Intervenant lors de la session introductive des 26e Journées internationales de l’Idate, les 25 et 26 novembre 2004, Gilles Kahn, P-DG de l’Inria et Krishna Nathan, directeur du laboratoire de recherche d’IBM à Zurich, ont développé des points de vue très similaires.
Pour Krishna Nathan, « la révolution internet est loin d’être complète : le nombre et la diversité des utilisateurs, des appareils connectés, des applications et contenus… sont probablement très inférieurs à ce que nous connaîtrons demain. En 2012, on compterait 1000 milliards d’appareils communicants, dont la très grande majorité seront de simples capteurs. Et dans le même temps, le volume des données « non traditionnelles »(vidéo, mobiles) monte très vite. » La « révolution pervasive » que décrit Krishna Nathan se fonde sur quatre exigences : capter des informations sur le terrain, en temps réel, et les traiter ; accéder aux données critiques depuis n’importe où ; connecter les hommes, les données et les processus dès que le besoin s’en fait sentir (« on demand« ) ; faire communiquer les machines et les laisser prendre des décisions sans intervention humaine (autonomic computing) et plus largement, permettre aux systèmes techniques de s’organiser, s’administrer et se protéger eux-mêmes. Gilles Kahn partage cette vision, mais signale un defi difficile à relever : « Tomment gérer la communication entre les capteurs, et entre capteurs et systèmes centraux, comment aussi combiner de très grands nombres de données entre elles et avec des modèles, dans de bonnes conditions de performance ?«
Les deux chercheurs partagent la même vision de l’avenir des réseaux. Ce nouveau monde numérique « reposera sur de nouvelles architectures radios, mais aussi sur d’autres manières de communiquer », explique Krishna Nathan – qui signale en passant une caractéristique peu analysée des réseaux de capteurs : contrairement aux réseaux actuels sur lesquels les flux descendants (des serveurs vers l’utilisateurs) dominent les flux montants, les capteurs émettent beaucoup plus d’information qu’ils n’en reçoivent. Et Gilles Kahn précise : « Toutes les architectures de réseau ont évolué d’une organisation très contrôlée vers une organisation très décentralisée, « faiblement couplée », beaucoup plus capable de passer à l’échelle. Dans le sans-fil, les réseaux ad hoc vont dans ce sens. L’idée est de se passer complètement d’opérateur. Comment cela peut-il se passer ? On peut recourir à la théorie de la percolation : à partir d’un certain seuil de densité, tout le monde peut parler à tout le monde. La théorie est connue, mais il faut encore mettre au point des protocoles réseaux qui la mettent en oeuvre. » Gilles Kahn ajoute que « l’on réfléchit aux mêmes questions dans d’autres contextes, depuis les grands serveurs jusqu’aux réseaux sociaux…«
Du côté des applications, la coopération et la sémantique forment ensemble la clé. Gilles Kahn insiste sur les « grilles de calcul » et leur sens profond, qui consiste à « remplacer les serveurs par des services ». Krishna Nathan met l’accent sur les web services, qui « complètent les protocoles internet : les protocoles IP servent aux premiers niveaux de la modélisation des réseaux, tandis que les web services servent au niveau des applications. On en vient à rendre l’ordinateur abstrait, virtuel. Les web services sont une sorte de système d’exploitation virtuel.. » Mais Gilles Kahn insiste également sur la compréhension humaine, la langue naturelle et le traitement des données multimédia.