Technologies alternatives et hauts débits : une affaire… de modèles d’affaires

Nadine Berezak-Lazarus, DG du cabinet de conseil bmp TC, pose la question des modèles de déploiements alternatifs du haut débit. A l’aide d’exemples concrets (Zamora en Espagne, Wiesbaden en Allemagne, la Vallée de la Doller, la vallée d’Aspe et le pays Chartrain en France, Crieff et Campbeltown en Ecosse) qui couplent les technologies d’accès (Courant porteurs en ligne, Wi-Fi, satellite…), Nadine Berezak-Lazarus démontre que les difficultés rencontrées lors des déploiements peuvent être compensées par l’intelligence de leur mise en place. « Seule une combinaison intelligente de différentes plates-formes technologiques permet de rendre compte des exigences des acteurs télécoms et des utilisateurs finaux. »

Par Nadine Berezak-Lazarus

Le haut débit et les Nouvelles Technologies de l’Information (NTIC) sont reconnus comme un enjeu crucial du marché des télécommunications et de l’aménagement du territoire. Le secteur des NTIC se caractérise notamment par une diversité et une évolution très rapide des techniques, le coût élevé de leur mise en œuvre et des équipements couronnés par une relative incertitude en termes de fiabilité. Ces caractéristiques sont autant de freins objectifs à la prise de décisions de déploiement des réseaux haut débit.

En France certaines technologies sont sorties de l’ombre récemment  : avant tout les technologies des réseaux locaux sans fil (WLAN, dont le représentant le plus connu est Wi-Fi), le satellite et les Courants Porteurs en Ligne (CPL). Ces trois technologies ont été particulièrement mis en avant par le Comité Interministériel de l’Aménagement du Territoire (CIADT : voire http://www.premier-ministre.gouv.fr/fr/p.cfm?ref=37383) du 13 décembre 2002, car « ces technologies alternatives aux réseaux filaires terrestres classiques offrent de nouveaux moyens de démultiplier et de simplifier l’accès à l’internet haut débit, dans des fourchettes de coûts raisonnables, à condition que soient atteintes les économies d’échelle que permet l’adoption de standards pour la production d’équipements en grande série ». Ce CIADT répond à certaines attentes des collectivités locales. Les acteurs des télécoms également – fournisseurs d’accès, opérateurs filaires et mobiles… – analysent avec attention les opportunités qui se présentent avec ces nouvelles technologies.

Mais ces technologies n’ont de sens que si leur déploiement peut s’appuyer sur un modèle économique viable. Les premiers déploiements significatifs enregistrés à l’étranger permettent de tirer des enseignements utiles au marché français.
Jusqu’à récemment, Wi-Fi restait cantonné dans la couverture de hot spots (points d’accès) publics tels que les aéroports, hôtels, palais des congrès… Mais depuis peu, certains acteurs prônent Wi-Fi en tant que plate-forme pour une boucle locale haut débit de masse.

Des premières expériences commerciales en grandeur réelle voient aujourd’hui le jour. La ville de Zamora en Espagne (68 000 habitants) affiche ainsi l’ambition de devenir la première ville connectée à 100 % à l’internet haut débit. La start-up Afitel (http://www.afitel.com), secondée par Intel, y déploie une boucle locale fondée sur les technologies Wi-Fi. Le modèle d’affaires est novateur, car l’offre associe une couverture très dense, un prix accessible à tous et des performances haut débit suffisantes. Promu par le gouvernement local, le réseau déployé à Zamora reste modeste, tant par les débits proposés (qui ne dépasse guère les 2 Mb/s par point d’accès à partager par les utilisateurs) que les tarifs (les utilisateurs finaux paient moins de 10 euros par mois pour un accès illimité). A ce jour, Intel a installé environ 250 antennes, qui cependant ne peuvent desservir plus de 10 utilisateurs chacune. Afitel comptabilise 600 clients, et espère en atteindre 3 000 avant la fin de l’année 2003. Malgré ces résultats modestes, Afitel annonce, avec le soutien d’Intel, vouloir répliquer son offre sur 200 villes, pour un total de 180 000 points d’accès !
Certains fournisseurs de solutions Wi-Fi proposent ainsi des systèmes qui permettraient aux collectivités territoriales ou à des acteurs locaux de déployer une infrastructure de boucle locale Wi-Fi sur un territoire donné. L’expérience de Zamora démontre cependant les limites d’un tel modèle et les embûches d’un déploiement d’envergure de boucle locale.

bmp TC a conduit ces derniers 15 mois divers projets Wi-Fi en Europe avec un potentiel de 400 points d’accès (aussi bien avec des opérateurs pionniers tels que British Telecom qu’avec des gestionnaires d’espaces publics), qui permettent de mieux identifier les caractéristiques très spécifiques du Wi-Fi. Le Wi-Fi ne présente pas les mêmes caractéristiques que l’ADSL par exemple. Les difficultés techniques liées à la propagation du signal, la qualité de service et la saturation des points très denses, sont des freins non négligeables. En outre les considérations opérationnelles (exploitation, monitoring, qualité de service, débit…) alourdissent les coûts et rajoutent des obstacles. La commercialisation du réseau de Zamora a mis les clients à rude épreuve en raison des erreurs et des difficultés de mise en place de l’offre. Certaines autres villes, par exemple Aix la Chapelle (Allemagne), ont rapidement abandonné l’idée d’utiliser seule la plate-forme Wi-Fi pour une boucle locale haut débit. Wiesbaden s’y essaie cependant en déployant un grand nombre de hot spots (http://wlan.placetobee.com).
Seules des implémentations sur des communautés particulièrement homogènes (à qui l’on peut adresser un message cohérent) et/ou à des endroits fortement et durablement fréquentés peuvent permettre d’atteindre une masse critique de clients.

Le projet en Alsace de la Communauté des communes de la Vallée de la Doller et du Soultzbach (http://www.cc-vallee-doller.fr) en est un exemple frappant : la mise en place d’un réseau câblé couvrant la totalité de la population des 17 communes de la Vallée sera finalisée avant l’été. Les 3 500 foyers de la vallée constituent une communauté bien définie et relativement homogène. Alors que l’offre haut débit existe depuis à peine plus d’une année, l’on dénombre à ce jour près d’un demi-millier de connexions. Ce projet d’infrastructures et de NTIC fait de la vallée de la Doller une des zones où la pénétration du haut débit est la plus forte du Grand Est de la France : 12 % des foyers sont ainsi raccordés au haut débit.

C’est donc bien la question de la viabilité des modèles technico-économiques qui se pose. Une des tendances lourdes du marché du haut débit est de combiner diverses technologies afin d’utiliser les atouts des plates-formes techniques et de neutraliser autant faire que possible leurs faiblesses inhérentes. Seule une combinaison intelligente de différentes plates-formes technologiques permet de rendre compte des exigences des acteurs télécoms et des utilisateurs finaux.

Un de ces projets, combinant l’action des pouvoirs publics et d’acteurs privés, est mené par South Scottish Power (SSE). L’électricien local écossais a mis en place sur deux petites agglomérations (Crieff et Campbeltown, 2 100 habitants au total) une expérimentation d’infrastructure qui marie CPL et satellite (http://www.ssetelecom.co.uk). A ce jour environ 50 foyers sont connectés. Les CPL sont la pièce maîtresse du modèle. Afin d’étendre le champ d’action des CPL, SSE utilisera également la moyenne tension comme support. Bientôt la fonction voix sur CPL permettra de compléter l’offre de façon attractive. L’opérateur étudie en ce moment l’intérêt d’un déploiement sur la région, et l’expérimentation est particulièrement suivie par les acteurs et les pouvoirs publics régionaux et nationaux.

D’autres modèles associant CPL et fibre optique, ou encore CPL et DSL, sont commercialisés depuis mi 2001 en Allemagne (Mannheim, ville de 320 000 habitants avec MVV, ou bien EnBW sur la petite ville de Ellwangen, 7 500 habitants), avec des résultats encourageants (près de 5 000 clients connectés à ce jour). C’est ainsi qu’un mix approprié entre les technologies filaires traditionnelles, Wi-Fi, satellite et CPL semble apporter la flexibilité requise et la viabilité à terme du haut débit dans un grand nombre de situations. Les difficultés rencontrées lors des déploiements massifs d’infrastructures haut débit sont multiples, mais peuvent être compensées par une certaine intelligence de mise en place des technologies et par conséquent des services et modèles qui sont véhiculés sur ces plates-formes.

Certains acteurs en France ont bien reconnu les opportunités liées à une approche sous un angle élaboré et spécifique. bmp TC travaille à deux projets qu’elle considère comme exemplaire dans ce domaine : la Régie du Syndicat d’Electricité Intercommunal du Pays Chartrain (RSEIPC) teste les technologies CPL depuis une quinzaine de mois et projette de combiner le satellite (avec l’entreprise Sat-isfaction) et les CPL afin de répondre aux besoins de connexion des communes qu’elle couvre. Le Conseil Régional d’Aquitaine a défini entre autres un projet satellite et CPL (voire Wi-Fi) sur les communes de la haute vallée d’Aspe (Pyrénées Atlantiques), afin de démontrer une solution adaptée à des milieux ruraux et excentrés.

Ces premiers projets et d’autres auront certainement une valeur d’exemple et permettront de tirer les enseignements de modèles de déploiement « intelligents », adaptés aux besoins réels des utilisateurs et aux situations de chaque territoire.

Nadine Berezak-Lazarus, DG du cabinet bmp TC, dirige des projets haut débit en France et à l’international depuis 1993. Pour plus d’informations  : nberezak@bmp-tc.com, tél.  : 0603 459 667

Pour aller plus loin sur les CPL
· Nadine Berezak-Lazarus, « Les CPLs – Courants Porteurs en Ligne : de la prise à l’écran », e-Alsace, janvier 2003 : http://www.e-alsace.net/dn/dn_dossiers/cpl.html
· « Les Courants Porteurs en Ligne : Etats des lieux et premiers retours du marché allemand » – étude de bmp TC pour le CSTI, 25 septembre 2002 (.pdf) : http://www.csti.pm.gouv.fr/elements/etudeCPL1202.pdf
· Interview de Robert Froehlich, EDF R&D « Courants porteurs en ligne : ça fonctionne ! », FING : http://www.fing.org/index.php?num=2191,2

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