Le développement passera-t-il par l’internet ou par le téléphone ?

C’est à croire que l’internet n’a plus la cote dans les pays pauvres. Les espaces numériques publics et autres cybercafés subissent l’assaut de critiques toujours plus nombreuses. Comme dans d’autres pays, le mouvement pour l’accès collectif semble s’essoufler, faute de perspectives, de financement dans la durée, de modèle économique. Quant aux modes d’accès alternatifs à l’internet, ils sont restés, dans les PVD, des spécimens, que nul, ou presque, n’est vraiment parvenu à féconder et à généraliser.

Dans les zones rurales des pays en voie de développement, l’internet est distancé par le téléphone mobile. Les exemples de services et d’usages collectifs du téléphone en Afrique se multiplient : que ce soit celui des places de marchés (comme Manobi ou DrumNet), de la géosurveillance (des animaux ou de l’environnement), ou de la télémédecine… Sans compter le succès de Thuraya, le téléphone satellitaire africain. Autant d’exemples qui semblent souligner, à court terme, l’impact et les avantages de la téléphonie mobile ou satellitaire, qui parvient plus facilement jusqu’à l’usager (oralité) et qui a surtout l’avantage d’être bien souvent déjà disponible. Les rapports commencent à s’accumuler. Comme le suggérait il y a quelques mois The Economist, c’est à croire que le téléphone mobile sera le nouvel Eldorado du développement.

Pourtant, n’avions-nous pas entendu les mêmes discours à propos de l’internet il y a quelques années ? Savons-nous au fond regarder la manière dont les régions les plus pauvres du monde s’approprient les TIC et les objectifs qu’ils poursuivent ? Ne serions-nous pas, encore une fois, en train de projeter nos visions et nos pratiques des technologies ?

Car tout indique que les logiques diffèrent. Dans nos contrées dites « développées », la lutte contre la « fracture numérique » vise avant tout l’égalité de traitement des citoyens. Les outils de communication, les services en ligne, l’infrastructure technique, doivent bénéficier au plus grand nombre, à demeure, afin que chacun accède au statut « d’usager ». Ailleurs, l’objectif n’est pas de permettre l’accès à chacun ni d’assurer une quelconque égalité, mais plutôt de connecter des communautés organisées, de mettre à leur disposition un outil parmi d’autres.

Là où en Occident, l’usage communautaire semble être un aboutissement du statut d’usager, un droit ultime – qui donne même lieu à une « nouvelle économie du partage » comme le pense l’économiste Yochai Benkler -, dans les pays émergents, l’usage communautaire est premier. Il est lié aux vicissitudes et aux difficultés de la vie. La connexion n’est pas le moyen de parvenir à l’échange, au partage, à une communauté, un réseau humain, mais plutôt, le seul moyen d’accèder à une économie globalisée. On comprend alors qu’on pare au plus pressé et que le téléphone mobile ou satellitaire, déjà disponible, devienne l’objet par lequel tout le développement doive s’envisager.

Pourtant à regarder les enfants passer leur tête dans le trou du mur qui sépare ceux qui ont l’internet de ceux qui ne l’ont pas, il n’y a pas à douter un instant de ce que l’internet peut apporter même aux plus pauvres. Qu’on ne s’y trompe pas, l’information n’est pas un luxe qui vient après que les besoins primordiaux aient été satisfaits : c’est notamment par elle que passe l’évolution économique et sociale.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Bonjour

    En effet l’information est essentielle. Mais elle passe par l’écrit, par l’oral, par les gestes et bien d’autres manières encore. Que fait Internet dans tout ça ? Est-ce un moyen de faire miroiter le marché global dans des pays qui ne peuvent pas se payer ce qu’ils voient ? Des peuples dont les histoires ne figurent pas sur internet, puisque l’écrasante majorité du contenu est occidental ? Qui s’aperçoivent ainsi que tout le monde se fout de leur destin ? La réponse est sans doute complexe, mais je crains qu’en effet il eut été sage, ici comme pour d’autres technologies, de s’interroger sur les effets d’internet sur la communication humaine, qui existait bien avant internet, avant d’en faire la promotion. L’effet « miracle » techno a me semble-t-il fonctionné à plein, et pas seulement du côté des vendeurs… il me semble urgent de lutter contre « l’internetisation » des sociétés qui possèdent déjà beaucoup de pouvoir au niveau global, si c’est encore possible…

  2. Vous déclarez « Qu’on ne s’y trompe pas, l’information n’est pas un luxe qui vient après que les besoins primordiaux aient été satisfaits : c’est notamment par elle que passe l’évolution économique et sociale ».
    Ce qui m’ennuie c’est qu’il me semble justement que la
    En suivant votre raisonnement Ainsi l’évolution économique et sociale que les besoins vitaux aient été satisfaits !
    Vous devriez vous rendre dans l’une des nombreuses région d’Afrique où l’on ne mange pas à sa faim pour pouvoir avancer

  3. Sorry pour mon poste précédent, une touche de travers et oups, le message s’en va sans possibilité de correction…
    Mon idée est que l’évolution économique et sociale ne surviennent justement qu’à la condition que les besoins vitaux des populations soient satisfaits. Pouvez-vous imaginer que face un africain disant : « j’ai faim » le téléphone et les bonnes intentions communicationnelles aussi louables soient-elles vont être plus efficaces qu’un bol de mil ?
    Je sais que l’intellectuel occidental a quelques difficultés à comprendre des raisonnements aussi basiques que celui-là car il ne se posent plus à nous depuis quelques siècles.
    Mais je reste convaincu que votre discours serait modifié par quelques jours passés dans une région touchée par la faim.
    En Afrique elles ne manquent pas.
    Cordialement.

  4. Intéressant retour d’étude de l’expérience indienne si médiatisée, a Hole in a wall. Selon un chercheur, le site aurait été vandalisé quelques mois seulement après sont inauguration. Le projet a depuis évolué et a été rapatrié de la rue vers des organisations établies (écoles notamment) pour contrôler l’usage des ordinateurs laissés dans les mains des enfants. Via Mark Warschauer.