A propos de « La Longue Queue »

Nous avons le plaisir, cette semaine, de publier la traduction de « The Long Tail » (« La Longue Queue« ), un article de Chris Anderson, rédacteur en chef de Wired, publié en octobre dernier dans les pages du magazine. Depuis sa publication, cet article a déjà fait plusieurs fois le tour de l’internet, suscitant de multiples commentaires, critiques et éloges. S’il est déjà arrivé à l’oreille de bien de nos lecteurs, il nous semblait important de le porter à la connaissance générale, parce qu’il nous paraît singulièrement éclairant et (du moins nous l’espérons) parce qu’il alimentera à nouveau un réel débat, comme il n’a cessé de le faire jusqu’à présent.

Ce que décrit Anderson n’est pas révolutionnaire mais sa façon de calculer l’équation numérique ne manque pas de pertinence. Elle repose sur le fait qu’avec la dématérialisation, tout contenu (livre, musique, vidéo, texte…) devient disponible infiniment et, par conséquent, croisera toujours une demande, ce qui est impossible dans le monde physique, la matérialité faisant office de sélection naturelle. Anderson démontre que la somme de ces demandes, de ces niches, face au hits, best-sellers et flots de nouveautés qui concentrent les ventes et l’attention, n’est pas négligeable. Anderson prend presque le pari que la somme des petites diffusions est plus intéressante, à terme, que le tout venant. Aujourd’hui, constate-t-il, les ouvrages absents des rayons des librairies traditionnelles représentent plus de la moitié des ventes de livre d’Amazon. Dès lors, beaucoup de choses peuvent changer dans les logiques de production, d’édition, de distribution.

Ne nous trompons pas. La Longue Queue n’est pas qu’une manière de décrire la façon dont le numérique donne vie au catalogue de fond comme diraient les libraires. Elle ne concerne pas uniquement l’économie du livre ou de la musique… Elle a aussi des incidences en matière de visibilité, d’audience de tous les « contenus », voire des individus. Elle dit que quand bien même vous seriez petit et isolé, il y aura toujours quelques liens qui vous relieront à l’ensemble. La Longue Queue décrit quelque chose que beaucoup d’entre nous ont constaté : l’internet sait donner de l’existence à l’infime. A l’image de cette réponse de forum que vous obtenez après plus d’un an de silence. Chris Anderson ne décrit pas une révolution, juste une réalité de l’internet. Qui permet que l’expression de chacun reste reliée à la voix collective. Au final, elle pose plus de question au monde réel qu’au monde électronique d’ailleurs, en montrant bien les limites de la diffusion et de la distribution matérielle.

Mais la Longue Queue ne résout pas tout et surtout elle n’explique rien des mécanismes qui président au succès ou à l’échec. Au mieux, parce qu’il permet de tisser des liens, des rapprochements plus facilement, le numérique donne de nouvelles chances à vos images d’êtres vues, à vos écrits d’être lus, à vos musiques d’être entendues. En les rendant disponibles, elle vous assure de leur existence. Rien de plus.

La Longue Queue ne dit rien non plus de la concentration. Car si l’internet permet de donner une perspective à l’infime, au petit, à l’isolé, il contribue aussi, comme les autres médias, à accroître la concentration en faveur des plus visibles, des plus gros. En aidant à capitaliser les expressions individuelles en expression collective – le pagerank de Google en est une expression typique -, en ajoutant du bruit au bruit au point qu’il faille crier pour se distinguer, l’internet pourrait même renforcer la polarisation de l’offre et la demande. Bref, en nous intéressant à la Longue Queue, il ne faudrait pas oublier le « Court Pic » !

L’internet, est d’abord une caisse de résonnance qui démultiplie l’écho de celui dont on parle le plus. Or, le plus cité, le plus référencé, même par le plus grand monde ne fait pas forcément la qualité. Une partie de ce que nous cherchons se trouve quelque part dans la Longue Queue. Reste donc encore à nous orienter dans ce monde-là , sans disposer – par définition – des panneaux de signalisation que fournit la promotion de masse. C’est l’enjeu des outils, des réseaux, des pratiques en construction, que Chris Anderson décrit fort bien.

En attendant, n’en doutons pas, la Longue Queue expose une loi de l’internet.

Daniel Kaplan et Hubert Guillaud

À lire aussi sur internetactu.net