puissent voir un film tranquillement pendant un long trajet ?

Justement, nous travaillons là dessus avec nos amis du projet Hypercom. Lorsque vous êtes sur l’autoroute, vous arrivez à un péage, ou à une station de repos et vous allez télécharger, par le réseau haut débit local, (on n’a pas de réseaux haut débit qui peuvent couvrir toute la France), à la volée, tel film ou tel jeu. Bien entendu vous êtes débité sur votre carte bancaire ou sur votre facture de téléphone, et vous téléchargez dans la voiture, au passage, le guide touristique de la région. Ou, sans que vous en rendiez compte, votre voiture télécharge des informations sur l’état de la chaussée, la météo et régule sa vitesse en fonction. Et le pneu va dialoguer avec la voiture, etc. Tout ça existe déjà.

Vous dirigez le programme La route automatisée, qu’est ce que ça représente ?

C’est un consortium français de recherche, que nous avons monté avec nos collègues de l’INRETS, du laboratoire central des Ponts et Chaussées et trois écoles d’ingénieurs : Les Mines, les Ponts et Sup Télécom qui couvrent les trois volets de la route automatisée : l’Ecole Centrale des Mines de Paris travaille sur les véhicules, les Ponts et Chaussées sur l’infrastructure et les Sup Télécom sur …les télécoms et en particulier Internet.
Nous travaillons surtout sur l’évolution des transports routiers. Une évolution dont le rythme s’accélère avec l’arrivée de l’électronique aussi bien dans les véhicules, que dans les infrastructures. C’est la grande révolution du XXIème siècle. Nous sommes restés pratiquement 100 ans sans faire bouger la voiture. La seule différence aujourd’hui, finalement, c’est qu’il y en a beaucoup plus en circulation ! Et ce qui n’a surtout pas changé c’est la façon dont on se sert d’une voiture, avec pour seul maître à bord, un conducteur, capable de faire toutes les bêtises qu’il veut : se garer n’importe où, prendre les sens interdits. Les seuls contrôles sont la peur du gendarme, la régulation par les embouteillages ou les impossibilités de stationner. Sinon, c’est tellement bien la voiture que tout le monde voudrait s’en servir et généralement en même temps…
Ce que nous allons voir arriver ce sont des aides à la conduite pour améliorer le confort, la sécurité et l’efficacité du système de transport. Pour cela il va falloir contrôler l’usage de la voiture de manière globale. Aujourd’hui, toutes les grandes métropoles travaillent sur la régulation de la demande par le péage. On va payer pour entrer à certaines heures dans certains endroits, cela va se faire automatiquement bien entendu par les réseaux hertziens et de façon beaucoup plus sophistiquée que le télépéage actuel : vous aurez des informations vous disant qu’à telle heure ça coûte tant pour entrer dans Paris et que si vous attendez une demi-heure de plus ça vous coûtera moins, etc. Et pareil bien entendu pour les parkings. Mais il ne suffit pas de réguler la demande. Il faut aussi réguler le véhicule lui-même pour qu’il soit plus efficace. Car à l’heure actuelle, l’usage de l’espace n’est pas efficace : sur une voie de route à grande circulation vous faites passer entre 2000 et 2200 voitures à l’heure. Passé ce stade, c’est le bouchon et le taux de passage s’effondre à 1000-1500 véhicules à l’heure. Ce qui serait bien c’est de rester à 2000-2200 mais on ne sait pas faire ça de manière naturelle, avec des conducteurs humains. En revanche on sait très bien le faire avec des automatismes qui régulent les distances entre les véhicules.


Cet automatisme de régulation des distances a déjà été expérimenté. Comment cela fonctionne-il concrètement ? J’arrive sur l’autoroute, que se passe-t-il ? Ma voiture se cale sur les voitures environnantes ?

Exactement. Ca fonctionne avec des radars qui mesurent la distance et la vitesse relative entre les véhicules. Cela a déjà été démontré il y a une dizaine d’années, et maintenant ça commence à devenir disponible sur certains véhicules haut de gamme. Enfin très rapidement ce système va se généraliser, tout comme l’ABS s’est généralisé.

Et ces radars ralentissent la voiture ?

Oui, vous lâchez l’accélérateur, le frein, et la voiture régule la vitesse toute seule, grâce aux informations transmises par les radars pour maintenir des distances stables entre les véhicules. C’est ce qu’on appelle l’ACC, l’Automatic Cruise Control, (contrôle de croisière adaptatif) qui ne se contente pas de réguler la vitesse à une valeur constante, mais prend en compte les autres véhicules. Ca existe déjà sur certaines voitures. Ce n’est pas de la science-fiction.

Il faut quand même tenir le volant ?

Oui, il faut encore tenir le volant. Mais le mois dernier, Nissan a annoncé le lancement au Japon de la première voiture avec contrôle latéral  : une voiture équipée d’ACC et de contrôles latéraux. Vous pouvez donc à la fois lâcher le volant et les pédales. On sait relativement bien faire rouler des voitures en tout automatique. La première grande démonstration a été faite en Californie, à San Diego, en 1997. Mais, pour que cela marche, il faut équiper les routes, mettre des systèmes qui permettent aux voitures de bien se guider. On peut le faire avec des caméras en utilisant la route actuelle, mais s’il y a le soleil juste en face, une flaque d’eau qui masque les marques, la voiture risque de partir dans le décor.
Cette route automatisée apporterait une meilleure régulation…
Elle permettrait d’avoir plus de débit sur moins d’espace. Donc une meilleure efficacité de l’infrastructure, plus de sécurité, plus de confort et de certitude sur son temps de trajet. En échange de quoi il va sans doute falloir faire des réservations, comme pour l’avion. En particulier quand il y a beaucoup de demandes. Le 15 juillet, il faudra réserver sa place sur l’autoroute pour descendre dans le Midi.
Et puis on pourra aller beaucoup plus vite. On peut très bien envisager, puisqu’on aura une très grande sûreté de fonctionnement, des autoroutes à 200 km/h, tout le monde à la même vitesse, accrochés virtuellement les uns derrière les autres. Mais toujours avec la possibilité de sortir quand on veut : vous avez programmé votre véhicule pour qu’il aille à Nice. En chemin vous souhaitez faire un arrêt, eh bien vous programmez,  » je veux prendre la prochaine sortie « . Et le système vous redonne le contrôle si vous partez sur des petites routes.
L’autre avantage de ce système est que les voitures, très proches les unes des autres, créent des effets aérodynamiques qui permettent d’économiser de l’ordre de 20 % d’énergie. Et puis surtout on aura des autoroutes qui seront très petites, très étroites. A la limite ce sera juste deux rubans de bitumes sur lesquels rouleront toutes les voitures. Ce ne sera plus du tout ces trouées que sont, à l’heure actuelle, les autoroutes.
Mais tout cela va prendre encore beaucoup de temps, au moins 20 à 30 ans.

Propos recueillis par Cécile Plet

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