Les trois hubs ou la ville fluide pour tous

Par Bruno Marzloff du Groupe Chronos.

Impedimenta [1] est une étude ethno-design conduite par sept partenaires publics et privés dans une perspective d’innovations des services [2]. D’observations ethnologiques se dégage la vision d’un système cohérent de trois hubs [3] – hubs territoriaux, hubs mobiles et hubs sur soi. Ce système gouverne la ville et la distribution de ses flux. Ce jeu des trois hubs est une réponse à la maîtrise autonome des parcours et à la capacité offerte à chacun de vivre le déplacement et ses ressources. Si des bribes s’esquissent chez les opérateurs de la ville, Impedimenta en a dégagé les attentes latentes chez les voyageurs du quotidien et les suites servicielles qui y répondent.


Les hubs territoriaux
Cette étude a fait le constat d’une infinités de constructions individuelles des cheminements dans la ville au sein d’un réseau de correspondances complexes. Elle a identifié une variété de situations de mobilité qui appelle leurs réponses spécifiques. Elle a observé une capacité d’adaptation de ces nomades aux perpétuels ajustements du parcours, à la résolution des obstacles (perturbations, changements de caps…, brefs des impedimentas) et à la satisfaction de leurs requêtes banales.

Si le métro-boulot-dodo d’hier reste le modèle du déplacement de l’actif francilien observé, ce parcours récurrent se mâtine de plans B, voire de plans C avec des nécessités qu’imposent des modes de vie qui s’éparpillent, et avec une aisance qu’encouragent les nouvelles technologies.

Dans le périmètre francilien, les hubs territoriaux existent à de multiples échelles  : de Roissy à la station Cardinet du bus n°30. La mobilité de chacun de ces hubs se mesure à la richesse de ses liens avec le maillage urbain. Plus ils s’étoffent dans une variété de modes de déplacement, plus la capillarité du maillage s’enrichit, plus l’accessibilité aux ressources s’améliore  ; plus aussi, ce voyageur s’y rendra avec la certitude d’y trouver la solution à ses impedimentas .

Les hubs mobiles
Une logique intermodale préside désormais à l’organisation des flux urbains. L’enjeu est la démultiplication et la fluidité des liaisons entre ces hubs. Ces liens – donc les modes de transport – tous les modes  : collectifs, collectifs-individuels (parc public de vélos ou voitures en partage) et individuels – ont eux aussi une qualité de mobilité fonction de leurs accessibilités respectives aux hubs territoriaux. Parce qu’ils redistribuent eux aussi les flux, ce sont des hubs mobiles. Ainsi, une ligne de RER améliore sa mobilité lorsqu’elle s’adosse à un parc-relais.

Les hubs sur soi
Enrichir le droit à la mobilité, c’est donner à tous les moyens d’une construction in situ et in tempo de ces offres en traversant leur complexité. C’est la travail du troisième hub. Ce hub sur soi – adresse nomade du voyageur (06 et …@…) – instruit et guide ces parcours dans une intelligence des informations et de leurs articulations qu’autorisent désormais les TIC. C’est enfin une plateforme qui fait dialoguer les téléphones mobiles avec les écrans intelligents de la ville pour une information en temps réel et en lieu réel.

Les suites servicielles
La mobilité physique – et donc la fluidité des accès à toutes les ressources de la ville – est tributaire d’une cohérence globale de ces trois hubs. Leur orchestration repose sur une concertation de partenaires multiples. Ce chantier appelle une forme d’ensemblier qui règle la chorégraphie et lui donne la forme de ce que nous avons appelé des suites servicielles.

De cette vision cinétique de l’usage de la ville se dégagent de nécessaires continuités servicielles. Elles sont fluides et transparentes pour l’usager à la manière du roaming qui permet au voyageur franchissant une frontière – et qui donc change d’opérateur – de maintenir l’accessibilité aux services de son téléphone mobile. Le voyageur du quotidien attend qu’il en soit ainsi – sans couture, seamless disent les anglo-saxons – lorsque le voyageur bascule du train au bus. Le voyageur joue des modes comme un homme orchestre. “Définir un client est extrêmement simple, suggérait Louis Gallois, alors président de la SNCF , c’est un usager qui a le choix entre différents modes de transport”. Il a aussi le choix de les articuler. Il définissait déjà l’hypermobile.

Des réseaux sociaux de partenaires
Impedimenta
a identifié des suites diverses. Même déployées dans le quotidien de la ville, ces suites ne sont pas sans rappeler le Web 2.0 et sa dimension collaborative. Ces plateformes ne sont exclusives les unes des autres, ni en termes de supports, ni en termes d’informations mobilisées. Nous sommes dans un système. En revanche, elles sont singulières en termes de réponses aux comportements et donc de fonctions. Elles répondent à la facilitation du quotidien. Elles s’inscrivent dans économie des connaissances autour des routines de chacun  : égocentrique, dira-t-on pour rappeler une des caractéristiques du Web 2.0 (qu’on retrouve dans la Google Toolbar, Netvibes, del.icio.us ou les flux RSS). Ce sont donc des plateformes de concertations entre partenaires au service du citadin avant de s’incarner dans des terminaux.

Le passe de ville
Une première suite concerne les accessibilités publiques diverses de la ville. C’est le "passe de ville". Nous ne parlons pas là d’un terminal unique – s’il existe à Hong Kong (Octopus) ou au Japon (Suica Card), nous n’en sommes pas là en France. Nous parlons de fonctions similaires  : accéder aux transports collectifs, aux parkings, aux vélos publics, mais aussi à la médiathèque ou à la piscine ou encore aux spectacles, cinémas, etc. C’est aussi l’accès banal au journal et au café avec la monétique.

La facture de mobilité
Dans la foulée logique de la première, s’impose la facture de mobilité. Déjà le concept en Suisse rassemble sur une seule facturation toutes les transactions de mobilité d’un même citadin. Elle installe une vision globale de la mobilité urbaine, et solidarise tous les modes, voiture et modes doux compris. Support d’une mobilité durable, elle crédite par exemple du partage d’une même voiture. Ce support se customise selon que suis étudiant, chômeur, abonné, sénior…

La suite navigation
La suite navigation est l’épicentre de l’hypermobilité. C’est le lieu de la construction des parcours et de l’arbitrage des modes. C’est le moteur personnel de recherche de la ville et de ses parcours. Cette suite rassemble les moyens d’accès aux informations qui relient cette infinité des ressources qui s’appelle la ville. Elle s’esquisse ainsi avec le projet "RATP dans la poche". Les attentes latentes décelées appellent encore d’autres développements dans une vision de facilitation du quotidien.

Le Single Media Center
Reste la suite médias. Outre l’accès aux médias dans leurs formats désormais mobiles, cette suite inclut les contenus et relations interpersonnelles. Le single media center épouse les mobilités et permet de vivre le temps du déplacement en restant en lien si on le souhaite. Cette suite permet de faire du déplacement autre chose qu’une parenthèse entre deux activités. C’est le lieu de la détente, du divertissement, de la culture, de l’échange, du rendez-vous, du travail, voire du rêve… autre définition de la ville  !

L’hypermobilité
Il n’y a pas d’angélisme dans ces attentes d’hypermobilité des citadins, mais une demande claire, même si elle est latente. Des débuts de réponses se formulent ci et là. Cet été, Guillaume Pepy, directeur général exécutif de la SNCF , signait dans le Figaro un éditorial sous le signe de l’ultramobilité. Son propos traduit une même tendance à jouer de cette variété de modes : “Les transporteurs sont percutés de plein fouet par cette révolution : l’homme nomade ne souhaite plus seulement être mobile, il veut être ultramobile. Il veut voyager aussi facilement, aussi librement et aussi rapidement qu’il téléphone ou qu’il se branche sur Internet, et cela quelle que soit sa destination ou le moyen de transport qu’il utilise. Il recherche l’autonomie et rejette les contraintes.”

S’il n’y a pas d’angélisme, cette demande puissante que les technologies rendent désormais possible en appelle à la capacité collaborative des acteurs de la ville. C’est d’abord là que commence le défi de la Ville 2.0, les trois hubs qui la structurent et les suites au service des citadins.

Bruno Marzloff

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1. Impedimenta, nom masculin pluriel (mot latin, qui signifie bagages.) 1. Vx. Véhicules, bagages, etc., qui ralentissent la marche d’une armée. 2. Litt. Ce qui entrave l’activité, le mouvement.

2. L’étude Impedimenta a été conduite par Chronos et In Process avec sept partenaires  : France-Télécom R&D, JCDecaux, Monoprix, Predim (programme de recherche du Ministère des Transports), PSA, RATP et Vinci Park. Elle avait pour cadre l’Ile-de-France et pour sujets observés des hypermobiles. Ces derniers se définissent par l’intensité de leur multimodalités et conjuguent mobilité physique et la mobilité numérique. Cette mobilité-là se nourrit de celle-ci. Elles sont indissolublement liées. Voir "Du web à la ville" in Urbanisme, juin 2006.

3. Un hub, ou concentrateur, en informatique est un noeud (matériel ou logiciel) d’interconnexions. Dans le domaine des transports, on le traduit également par le terme "moyeu", où arrivent et d’où partent les rayons d’une roue. C’est également un modèle d’organsation aéroportuaire qui offre aux passagers la possibilité de voyager d’un point à un autre de la planète par une seule plate-forme de correspondance.

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