Nanotechs : débattre maintenant plutôt que trop tard

Si les chercheurs et les industriels des nanotechnologies ne jouent pas dès aujourd’hui le jeu du débat public, ils pourraient bien s’y trouver traînés plus tard et dans une situation moins favorable, comme de vulgaires producteurs d’OGM.

Dans la Lettre d’information de janvier 2006, Transversales propose une intéressante – et très critique – série d’articles sur le développement des nanotechnologies, autour de deux questions centrales : « Quelles en sont les finalités ? (…) Qui pilote ces choix industriels ? »

La population n’est pas mise au courant, n’est pas sollicitée pour envisager les perspectives et donner un avis. Pourtant les modes de vie et de consommation, les liens sociaux, les comportements, les communications, les possibilités de soins mais aussi les risques, vont être transformés par les nanoobjets qui diffusent déjà dans des secteurs aussi variés que le textile, l’électronique, l’automobile, les médicaments, la surveillance, la dépollution, l’agro-alimentaire… De cette absence d’implication des citoyens résulte sans doute la radicale et prégnante contestation locale avec laquelle se débat aujourd’hui la ville de Grenoble, pôle de compétitivité.

Dorothée Benoit Browaeys, journaliste et présidente de VivAgora

La perspective ne se veut pas technosceptique : il s’agit plutôt d’imaginer les voies par lesquelles pourrait émerger un débat public informé. Celles-ci ne sont pas faciles à trouver. Ainsi, l’interview du physicien Rémi Mosseri qui ouvre le dossier, censé faire comprendre le « nanomonde » en 3 questions, laissera-t-il vraisemblablement les non-spécialistes tout démunis.

Du coup, c’est sur les risques des nanotechnologies, et le manque de discussions à leur propos, que se focalise le dossier. Parmi les interrogations que suscitent les nanotechnologies, certaines sont déjà bien répertoriées : risques sanitaires liés aux nanoparticules, risques environnementaux, « perte de maîtrise » des objets et-ou de leur réplication…

Plus nouvelles apparaissent, en revanche, les deux perspectives sociales ouvertes par Philippe Aigrain et Claire Weill.

D’une part, les médicaments « intelligents », qui permettent d’imaginer des traitements totalement personnalisés, voire préventifs, pourraient faire exploser les systèmes de santé : « Lorsque de tels médicaments seront le marché, une terrible tenaille se refermera sur ce qui restera des systèmes de santé publique : ceux-ci devront choisir entre naissance d’un marché dual (la consommation de ces nouveaux médicaments étant réservée aux riches à l’extérieur du système public) et gouffre financier. »

D’autre part, la puissance et la personnalisation des systèmes techniques (ici les médicaments, mais on pourrait sûrement étendre à d’autres domaines) pourraient en fait aller à l’encontre du bien public : « L’utilisation démagogique de l’angoisse des consommateurs (…) permettra de les instrumentaliser contre les défenseurs des priorités de santé publique. Car le pire n’est même pas le fait que les citoyens des pays développés se mettent soudain à goûter la situation qui constitue la règle dans les pays en développement. Ce seront les occasions manquées ou détruites de faire de la vraie prévention, celle des comportements, des conditions et des modes de vie, et de l’action politique résolue sur les facteurs qui les influencent – de la sédentarité liée à l’automobile au stress dans les temps de travail et de vie familiale, des facteurs environnementaux à l’alimentation et son organisation industrielle et publicitaire. »

Prédictions ou simples scénarios ? En tout cas, des enchaînements auxquels on ne penserait pas de manière spontanée et qu’il vaut par conséquent la peine d’explorer.

Conclusion du dossier : « Le débat public s’impose aujourd’hui pour décrisper les oppositions claniques stériles, pour composer avec des logiques divergentes qu’il faut rendre durables, pour répondre à l’évidente interdépendance des acteurs… Il constitue un incontournable outil d’enrichissement de la démocratie représentative, capable de faire vivre une démocratie technique pour définir collectivement les finalités prioritaires qu’entendent poursuivre nos sociétés. »

Que l’on partage ou non toutes les inquiétudes des auteurs de ce dossier, il serait dangereux de rester sourds à leur appel, qui fait suite à plusieurs autres. Le débat aura lieu : la question est de savoir où et quand il naîtra, sous quelle forme, et qui y participera. Si les chercheurs et les industriels ne jouent pas dès aujourd’hui le jeu du débat public, ils pourraient bien s’y trouver traînés plus tard et dans une situation moins favorable, comme de vulgaires producteurs d’OGM.

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Notons que l’association VivAgora propose en 2006 un cycle de débats publics sur le « Nanomonde », à la Cité internationale universitaire de Paris.

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0 commentaires

  1. Je ne suis pas favorable à un « vaste débat public » sur les nanotechnologies, et en voilà les raisons.
    Tout d’abord, il n’y a pas d’exemple d’innovation majeure, même hautement favorable, qui soit d’emblé adoptée à la majorité. Le nucléaire, avec l’effet de serre, les ogm, avec la lutte contre les pesticides, le clonage thérapeutique, avec la médecine génique, sont là pour en fournir de tristes exemples.
    Les débats préalables exploitent les peurs et avec la complicité des média, gourmants de débats polémiques, offrent une tribune à la démagogie, voire à l’obscurantisme pur et simple, à un auditoire qui n’est pas armé pour se forger une opinion faute de référent scientifique. Il est évidemment plus facile de débattre de pseudo problèmes éthiques, avant même que les rétombées positives aient portées leurs fruits, que proposer une vraie analyse du fond.
    A bien des égards, ces « grand débats publics » ressemblent aux sondages, qui escamotent la vraie confrontation des idées, des réalisations, de l’expérience, ce sont les scories d’une génération de l’image vide de sens ou du débat creux, dont beaucoup de signes annoncent, fort heureusement, une fin prochaine.
    En lieu et place de débats, il y a place à une large information et une vulgarisation de qualité par des personnalités scientifiques incontestées.

  2. WC propose une interview de deuc membre du Center for Responsible Nanotechnologie et donne une bonne idée de ce que pourrait être les enjeux d’un débat sur les nanotechnologies.

    Quant à la remarque d’Hauxxan, il s’en faut de peu pour dire que la démocratie mène forcément à la démagogie.

    Les questions entourant les nanotechnologies ne doivent pas être de savoir si on va les utiliser ou non, mais comment on va le faire et comment encadrer pour le tout pour respecter une forme de principe de précaution tel qu’évoqué dans l’interview citée précédemment.

  3. Billet intéressant qui met bien en avant l’état actuel du questionnement sur la communication autour des nanotechnologies.

    La vision de Hauxxan est importante à prendre en compte, les nanotechnologies touchant tout les domaines, son acceptation par le public doit se faire par étape et de manière personnalisée pour finalement se faire accepter de manière diffuse.

    Je répond à Hoedic sur le principe.

    L’exemple de l’arbre des possiblesde Bernard Werber permet à chacun d’explorer sa vision plus ou moins optimiste du futur. Il part du principe qu’il faille prévoir les futurs possibles, les connaître, les référencer pour pouvoir se prémunir du pire comme du meilleur. Je suis assez de son avis. Ce site présente néanmoins ses limites liées à la pertinence, à la quantité et au type d’information communiqué.

    Ce qu’il est finalement important de connaître ce sont les interactions entre ces scénarios (externalisation de la mémoire : exo darwinisme). Je suis actuellement en train de travailler sur une interface permettant :
    – la convergence des aspects sur le sujet
    – à chacun de donner sont avis sur les nanotechnologies (en connaissance de son ignorance)
    – de proposer de nouvelles sources de débat (l’avis de chacun est important justement)
    – de pouvoir localiser les limites et les avantages (l’arbre des possibles, une vision globale)
    – donner une valeur à l’information choisie (orienter les réponses à nos questions)

    L’avantage de l’Internet d’aujourd’hui, c’est justement qu’il permet de nouvelles formes d’interactions qui réduisent l’accès et peuvent proposer des réponses adaptées à chaque cas de figure (folksonomy, rss…)

    Je ne rentrerais pas dans les détails de l’interface directement ici car ce serait trop long à expliquer. Je vous invite cependant à regarder plus en détail le site qui me permet de la réaliser et où je pose certains questionnements.

    La mise en ligne du portail de veille collaborative sur le sujet est pour bientôt… Merci de nous donner votre avis sur la question.

  4. Ce qui est frappant dans les commentaires, c’est l’acceptation implicite que l’utilisation sociale des nanotechnologies est une question qui relève des scientifiques. C’est à dire que tout débat sur l’acceptation ou non d’une technologie ne saurait être raisonnablement accepté que dans le cercle de ceux qui ont contribué à la rendre techniquement possible.
    Une des justifications serait que le débat public, médiatisé, n’échappe pas aux manipulations émotionnelles. C’est certain.

    Mais on sait par ailleurs que l’aveuglement d’une grande partie du monde scientifique relatif à son instrumentalisation par les complexes militaro-industriels (pour reprendre la vieille mais toujours vivace expression de Ike Eisenhower), ne plaide pas pour que la société dans son ensemble leur cède le monopole de l’évaluation du développement des nanotechnologies.
    Un débat plus large est évidemment nécessaire, ne serait-ce que pour que la communauté scientifique elle-même y trouve de nouvelles pistes de réflexion.

  5. Mon propos, on l’aura compris, n’est pas de plaider pour le monopôle de parôle et de décision du seul monde scientifique, mais de réfuter cette illusion du « grand débat public » pour des enjeux scientifiques majeurs, comme la pertinence d’ITER, des OGM, ou du clonage thérapeutique, où « l’opinion » se voit attribuer la prérogative absurde d’avoir une opinion sur ces sujets. L’actualité avec la qualité des débats de la Commission Outreau, montre que, sur des sujets difficiles, la démocratie peut s’exercer à travers la répresentation parlementaire, qui en l’occurence ne laisse pas le débat aux seuls magistrats (par trop corporatistes), ni à des animateurs-bateleurs de TV, faiseurs de l’opinion, mais une réflexion éclairée à laquelle participent les différentes sensibilités politiques.

  6. Profitons bien des dernières libertés qui nous restent. Quand des « extrémistes » ou des « états voyous » maitriseront les NT ce sera difficile d’être encore autre chose qu’un normopathe !