L’internet n’a pas de mémoire

Le réseau est ma conscience, mais l’internet n’a pas de mémoire. Les traces que nous laissons ne sont valables que sur l’instant, avant de disparaître socialement et physiquement… Sauf que nous ne maîtrisons pas totalement cette disparition, qui reste, essentiellement, comme dans la vie, l’oeuvre du temps.

C’est une histoire comme mille autres d’un billet qu’on publie et qu’on retire. D’un mot, bon ou mauvais, d’un jugement péremptoire posté un peu rapidement qui vous échappe et fait le tour de vos amis, de vos connaissances, de la blogosphère, jusqu’à la machine médiatique… Ce que l’on pensait caché se réplique de mails en forums, se démultiplie sur les blogs, s’archive dans les caches de Google et d’Internet Archive, quand ce n’est pas dans ceux de sa propre machine. Avec l’internet on ne peut plus se rétracter. Le moindre de nos propos est public. Il parcourt les réseaux, visible aux yeux de tous, analysé, passé au crible. Le verdict des lecteurs est la plupart du temps silencieux, tant et si bien qu’on pourrait se croire libre de toute astreinte. Mais non ! Au premier dérapage ils sont là. L’internet fonctionne comme un panoptique inversé. Tout propos est réplicable. Tout document publié est répliqué. Le réseau est exigeant : l’erreur, la négligence y sont vite sanctionnés, le remords est impossible puisque notre propre production nous échappe. Les conversations globales prennent le pouls de l’immédiateté. Le réseau est ma conscience, mon Jiminy Cricket.

Mais tout cela, ne me semble valable que sur l’instant. Car l’internet n’a pas de mémoire, ou si peu. Il stocke tout, mais perd beaucoup. Sa mémoire est immense, mais superficielle. Les données numériques, à ce jour, sont tout de même ce qui reste de plus volatil et périssable. Les traces de nos bêtises en ligne s’effacent, disparaissent bien plus facilement qu’un procès-verbal de gendarmerie. Elles disparaissent « socialement », en perdant toute forme de visibilité publique. Elles disparaissent, physiquement, mangées par les erreurs humaines et techniques. Toute notre activité sur l’internet favorise d’ailleurs cette volatilité. Les moteurs privilégient les informations, photos et textes les plus récents (et cela risque d’être de plus en plus le cas, car le coeur de l’internet est dans la conversation, pas dans l’archive comme nous l’ont peut-être trop fait croire les universitaires, primo-utilisateurs du réseau). Sur le web, nos propos les plus anciens finissent par disparaître aux oubliettes. La pérennité n’est pas le premier souci des hébergeurs, des fournisseurs de services, des utilisateurs. Qui sauvegarde régulièrement et méthodiquement ses données ? Qui répare les liens cassés sur ses photos publiées en ligne il a 3 ans ou 5 ans ? Qui garde des mails vieux de quelques années, quand depuis vous avez changé plusieurs fois de logiciels et que la lourdeur de cette masse d’archives rend les recherches impossibles ?

C’est à croire que le ménage de nos données se fait petit à petit, d’une manière assez naturelle finalement, couche par couche, enfouissant les informations les plus anciennes et les moins exploitées au fin fond des pages de résultats de requêtes. Si vous avez eu de vieux sites ou de vieille pages persos, vous vous êtes certainement rendu compte, que ceux-ci sont souvent morts de leur belle mort (non renouvellement de noms de domaine, crash de l’hébergeur…). Même de vieux propos postés sur un forum ont bien souvent – pas toujours c’est vrai – été enterrés sous les millions de discussions qui ont suivi. L’internet ne semble avoir qu’une mémoire immédiate, ou du moins, il la privilégie outre mesure et certainement de plus en plus. Qu’en sera-t-il des photos des enfants devenus grands postées dans FlickR quand on voit déjà combien certains services ont du mal à garder en mémoire des photos postées il y a quelques mois ? Retrouver des propos tenus il y a 5 ans sur le web relève tout de même d’une certaine gageure, quand les dépêches d’il y a 15 jours continuent de disparaître sous nos yeux. Le nouveau chasse l’ancien. Les propos s’enterrent. Quant à dire que les propos tenus par les ados tenus sur les skyblogs leurs seront reprochés quand ils entreront dans quelques années sur le marché du travail, j’ai quelques doutes, vu le ménage fait avec régularité par la plate-forme, la suppression régulière des blogs par leurs auteurs eux-mêmes…

Alors oui, il est juste de dire qu’on ne maîtrise pas la disparition des traces qu’on laisse et que quand l’on souhaite vraiment chercher dans des amas de données, parfois, on trouve. Ca prend du temps. Et demain, il faudra certainement encore plus de temps pour fouiller ces données chaque jour plus nombreuses. Sans compter que les outils de fouille de données pour faire vivre cette mémoire sont encore loin d’être accessibles à tout à chacun. Quand bien même ils seraient accessibles, pourrons-nous exploiter ces contenus d’un simple clic ? Ou resteront-ils toujours accessibles seulement à des professionnels de la recherche, sachant prendre le temps de trier et d’analyser une somme de résultats ? Tout reste sur le réseau, mais pour autant, devient de moins en moins accessible avec le temps, et donc pourrit, disparaît, s’efface dans la grande masse des données qui ne sont jamais appelées.

Bien sûr, certains faits vous marquent, certains effets viraux, certaines réplications, démultiplications… vous « fichent » en ligne et souvent pour longtemps… voire d’une manière indélébile. Les affaires judiciaires, les polémiques qui donnent de la consistance au réseau et à la blogosphère, les Google Bombing… sont autant d’exemples de traces plus indélébiles que d’autres. Mais ne sont-ce pas les mêmes que celles qui nous marquent dans la vie ? Pourquoi le réseau permettrait-il plus ou mieux que d’autres de se départir de son passé ? Il est vrai que quand vous prenez la parole publiquement, sur un sujet visible ou polémique, même de manière occasionnelle, vous vous exposez à ce que vos propos se gravent pour longtemps à plusieurs endroits de la webosphère. Mais en cela, l’internet ne fait que prolonger le monde tel qu’il est. Les nouvelles traces continuent de chasser les anciennes, même si certaines sont plus difficiles que d’autres à gommer. Comme le disait Guillermito, dont on connaît l’histoire : « Google est mon casier judiciaire, il est accessible a tous, et il ne disparaîtra jamais ».

Il sera peut-être toujours possible de retrouver quelques traces – vieilles insultes entre blogueurs ou vieilles photos de vous en train de cuver votre vin dans une fête. Si cela était le cas, je pense tout de même profondément qu’elles n’auront pas la même valeur que celles qu’on pourrait leur accorder aujourd’hui, parce que toute une génération aura déjà vu ce type de propos ou d’images sur l’internet. Une photo d’un type qui montre ses fesses choque encore parfois. Mais retrouver dans 20 ans ce type de photos alors que toute une génération le fait sur Skyblog ou MySpace aujourd’hui, n’aura pas la même portée, non seulement pour ceux qui seront devenus nos pairs, mais tout autant pour des relations plus formelles que ce soit des employeurs ou des électeurs devant lesquels on se présenterait… J’espère que ce sera plutôt un facteur de sympathie et d’empathie qu’autre chose, comme un souvenir en commun. Ces reliquats numériques ne serviront qu’à faire bruire la machine médiatique d’une secousse supplémentaire, d’un hoquet, comme elle en connaît tant. Et qui finissent par s’oublier, le plus souvent, quelques heures plus tard. La conversation continue.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. La différence, tout de même, c’est que « la conversation continue », en effet, mais « en
    public ».

    Nos griefs, bévues, souvenirs personnels laissent des traces, chez nos proches comme dans nos souvenirs, et s’estompent plus ou moins. Avec l’internet, c’est effectivement plus ou moins pareil, à ceci près que des personnes qui ne sont pas des proches, qui ne connaissent ni les tenants, ni les aboutissants de nos histoires, peuvent un jour en entendre parler, comme d’une rumeur.

    Il ne s’agit donc effectivement pas d’une « mémoire », plutôt de traces, publiques, et propices à toutes formes d’interprétation.

  2. Oui Jean-Marc, que comme on sait décrypter une rumeur, on apprendra, avec l’expérience, à décrypter ces traces et à rester intelligents sur l’interprétation qu’on peut en faire, en comparaison d’autres expériences passées. Mais c’est mon côté optimiste qui parle.

    Oui Joël, comme vous dites, « Il va falloir se justifier de tout, choisir avec précaution chaque mot, penser au double sens, aux gens qui pourraient mal le prendre, et surtout, ne jamais se contredire ! » et en même temps, j’ai un peu l’impression du contraire. C’est sur l’instant, où on ne peut pas faire de bévue, mais sur le long terme, je ne suis pas sûr que ça fonctionne aussi bien. Non ?

  3. Hé bien voilà un bien joli billet, Hubert.
    En effet le web n’a pas de mémoire; pas plus que l’homme d’ailleur. Et le Web est fait d’hommes avant tout;
    bien joué.:)

  4. Article des plus interessants. Surtout quand on connait la course au tera octects que Google s’est lancé…ou tout s’implement son objectif: mémoriser le monde. A partir de là, plus rien n’étonne. (on concerve ses mail dans des boites toujours plus grosses, on veut des clés USB toujours plus imposantes…et des disque dur de 500GO)

    HS: quel est cette manie de définir internet ? delui mettre n article défini ?

    N’y a t il pas qu’UN internet, un réseau global ? dire L'(e) internet, c’est sous entendre qu’il y en aurait d’autre ?
    Pourquoi définir l’indéfinissable d’autant plus qu’internet n’est synonyme de rien du tout.

    ++

  5. hubert,

    Nous avons eu du mal a apprendre à lire, nous ne savons pas encore « voir » alors demeler des liens complexes …. Cela me rappelle un livre de Roger Zelazny L’enfant tombé de nulle part ou la magie est un ecehveau de liens qui unit les objets du monde et qu’il suffit de réorganiser.

    Qd au Panopticon, je serais heureux de pouvoir en discuter avec toi et d’écrire qq chose ensemble en le mélangeant à la sous surveillance (je dois écrire ce post depuis longtemps)

    Amicalement… leafar… définitivement un fan!

  6. Mat : Sans vouloir une seconde relancer un débat sans fin, nous avons opté, pour l’internet depuis plusieurs années. L’idée, de cette convention d’écriture, que l’on retrouve assez couramment, est de rappeler que l’internet est un nom commun, pas une personne, ni une marque déposée. C’est aussi, clairement, une manière de le désacraliser.

    Il n’y a pas un Internet, juste l’internet. Un peu comme de dire que le réseau a autant de facettes que d’usages. 😉

    On peut faire d’autres choix. C’est le notre.

  7. Très bel essai. Une dimension peu analysable en pratique est l’encapacitation (pardon pour ce terme…) des internautes à gérer leurs propres archives du Web (sur disque dur ou autres supports). Les outils (aspirateurs, podcast, gestionnaires de sauvegarde etc.) sont là et utilisés. Quelle est les motivations ? Quels sont les contenus sélectionnés et pour quelle valeur future (escomptée, redoutée) ? Qui va étudier et nous rendre compte comme un miroir tendu nos disques durs et nos support optiques qui prennent déjà de la poussière ? Nous sommes bien à la fois au centre et à la périphérie du panopticon…

  8. > N’y a t il pas qu’UN internet, un réseau global ? dire L’(e) internet, c’est sous entendre qu’il y en aurait d’autre ?
    > Pourquoi définir l’indéfinissable d’autant plus qu’internet n’est synonyme de rien du tout.

    Non, il y en a plusieurs. « internet » est un nom commun.
    Un internet est un ensemble de réseaux interconectés. L’Internet est le réseau coopératif mondial reliant de nombreux réseaux entre eux.

  9. Puis-je me permettre de vous « mémoriser » sur mon Blog ? 😉

    Et si, par esprit ReBelle, ce Blog venait à ‘tout se souvenir toujours’… dans le seul but de d’ immortaliser ‘ces’ pensées – les vôtres et celles des autres – qui déjà se sont éteintes dans vos propres cerveaux.

    Courage, humains… ‘tout cela n’a aucune importance’ puisque le temps modifie tout à tout instant.
    Et qu’y pouvons-nous ?

    Je vous le demande…

  10. Je pense qu’il faut tout de même modérer ces propos.
    Quand vous faites une recherche, les résultats qui s’affichent en premier ne proviennent pas de pages plus récentes (il n’y a pas de lien).
    A mon avis, c’est notre (les internautes) comportement qui nous fait visionner des pages au contenu « frais ». Nous allons plus rechercher des fais d’actualités que des faits historiques…
    Il faut aussi séparer les informations qui évoluent avec le temps, et celles qui restent inchangées. Sur les informations inchangées, le moteur de recherche ne va pas priviliégier le nouveau contenu, mais la page la mieux référencée.

  11. Une chose impressionante est la disparition complète de site internet entiers qui ne sont plus sur le web : nous avons, vous avez fait et entretenus des site pendant quelques mois.. années, et 2 ou 3 ans apres, meme google ne les retiens plus dans le cache .. La disparition de la mémoire de la toile est en effet impressionnante.

  12. il y en a qui dit que l’internet n’est pas plus intelligent que l’homme, oui c’est vrai en quelque sorte, parce qu’enfet, si comme ex il y a des gens qui soite ne sait pas ou qu’il a oublié une reponse a une question, dans ce cas la reponse il est sur internet, ou bien pour etre honête, personne ne sera conbien sa fait 7538980+7539/54*85 a part que si en ecrit ce calcul la sur google, l’internet trouve la reponse en 1 seconde ! si on cherche un code d’un jeu, on peut trouver sur internet si vous voyer ce que je veux dire

  13. et pour la suite de ce que j’ai ecrit ; le calcul que j’ai ecrit, la reponse, c’est pas l’homme qui a ecrit, je lai ecrit sur google (le calcul) voici la reponse : 7 550 846.94

  14. La BnF et l’INA archivent une bonne partie du web depuis quelques années…