La fracture numérique locale

« L’idée selon laquelle les nouvelle technologies de l’information auraient rendu caducs les risques de concentration constitue le mythe principal et le plus dangereux de l’ère numérique », vitupère Eric Klinenberg, professeur de sociologie à l’université de New York, dans une tribune parue dans le Monde Diplomatique de janvier 2007.

« En septembre 2005, à Washington, deux hommes furent assassinés à quarante-cinq minutes d’intervalle, l’un dans une rue cossue, l’autre dans un quartier pauvre du sud-est de la capitale. Le premier meurtre fut relaté par le Washington Post dans un article de cinq cent vingt-huit mots, le second n’eut droit qu’à une brève de cinquante-six mots. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car, dans ce dernier cas, les résidents ne disposaient pas non plus de blogs, de forums Internet leur permettant d’organiser des rassemblements, d’exiger de meilleurs services municipaux et davantage de protection. Les premiers eurent recours à la Toile, ceux du sud-est de la ville n’avaient nulle part où aller.

Aussi longtemps que l’accès à Internet et la capacité de monter un site ne seront pas plus équitablement distribués dans la société, le gouvernement électronique, les forums de quartier et les blogs pourraient bien, à l’inverse de ce qu’escomptent leurs artisans, aggraver la fracture sociale, procurer de nouvelles ressources aux citoyens déjà privilégiés, leur permettant de participer aux institutions démocratiques ou de faire valoir leurs droits auprès des autorités.

Les questions nées de la généralisation d’Internet nous rappellent une chose que les historiens des médias énoncent depuis des générations : les nouvelles technologies n’éliminent jamais la nécessité de concevoir des dispositifs légaux pour empêcher par exemple qu’un petit nombre d’entreprises géantes dominent le marché et se tournent en priorité vers les populations les plus favorisées. »

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0 commentaires

  1. C’est tellement vrai, et évident !!

    TODO: lire Dominique Wolton sur le communautarisme qu’apportent les NTIC …
    dixit lui-même:
     » Le défi de la communication est moins de partager quelque chose avec ceux dont je suis proche que d’arriver à cohabiter avec ceux, beaucoup plus nombreux, dont je ne partage ni les valeurs ni les intérêts. Il ne suffit pas que les messages et les informations circulent vite pour que les Hommes se comprennent mieux. Transmission et interaction ne sont pas synonymes de communication. »

  2. je crois que c’est dans « Internet et après, une théorie des nouveaux media » (Flammarion)
    s’il est vrai qu’il y a un risque d’hyper-individualisation engendré par le choix laissé aux individus (p.e. un JT sans mauvaises nouvelles), il ne faut pas se tromper de cible; le problème avec Wolton c’est qu’il est atteint de misanthropie galopante : aucune confiance dans le genre humain.