Mathilde Lenoir : « L’époque du tout gratuit sur le net a vécu »

En complément de notre dossier, Mathilde Lenoir, éditrice du portail Biz n’Cash – dédié au micropaiement – nous présente sa vision d’un marché du paiement en ligne mature et dynamique.

Mathilde Lenoir est gérante de la société Biz n’Cash. Celle-ci a pour vocation de conseiller les éditeurs de contenu pour leur solution de micropaiement, et envisage de créer une solution d’intégration des différentes solutions de micropaiement disponibles en France. L’entreprise édite depuis peu le premier portail en français dédié au micropaiement, http://www.biz-n-cash.fr. Le site propose une veille internationale de l’actualité sur le secteur au travers d’un blog (http://www.biz-n-cash.fr/blog.bnc), ainsi que des dossiers destinés à expliquer le commerce en ligne (http://www.biz-n-cash.fr/dossiers.bnc). Il s’enrichira d’ici peu d’annuaires destinés aux vendeurs de contenus et aux prestataires de micropaiement.
(Les réponses ci-dessous ont été co-écrites par Mathilde Lenoir et Grégory Levis, directeur technique de Biz n’Cash)

Internet Actu nouvelle génération : Pourquoi avoir ouvert un portail dédié au micropaiement ?

Mathilde Lenoir : Nous pensons que la vente de contenus par toutes sortes de structures (les éditeurs, les gros labels mais aussi les indépendants) est destinée à se développer très rapidement et que les micropaiements sont nécessaires pour permettre des ventes à l’acte, complémentaires des abonnements et des revenus publicitaires.

Aujourd’hui, il existe de nombreuses solutions techniques pour réaliser ces micropaiements sur l’internet, qui évoluent de mois en mois. Elles sont mal connues des vendeurs de contenu et encore moins du grand public, son utilisateur potentiel…

Il est donc nécessaire de fournir une information spécifique sur les moyens de paiement électroniques destinés à la vente de contenu, à la fois pour vulgariser ces technologies auprès des consommateurs, mais aussi pour offrir aux cybermarchands des outils d’aide à la décision technique et stratégique.

Internet Actu nouvelle génération : Le micropaiement sur le web n’est pas un sujet nouveau et beaucoup de tentatives ont échoué dans ce domaine au cours des années 1990. Pourquoi, selon vous ?

Mathilde Lenoir : Internet est un média jeune qui implique de nouveaux modèles économiques et des changements dans la façon de penser de ses utilisateurs, à la fois de la part des professionnels et des consommateurs. Cette révolution nécessite du temps pour se mettre en place, car les habitudes changent moins vite que les technologies. Le web est un univers décentralisé, bouillonnant, dynamisé tantôt par l’offre, tantôt par la demande.

Il ne faut pas non plus oublier que la Toile vient des secteurs de l’armée et de l’université. Elle a été construite pour partager des connaissances et de l’information sans but économique. Au cours des années 90, les entreprises ont perçu et un peu trop anticipé l’énorme potentiel de ce média pour les échanges commerciaux et la diffusion de contenus. On a alors cru que la notoriété et la publicité suffiraient à rentabiliser la création de valeur. Le début des années 2000 a montré que cette analyse était irréaliste et que d’autres moyens de rémunération étaient nécessaires. Cependant ce changement culturel demande un peu de temps, car contrairement au Minitel et à la téléphonie mobile qui n’ont jamais proposé de contenu gratuit, l’internet a habitué ses utilisateurs à disposer d’énormes ressources sans autre coût que les frais d’accès au réseau.

Internet Actu nouvelle génération : Du reste, on a vu apparaître récemment de nouvelles solutions et leurs créateurs semblent confiants quant à leur succès. Qu’est ce qui a changé sur le web pour susciter un tel optimisme ?

Mathilde Lenoir : Pour qu’un marché existe, il faut que ses deux moteurs (l’offre et la demande) se synchronisent, ce qui est en cours depuis quelques mois.

La demande est en train de se développer grâce à l’amélioration de l’accès à l’internet (haut débit, formation et information des utilisateurs …). De son côté, l’offre gagne également en maturité : comme nous le disions dans notre édito du mois de mars, depuis plus d’un an maintenant, les acteurs du web sont revenus à la raison, ce secteur économique se normalise enfin : le monde merveilleux d’Internet, où faire fortune sans rien vendre aux internautes était possible, est révolu. L’époque du tout gratuit a vécu.

Par ailleurs, de nouveaux modes de distribution (P2P) ont fait leur apparition, avec de nouveaux enjeux comme la facilitation du partage des biens numériques, mais aussi leur piratage. Ce phénomène de société remet d’actualité la notion de juste rémunération des créateurs de contenu (compositeurs, écrivains, journalistes, réalisateurs de film…), ainsi que la question de la valorisation réelle de ces contenus.

En résumé, on voit apparaître deux tendances : réduction des coûts d’accès à l’internet d’une part et développement des contenus payants d’autre part. Autrement dit, le modèle Internet tend à se rapprocher du commerce traditionnel, où chacun peut se déplacer comme il le souhaite et entrer dans les magasins gratuitement, ne payant que lorsqu’il décide d’acheter quelque chose. (cf. http://www.biz-n-cash.fr/edito.bnc?editoid=5)

Cependant les contenus gratuits ne vont pas disparaître. Il y aura toujours des contenus gratuits (et heureusement !) dispensés par des organismes publiques, des associations ou des particuliers. Les fournisseurs de contenus payants doivent trouver leur place et apporter plus que des données numériques brutes, à savoir des services d’accessibilité accrue aux contenus, de pré-sélection, de mise à jour etc. Et plus globalement avoir une vraie réflexion sur les attentes du public, mais également une attention accrue à la qualité du contenu : ce n’est pas le contenu seul qui peut être payant, c’est aussi la façon dont on le met à disposition et la pertinence du service associé.

Internet Actu nouvelle génération : Certains observateurs soutiennent que le modèle du micropaiement est voué à l’échec, notamment du fait que « l’économie de la gratuité » a pris trop d’importance sur le net : on y trouve une quantité considérable de contenus gratuits, dont la qualité augmente, et la majorité des utilisateurs ne sont pas prêts à payer pour y accéder. Qu’en pensez-vous ?

Mathilde Lenoir : D’abord, il est difficile d’apporter une réponse générale à cette question. En effet, la vente de contenus présente des réalités très variées selon que l’on parle d’articles de presse, de musique, de jeux en ligne, de services ou encore de contenus « adultes ».

Je ne m’étendrai pas sur le cas de la vente de musique en ligne et l’énorme succès d’Apple – vous en avez largement parlé dans votre article de la semaine dernière (http://www.fing.org/index.php?num=4723,2). La musique est favorisée par le fait que l’on sait ce que l’on achète quand on paie pour un morceau (on l’a en général déjà entendu à la radio ou ailleurs) et parce qu’on sait valoriser un titre (il suffit de faire une analogie avec le disque). On a constaté aux Etats-Unis que les consommateurs préfèrent payer pour disposer rapidement de morceaux de musique de façon pratique et sûre, plutôt que de passer par les moyens compliqués et risqués du P2P.

La situation est beaucoup plus compliquée pour la presse. Combien coûte un article ? Comment savoir si un article correspond à mon besoin ? La réputation de l’éditeur (ou du journal) est ici fondamentale et le micropaiement trouve sa place en complément de l’abonnement pour permettre l’achat d’impulsion, comme pour le kiosque à journaux de la presse écrite. Ce secteur est aujourd’hui en pleine réflexion sur le moyen de bien utiliser le Net comme canal de diffusion, en sachant qu’une offre d’articles gratuits comporte un risque de cannibalisation de l’édition papier. Dans ce cadre par exemple, le New York Times – ou Le Monde en France – propose sur son portail des services qui ne sont possibles que grâce au réseau : information boursière en temps réel, alertes e-mail, annonces contextuelles, forum de discussion, etc. (cf. http://www.biz-n-cash.fr/micropaiement-presse.bnc)

A coté de ces grands domaines, il existe aussi des niches au potentiel considérable. On peut citer par exemple l’engouement actuel pour la généalogie et les besoins de ses adeptes en terme de documents officiels. Certaines Archives Départementales se sont déjà lancées dan cette voie (AD de la Savoie) et proposent aux particuliers le téléchargement d’actes de naissance contre micropaiement ou abonnement. On peut citer comme cela de nombreux exemples (astrologie, alertes météo pointues, corrigés d’exercices pour les étudiants, aide juridique en ligne…).

On voit donc que la vraie question est de définir ce qui est valorisable sur le Net. Ce n’est pas uniquement le contenu en lui-même mais le service à valeur ajoutée qui l’accompagne. Les consommateurs sont tout à fait prêts à payer pour accéder très simplement à un contenu ou un service qui répondra à leur besoin à un moment bien précis. Et il y a dans le domaine encore bien des choses à inventer !

Les contenus (ou services) payants à succès seront ceux qui apporteront quelque chose dont les consommateurs ont besoin, de façon simple et claire, tout cela à un juste prix et avec des moyens de paiement vraiment adaptés.

Internet Actu nouvelle génération : Dans un modèle où le micropaiement s’imposerait, quel serait le rôle des intermédiaires ? Imaginez-vous la disparition des intermédiaires actuels (éditeurs, labels, distributeurs…) ou l’apparition de nouveaux intermédiaires ?

Mathilde Lenoir : Le rôle des intermédiaires de l’édition de contenus a déjà commencé à évoluer, cependant là encore ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. S’il semble probable que le compact disque va devenir un objet pour collectionneurs passionnés (au même titre que le vinyle aujourd’hui), l’édition papier va rester nécessaire encore un certain temps : il existe aujourd’hui quelques prototypes d’écrans souples que l’on peut rouler dans sa poche, mais il faudra plusieurs années avant que le grand public ne s’approprie ce type de technologie.

Les distributeurs quant à eux ont déjà subit d’importantes mutations avec le développement de la grande distribution. Les petits marchands de disques ou librairies qui ont survécu seront toujours nécessaires pour une clientèle de proximité ou spécialisée, ainsi que pour faire connaître les œuvres et les produits. Quant aux grandes enseignes, elles ont déjà pris le pas du commerce électronique.

La vente de contenu va également favoriser l’apparition de nouveaux intermédiaires de plusieurs types.

Le premier correspond aux agrégateurs de contenus et aux portails. Dans un monde où les informations et les contenus sont de plus en plus riches et nombreux, les internautes ont besoins d’agents pour pré-sélectionner et regrouper les offres selon des critères de centres d’intérêt, de qualité, de zones géographiques. Des technologies comme le RSS devraient de ce côté apporter des solutions intéressantes.

Un second type d’intermédiaires est constitué de prestataires techniques et d’intégrateurs, dans un secteur qui devient technologique et complexe. Pour mettre en place un site de commerce électronique, il ne suffit plus de connaître quelques notions de programmation Html. Un marché est en train de se mettre en place pour les prestataires d’intégration de moyens de paiement, de conseils en ergonomie, de sécurisation, de certification et pour les solutions de gestion des droits numériques (DRM).

Propos recueillis par Cyril Fiévet

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