Ipv6 : pour quand et pour qui ?

Merci à Patrick Cocquet (6WIND et IPv6TF),
Latif Ladid (IPv6 Forum) et Jacques Prevost (Renater)
pour leurs conseils et leurs corrections.

La nouvelle version du protocole Internet, IPv6, commence son déploiement commercial cette année [1]. On a souvent parlé du très grand nombre d’adresses IP que celle-ci va mettre à la disposition de la communauté des internautes. Elles permettront à chacun, non seulement d’accéder à l’internet comme c’est le cas actuellement (avec nos adresses temporaires ou nos adresses internes invisibles à l’extérieur de nos organismes), mais également d’être joint, ce qui pour beaucoup risque d’être nouveau. En effet, le fait de disposer d’une adresse fixe permet d’être appelé en téléphonie ou en visiophonie sur l’internet, mais permet aussi par exemple de transformer nos machines connectées en serveurs, rendants leurs services et contenus accessibles de n’importe quel point connecté du globe.

Le web a propagé une vision « client-serveur » très différente de l’architecture prévue au départ. L’utilisateur est vu comme un consommateur accédant à quelques serveurs qui eux disposent des précieuses adresses IP fixes. L’IPv6 nous rend plus égaux avec une vision « serveur-serveur » ou – pour utiliser un terme qui s’est propagé dans le monde applicatif – « pair à pair ».

Ces adresses supplémentaires sont également les bienvenues avec l’arrivée des objets intelligents. Ceux-ci (ou plus exactement les micro-contrôleurs qui en sont le cerveau) ont dépassé le nombre d’êtres humains sur cette planète. Mais ils communiquent encore très peu, à quelques exceptions près, entre eux et avec nous.

On connaît moins d’autres innovations importantes de l’IPv6, comme l’autoconfiguration qui rend l’internet plus facile à utiliser. Le branchement des terminaux sur le réseau des réseaux devient plug and play. De plus, de nombreuses options de la version actuelle sont intégrées dans le protocole de base de l’IPv6, elles peuvent être activées pour un réseau particulier (un réseau pour l’éducation et la recherche comme Renater ou bien pour un intranet d’une entreprise). Ce détail peut sembler anodin, mais il ouvre pourtant de grandes perspectives et ne nécessite pas que tous les opérateurs de réseaux se mettent d’accord pour permettre de bénéficier de ces fonctionnalités de bout en bout du réseau des réseaux. Du coup, de nouvelles fonctions vont devenir accessibles au commun des mortels :

  • La mobilité permet de communiquer avec un appareil qui n’est pas toujours situé au même endroit dans le réseau. IPv6 intègre non seulement cette option mais en améliore l’efficacité ;
  • La sécurité également doit exister de bout en bout pour avoir un sens. Aucun tronçon ne doit être oublié. La sécurité est très importante pour les réseaux professionnels, en particulier lorsque l’on accède aux données de l’entreprise sur un extranet. Elle est également fondamentale pour le grand public, dès qu’il s’agit de faire du commerce en ligne par exemple ;
  • Le multicast, en permettant de n’envoyer qu’un seul flux vidéo reçu par tous, évite d’envoyer autant de flux que de destinataires. Il ouvre alors la porte à la diffusion audio et vidéo sur l’internet à grande échelle ;
  • La qualité de service permet une gestion différenciée des flux de données. Le mode actuel de l’internet, en best effort convient bien par exemple au téléchargement de gros fichiers qui doivent « globalement » arriver le plus vite possible. Mais la voix ou la vidéo nécessitent un débit minimum garanti à chaque instant pour éviter les coupures dans le son et l’image. La qualité de service sur IPv6 est encore expérimentale. Il faudra une base installée assez importante et de nouveaux équipements pour tester et valider le protocole à grande échelle.

Serveurs personnels, objets intelligents, diffusion et échanges audio et vidéo à grande échelle, mobilité, commerce sécurisé… De nouveaux usages vont se développer au fur et à mesure qu’IPv6 se mettra en place.
Parmi les premiers domaines où on attend de nouveaux usages sont la maison et la voiture (voir le compte rendu de la première réunion de la Task Force IPv6 française – .doc). A tel point que Mario Tokoro, président du Network &amp ; Software Technology Center de Sony, a annoncé que la société sortirait des produits IPv6 dès l’automne 2003 et qu’en 2005 ce seront l’ensemble des produits Sony qui seront compatibles avec IPv6.

Mais IPv6 arrive également dès à présent dans le monde professionnel. Takashi Arano d’Intec Netcore a expliqué, lors du colloque « Où en sommes nous d’IPv6 ? » qui s’est tenu à Paris en octobre 2002, que si les entreprises investissent environ tous les cinq ans pour renouveler leur matériel réseau, il faut que celles qui ont prévu de le faire à partir de 2004 ne ratent pas l’échéance, car progressivement il en coûtera plus cher de continuer en IPv4 que d’avoir son réseau en IPv6. Et ce, sans compter le retard pris sur la concurrence… En France, quelques premiers fournisseurs d’accès proposent dès à présent des services IPv6 comme Nerim, Gitoyen, Frontier On Line…

Alors qu’on pensait voir émerger IPv6 plutôt dans les nouveaux pays qui manquent cruellement d’adresses comme la Chine, l’Inde ou les pays d’Afrique, le nouveau protocole arrive rapidement en Europe qui a mis en place une Task Force IPv6 avec le soutien de la Commission européenne. La téléphonie mobile, où l’Europe est bien placée, a été, il est vrai, un des premiers moteurs à cet essor européen.

Aujourd’hui, IPv6 est devenu un enjeu stratégique dû fait des nombreuses possibilités qu’il offre. Même l’Amérique du Nord que l’on pensait moins sensible à la nouvelle version du protocole puisqu’elle disposait d’un nombre confortable d’adresses IP, a fait du passage à IPv6 une de ses priorités pour des raisons de… sécurité, après les attentats du 11 septembre. Richard Clarke, conseiller auprès du président Bush a rendu en février 2003 un rapport (The National Strategy to Secure Cyberspace), qui préconise un déploiement rapide de l’IPv6. Celui-ci a marqué le coup d’envoi d’un rattrapage spectaculaire sur le déploiement IPv6 en Amérique du Nord. Le cœur de réseau à très haut débit Abilène aux Etats-Unis a entièrement migré vers un système à double pile (permettant à la fois IPv4 et IPv6 en natif) et le réseau canadien Canarie est en train de faire de même.

Alors que la prochaine édition du sommet IPv6 se passe à San José en Californie du 24 au 25 juin 2003, grâce au dynamisme des acteurs français, nous gardons une (très) courte avance : la conférence « IPv6, la renaissance de l’Internet » aura lieu deux semaines avant, du 11 au 13 juin à Caen. Signe des temps : outre les sessions pour les informaticiens, une partie est plus spécialement dédiée aux décideurs et aux acteurs économiques.

[1] Il s’agit déjà d’une longue histoire puisque les premiers réseaux expérimentaux ont vu le jour en 1996. La France y a d’ailleurs eu un rôle important en développant un des trois réseaux de référence, le G6bone.

Pour aller plus loin
Quelques références
Conférence « IPv6, la renaissance de l’Internet », Caen, 11-13 juin 2003 :
Programme et inscriptions : http://www.renater.fr/IPv6-2003Caen/index.htm
Colloque « où en sommes nous d’IPv6 ? », Paris, 28-30 octobre 2002
Compte rendu : http://www.fing.org/index.php?num=3293,2

Les fiches d’expertise
IPv6 : http://www.fing.org/index.php?num=1893,2
IPv6 et l’adressage : http://www.fing.org/index.php?num=1894,2
Transition IPv4/IPv6 : http://www.fing.org/index.php?num=1874,2
IPv6 et mobilité : http://www.fing.org/index.php?num=1873,2
Réseaux expérimentaux : http://www.fing.org/index.php?num=1895,2

Organismes
Task Force IPv6 française : http://www.fr.ipv6tf.org
European Commission IPv6 Task Force : http://www.ec.ipv6tf.org/in/i-index.php
IPv6 forum : http://www.ipv6forum.org
North American IPv6 Task Force : http://www.nav6tf.org
IPv6 promotion council Japan : http://www.v6pc.jp/en/index.html
IPv6 Forum Korea : http://www.ipv6.or.kr/english/index.new.htm
IPv6 Forum India : http://ipv6forum.org.in
IPv6 Forum Taïwan : http://www.ipv6.org.tw/eng/index_E.shtml

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