BitTorrent, une leçon de choses

Le peer-to-peer déchaîne les passions. Certains y voient les bases d’une nouvelle démocratie, au coeur de laquelle l’individu, échangeant librement des données de toutes natures avec ses pairs, détiendrait le « pouvoir ». D’autres veulent l’éradiquer, comme on le fait d’une espèce nuisible, susceptible de mettre en péril un écosystème – ou plutôt, ici, un système économique et financier – qui perdure depuis toujours. D’autres enfin tentent, sans être encore bien convaincants, de lui assortir un modèle économique viable qui pourrait satisfaire tout le monde.

En dehors des clivages et des prises de position passionnées, la seule certitude que l’on puisse forger en la matière est que le peer-to-peer est complexe. Beaucoup en parlent, mais peu ont saisi l’ampleur des mutations sociales, économiques, techniques, juridiques ou même philosophiques qui résultent de ces technologies d’échange de fichiers.

A lui seul, BitTorrent est emblématique de cette complexité. Comme souvent, la technologie est née d’un individu isolé, qui l’a rapidement mise à disposition des utilisateurs, sans en tirer profit financier, ni chercher à faire autre chose qu’une « belle » démonstration technique porteuse de sens. Mieux, l’auteur de l’application fustige dès qu’il en a l’occasion les utilisateurs qui en font un usage illégal. Et l’on constate aisément que cette technologie n’est pas limitée à l’échange illicite de fichiers protégés par le copyright, mais peut au contraire trouver de multiples applications utiles, y compris dans le monde professionnel. Enfin, l’utilisation d’une telle technologie pousse un cran plus loin la logique du peer-to-peer, en dématérialisant à l’extrême la notion même de fichier, qui cesse d’être une entité unique hébergée sur un ordinateur, mais devient une collection de bits épars, récupérés et agrégés à partir d’une multitude d’ordinateurs, appartenant à des utilisateurs dont on ignore tout, et envoyés simultanément aux autres utilisateurs qui en ont fait la demande. C’est un simple système de répartition des flux, de traitement collaboratif et décentralisé, orienté vers une finalité précise.

BitTorrent illustre donc l’ensemble des caractéristiques les plus frappantes de cette révolution qu’est bel et bien le P2P : l’appropriation par les utilisateurs ; la disparition de la technologie, fondue en un protocole d’une efficacité redoutable, qui fait ce pourquoi il a été conçu tout en virtualisant encore un peu plus les échanges de personne à personne ; et le fait que ce sont en général les usages, et non les technologies, qui peuvent être illégaux.

Tout raisonnement simpliste, ou toute opinion résultant d’un parti pris fondé sur la simple conviction, dans un sens comme dans l’autre, achoppera. Seule la compréhension en profondeur de ces technologies, des usages qu’elles engendrent, de leur fonctionnement précis, ou de ce qu’elles signifient, aidera à cerner ce que l’on pourra faire – ou ne pas faire – avec le peer-to-peer.

Cyril Fiévet

Le peer-to-peer déchaîne les passions. Certains y voient les bases d’une nouvelle démocratie, au coeur de laquelle l’individu, échangeant librement des données de toutes natures avec ses pairs, détiendrait le « pouvoir ». D’autres veulent l’éradiquer, comme on le fait d’une espèce nuisible, susceptible de mettre en péril un écosystème – ou plutôt, ici, un système économique et financier – qui perdure depuis toujours. D’autres enfin tentent, sans être encore bien convaincants, de lui assortir un modèle économique viable qui pourrait satisfaire tout le monde.

En dehors des clivages et des prises de position passionnées, la seule certitude que l’on puisse forger en la matière est que le peer-to-peer est complexe. Beaucoup en parlent, mais peu ont saisi l’ampleur des mutations sociales, économiques, techniques, juridiques ou même philosophiques qui résultent de ces technologies d’échange de fichiers.

A lui seul, BitTorrent est emblématique de cette complexité. Comme souvent, la technologie est née d’un individu isolé, qui l’a rapidement mise à disposition des utilisateurs, sans en tirer profit financier, ni chercher à faire autre chose qu’une « belle » démonstration technique porteuse de sens. Mieux, l’auteur de l’application fustige dès qu’il en a l’occasion les utilisateurs qui en font un usage illégal. Et l’on constate aisément que cette technologie n’est pas limitée à l’échange illicite de fichiers protégés par le copyright, mais peut au contraire trouver de multiples applications utiles, y compris dans le monde professionnel. Enfin, l’utilisation d’une telle technologie pousse un cran plus loin la logique du peer-to-peer, en dématérialisant à l’extrême la notion même de fichier, qui cesse d’être une entité unique hébergée sur un ordinateur, mais devient une collection de bits épars, récupérés et agrégés à partir d’une multitude d’ordinateurs, appartenant à des utilisateurs dont on ignore tout, et envoyés simultanément aux autres utilisateurs qui en ont fait la demande. C’est un simple système de répartition des flux, de traitement collaboratif et décentralisé, orienté vers une finalité précise.

BitTorrent illustre donc l’ensemble des caractéristiques les plus frappantes de cette révolution qu’est bel et bien le P2P : l’appropriation par les utilisateurs ; la disparition de la technologie, fondue en un protocole d’une efficacité redoutable, qui fait ce pourquoi il a été conçu tout en virtualisant encore un peu plus les échanges de personne à personne ; et le fait que ce sont en général les usages, et non les technologies, qui peuvent être illégaux.

Tout raisonnement simpliste, ou toute opinion résultant d’un parti pris fondé sur la simple conviction, dans un sens comme dans l’autre, achoppera. Seule la compréhension en profondeur de ces technologies, des usages qu’elles engendrent, de leur fonctionnement précis, ou de ce qu’elles signifient, aidera à cerner ce que l’on pourra faire – ou ne pas faire – avec le peer-to-peer.

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