Le Far West de la justice électronique citoyenne

Vous vous souvenez certainement de l’histoire de cette jeune Coréenne qui avait refusé de nettoyer les traces du passage de son chien dans un wagon de métro et qui avait subi un véritable lynchage médiatique international parce qu’un passager de la rame avait photographié et publié sur le web les preuves de son incivilité. Vous avez peut-être entendu parler de Thao Nguyen, cette New-Yorkaise qui a photographié, mi-août, un exhibitionniste dans le métro et qui a publié son image sur le site de partage de photo FlickR.com. Dans un effet de viralité certain, là encore, la photo a fait le tour du web et de la presse, déclenchant l’ire internationale à l’encontre de l’exhibitionniste, jusqu’à son arrestation.

On pourrait multiplier les cas de cette tendance à la « Sousveillance », comme le remarque Eric Culnaërt sur l’excellent blog d’Aquitaine Europe Communication. Cyril Fiévet disait récemment, en évoquant l’avenir de la géolocalisation : « Il me semble de plus en plus certain que la crainte d’un Big Brother qui épierait les faits et gestes des citoyens n’émanera pas tant des gouvernements que d’initiatives privées et, surtout, des utilisateurs eux-mêmes. »

N’en doutons pas, ces exemples vont se multiplier. Préparez vos pistolets, nous entrons dans le Far West de la justice électronique citoyenne. Nous allons tous devenir des justiciers du net – Robin des bois ou Charles Bronson, c’est selon. Réglant nos problèmes de citoyens, d’administrés, de consommateurs, de voisinage, de couple, à coup de photos et de billets rageurs ! Donnant à des accidents anodins, des erreurs, des problèmes personnels, des petits délits, des incivilités, une audience illimitée. Donnant à notre représentation individuelle du monde une audience globale. Sous une tournure apocalyptique ou angélique, c’est selon (via Affordance). Notre colère comme notre calme, notre sincérité comme notre mauvaise foi, vont se répercuter de sites en sites, sans fin… La rumeur électronique va être tout entière libérée.

C’est pourtant la même rumeur que celle que nous partageons entre deux bavardages, à une table de bistrot avec quelques connaissances. Mais ici, ses traces sont lisibles, son flux est pistable, son contenu est rémanent. Et ça change tout.

Comme le souligne Tama Leaver de Ponderance, si ces pratiques deviennent une tendance et que tous ceux qui font leur justice via FlickR gagnent en crédibilité, le potentiel d’abus de tels système est virtuellement sans limite. Bien sûr, la cause peut sembler juste : personne n’approuve l’exhibitionnisme, ni les crottes de chien. Mais le pilori sur la place du village mondial est-il la sanction adéquate ? Et puis, sommes-nous sûr de ce que nous voyons/lisons/entendons ? Avons-nous toutes les pièces pour juger ?

Qui croire ? Que croire sur l’internet ? Les mots, les images – dont la puissance est encore plus forte – dont nous nous abreuvons sont appelés à devenir toujours plus suspects. Car même si la cause est juste, et même si c’est vrai, il y a sur le web une proportionnalité, un effet de concentration, d’écho ou de boule de neige qui est radicalement différent de celui du monde physique. La blogeoisie commence à en comprendre les règles… Mais les autres ?

Plus que jamais, il va falloir être attentif à nos sources, au contexte, à la façon dont on redistribue l’information. Plus que jamais il va nous falloire apprendre à prendre du recul avec les milliards d’individualités que nous voyons apparaître sur nos écrans. Ce qui est certain, c’est que l’intelligence et le discernement deviennent encore plus nécessaire pour ne pas nous laisser étouffer par l’émotion qui nous prend parfois à la gorge ou la colère salvatrice qui nous monte souvent au nez.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Je suis bien d’accord, à ma première lecture, avec Hubert Guillaud.

    Les usages et innovations apportées par les interautes sont une réelle opportunité pour étudier sur le fond, ce qui va bien dans notre société humaine et le valoriser comme démontrer
    les abus d’organisations multinationales, de prédateurs…

    Cependant, il faut veiller par une plus grande conscience des
    actions individuelles et collectives, des causes et effets de nos actions, commentaires ou suggestions à épanouir la personne humaine, plutôt qu’à engendrer des drames… des guerres.

    Internet est un fabuleux instrument de pouvoir et de contre-pouvoir !

    Il convient à chaque personne physique et morale de respecter le Droit et la Loi.

    Depuis des siècles, l’Humanité vit sous la domination de prédateurs économiques, politques, financiers (les plus dangereux selon Thomas Jefferson, car ils n’ont que l’avidité financière, la spéculation, la recherche de leurs propres intérêts).

    Sommes-nous vraiment prêts à être des Etres Humains ?

    Si oui, agissons immédiatement pour préserver la planète, créer une réelle économie et une Civilisation fondée sur la coopération et non la prédation, l’appropriation des ressources (c’est la définition de l’économie, selon le Dictionnaire Encyclopédique Larousse).

    Si non, agissons immédiatement pour changer le monde !

    A commencer par nous-même, nos comportements, nos relations avec les autres.

    Mais sommes-nous prêts à faire cet effort ?

    Individuellement et collectivement ?

    Si oui, n’hésitez à me contacter pour créer ensemble les conditions d’une nouvelle économie humaine.

    Daniel Maniscalco

  2. Eh! merci pour la citation 🙂
    Ego mis à part, cela fait du bien de lire que la réappropriation du contre-pouvoir autoproclamé de l’Internet par les individus n’est pas forcément une bonne chose, et que s’en réjouir par principe n’est pas plus fûté que la politique américaine en matière d’accès aux armes à feu. Depuis quand le fait de distribuer des flingues assure-t-il une meilleure sécurité pour tous ?
    Suis-je fou, ou bien la vie en société s’est-elle construite sur la délégation de certaines tâches de régulation à un certain nombre d’individus qui s’effacent derrière leur rôle: le flic, le juge, le bourreau, le gardien de prison…
    Ce que je ressens à lire les commentaires suscités par les aventures de Miss Crotte de Chien ou de Mister Exhib, ce n’est pas le sentiment réconfortant (?) que désormais les méchants seront punis. C’est l’exaltation malsaine d’individus en mal d’emprise sur leur propre destin, qui voient dans le web un moyen d’exercer leur illusion de toute-puissance sans risque de démenti.
    Etre exposé(e) à la petite affaire d’un exhibitionniste n’est sans doute pas des plus agréables; mais la loi prévoit le cas; elle prévoit également une procédure pour l’enquête et le jugement, elle prévoit une sanction proportionnée, c’est-à-dire limitée dans le temps et dans l’espace, une sanction prononcée par une émanation collective et organisée de la société et non par une foule d’individus.
    Etc.
    Et qu’on ne s’y trompe pas: c’est dans les sociétés oppressives où le poids du regard social est déjà écrasant que ces réactions mises en avant comme une revanche de l’individu se multiplient le plus rapidement. Cela ressemble trop à un retour en arrière pour que nous en fassions une des voies possibles du progrès sans y regarder de plus près…

  3. Je ne sais pas si c’est un bien ou un mal, les deux sans doutes. Ce qui est sûr, c’est que c’est inéluctable. Je pense surtout que c’est notre regard sur ce qui est « publié » sur l’internet qui doit changer.

    En regardant les tempêtes de la blogosphère, on voit bien que finalement, leurs auteurs relativisent les coups de gueule dont ils sont tour à tour victimes ou bourreau. De même avec les blagues de potaches des skyblogs… Peut-être que tout cela va se réguler avec la croissance quantitative d’utilisateurs… Finalement, c’est seulement après vous êtes engueulés plusieurs fois avec d’autres internautes à la vue de tous, que vous comprenez que tout cela n’a pas plus d’importance que dans la vraie vie. Et que ça n’empêche pas de recommencer… 🙂

    Quand aux compliments, ils sont mérités.

  4. Je ne partage pas ton point de vue dans la mesure où il semble donner de la situation pre-internet une vision idyllique. Ayant personnellement subi la vindicte de journaux sans avoir la moindre possibilité de répondre aux accusations balancées je crois qu’il est plutot salutaire et equitable de pouvoir s’exprimer sans avoir besoin de passer par les msm.
    Quant à la bêtise ambiante, elle est là aussi largement (!) le lot des media traditionnels. Que le web soit utilisé pour la porno (apres tout est-ce que ce ne sont pas les sites les plus frequentés?) ou pour des crottes de chien, n’empeche pas qu’il soit utilisé utilement pour plein d’autres choses. Il me semble que plus que les auteurs des messages que tu critiques ce sont leurs spectateurs/lecteurs/visiteurs qui manquent de discernement ou qui expriment l’état de nombre de personnes dans le monde actuel. Ils sont l’expression de cette société. Cela dit c’est vrai que c’est un outil jeune et qu’il y a des regles de conduite à apprendre. Qui ne s’est pas repenti d’un email trop vite expédié?
    Y compris celui-ci?
    Take care

  5. Philippe, ne me fait surtout pas le procès de croire que le monde physique est plus rose que l’internet. Je dis et répète que se sont les mêmes. Que nos comportements y sont les mêmes, sauf que sur l’un, tout est mémorisé, avec la crudité des mots et la luminosité des images.

  6. Ne s’agirait il pas aussi d’une période transitoire ?..

    les nouveaux venus que nous sommes tous (eu égard à la jeunesse du média utilisé) découvrant des usages aléatoires (pas le lien entre le fait de publier une information et le fait que cette dernière puisse avoir un écho trés large) de l’internet soient pour le moins perdu… plus que surpris par leur (nouvelle) audience.

    En revanche je suis trés surpris par la tendance actuelle à produire une vérité (une photo et un commentaire reste des appréciations personnelles) à partir d’éléments fragmentés. Je crois que la désinformation (éco sociale et politique) va se généraliser et que de plus en plus nous distinguerons le monde connu (fiable) et le far west (où toutes les vérités individuelles n’engagent que leurs auteurs).

    Quant au contre pouvoir du citoyen… cela reste encore une vue de l’esprit. Sans relais des médias classiques et traditionnels (trés connectés à l’establishment) le Net reste un espace relativement inodore en termes de contre pouvoirs effectifs.

  7. Une période transitoire, peut-être… Ce qui est sûr, c’est que les vérités individuelles vont exploser et que les outils de la « fiabilité » comme vous dites sont encore bien sommaires. Or, la fiabilité n’est pas forcément dans ce qui est connu : mon journal local n’est pas forcément fiable par exemple…

    Mais le net n’est pas un espace « inodore » en terme de contre pouvoir – sauf pour ceux qui n’en prennent pas la mesure et qui croient encore que l’essentiel de leur image se construit uniquement avec les médias classiques – et il le sera de moins en moins. Ca c’est certain.

  8. Pour le coup je ne suis pas d’accord..

    Le journal local n’est pas forcément fiable mais il existe juridiquement et il existe une responsabilité claire sur ce qui peut ou non être publié.. du fait de la fiabilité des informations qu’il lui appartient de vérifier A mon avis le Net devrait de plus en plus évoler vers un monde Bi polaire : le monde connu et le far ouest (Cf parallele avec un bouquin de Ruffin : l’empire et les nouveaux barbares sur les questions de frontière). Je ne crois pas (ni socialement, ni philosophiquement) pour ma part à la notion de « vérité individuelle »…

    Quant au Net il ne devient un espace de contre pouvoir qu’à des moments trés précis (exemple de la constit européenne) où se concentre et se regroupe un panel trés large qui n’avait pas ou peu d’audience dans les médias classique.. Hors ces moments précis les impacts internationaux du net ne sont pas encore trés effectifs et trés fréquents (effet masse = rareté). On pourrait également pointer que le développement (et la censure) opéré sur le Net chinois nous instruit aussi sur les limites du modèle « démocratique globale ».. Il est vrai qu’inodore était un terme un peu fort…

    Pour finir, je pense que je prends bien la mesure des possibilités du net.. d’autant qu’il n’y a plus à mon sens de média type (le papier est web pr le monde libé et les autres…). Cependant la question du contre pouvoir pose la question de savoir si le net est un outil d’action pour l’individu ou le groupe d’individu.. Il peut l’être mais cela n’est pas certain. Et personne ne peut garantir qu’une action (même d’ampleur) sur internet soit suivie d’effet important.