Quand les réseaux sociaux nous ramènent aux rites tribaux

Et si l’engouement pour les réseaux sociaux relevait des processus en vigueur dans les rituels tribaux ? C’est la thèse explorée dans le New York Times par Alex Wright, journaliste, écrivain et ancien « architecte de l’information » du NYT, de l’Internet Archive ou encore de Yahoo.

Tout comme le Web, l’oralité est en effet « participative, interactive, collective et focalisée sur le présent« . Tous deux visent également, selon Wright, à « unir les gens et les groupes« , et les communications électroniques (billets, commentaires, mails, SMS et autres messages « instantanés ») relèvent bien souvent plus de l’ordre de l’oralité que de dynamiques et processus propres à l’écrit.

Dans le même temps, les signes et symboles utilisés lors de ces échanges (avatars, smileys, vidéos et « blagues » envoyés par e-mail, widgets et gadgets envoyés sur Facebook, etc.) s’apparenteraient à des totems, ou encore à ces cadeaux (outils, verroterie, armes, symboles) qui, dans les cultures tribales, visent à se faire accepter par autrui, note Lance Strate, professeur de communication à l’université de Fordham, blogueur, utilisateur de MySpace, et cofondateur de l’association d’écologie des médias.

L’objet de cette discipline, défini par Neil Postman, critique et théoricien de la communication, est d’étudier la façon dont les médias affectent la perception, la compréhension, les sentiments et les valeurs humaines.

Michael Wesch, qui se revendique lui aussi de l’écologie des médias, a décidé de se pencher sur les réseaux sociaux après avoir vécu 18 mois dans une tribu papoue en Mélanésie où il étudiait l’apparition de l’écriture. Evoquant dans le New York Times la notion d’identité, il dresse de même un parallèle entre les cultures tribales, où l’on est ce que les autres savent de vous, et Facebook, où l' »on se définit par ses amis« .

Alex Wright relève toutefois plusieurs différences : dans les sociétés tribales, les liens sociaux sont une question de vie ou de mort, et l’on n’y établit de relation que face à face, contrairement aux réseaux sociaux. Ils désinhibent également les participants, au point d’y retrouver des groupes se revendiquant de la pochetronerie ou qui militent, comme sur Facebook et entre autres futilités, « Contre les cons qui restent immobiles à gauche sur l’escalator« .

Quand la machine nous (des)sert
Le parallèle entre l’oralité et les réseaux sociaux n’est pas nouveau : dans « Orality and Literacy : The Technologizing of the Word » (« Oralité et alphabétisation : La technologisation du mot« ), publié en 1982, Walter J. Ong, qui avait précédemment étudié avec Marshall McLuhan, qualifiait ainsi de « seconde oralité » la tendance des nouveaux médias électroniques à faire écho aux anciennes traditions orales.

Ong voyait dans l’écrit une technologie. Michael Wesch, lui, s’est surtout fait connaître, cette année, par ses désormais célèbres vidéos où il explore ce que les nouvelles technologies, et usages, du web 2.0, recèlent et engendrent de nouveaux paradigmes sociaux.

La vidéo la plus connue (elle a été visionnée plus de 4 millions de fois), « The Machine is Us/ing Us« , souligne ainsi ce que l’interconnexion croissante des réseaux et des gens, au travers du Web 2.0, doit nous amener à repenser :

« Information R/evolution « , qui circule beaucoup sur la blogosphère ces derniers temps, explore pour sa part ce que modifient nos nouvelles façons de trouver, classer, créer, critiquer et partager l’information :

Conçue, et réalisée, avec 200 de ses étudiants, « A Vision of Students Today » explore le décalage entre ce qu’ils vivent au quotidien et la réalité doublement « déconnectée » de leurs lieux de formation, pourtant censés préparer leur avenir :

Paradoxalement, souligne Michael Wesch dans le New York Times, les réseaux sociaux pourraient nous faire perdre ce qui nous reste de nos traditions orales. Pas seulement parce que nous passons de plus en plus de temps à tapoter, et de moins en moins à parler, mais aussi parce que les liens entre amis « virtuels » ne sont généralement pas aussi forts que ceux qui nous lient à nos ceux du monde physique.

Les réseaux sociaux, souligne Lance Strate, sont pourtant précisément peuplés de gens qui cherchent avant tout à dire qu’ils existent, et qu’ils font partie de la communauté.

Via L’Oeil du Xeul.

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0 commentaires

  1. Les chercheurs parlent depuis quelques temps de SNS Social Networks Sites (Sites de réseaux sociaux) ce qui irait dans la continuité des « sites sociaux » que tu évoques. Pour autant le terme Réseau social n’est pas à jeter avec l’eau du bain. Voilà quelques temps tout de même qu’il décrit cette réalité là aussi (qu’on l’utilise, et pas seulement nous à IA et que ses acceptions soient suffisamment vastes pour être à peu près compris par le plus grand nombre).

    Le problème des termes, c’est qu’il faut toujours qu’on finisse par en employer un qui fait sens à un moment lambda. Chaque mot déclenche ses batailles (on l’a vu sur le terme Web 3.0 par exemple, sur l’internet des objets). Donc, j’ai bien peur qu’on continue à parler de réseaux sociaux, même si la complexité de ce qu’ils décrivent ne cesse de s’étoffer.

    Ceci dit, malgré sa complexité apparente, décrire les sites sociaux comme des centres d’affaires de l’économie de l’attention est loin d’être faux. Pas facile à faire entendre, mais pertinent ;-).

  2. Loïc Hay me signale une vidéo assez proche de « Vision of students today » de Michael Welsh. Une vidéo volontiers polémique sur l’enseignement à l’heure des nouvelles technos, mais en français. « Un montage qui vise à susciter la réflexion sur les pratiques pédagogiques, sur l’impact que les technologies ont dans la salle de classe et sur l’évolution du rôle des apprenants et des enseignants », explique ses concepteurs.

  3. L’économie de l’attention est celle qui dominante aujourd’hui, celle qui nous enfume. Ses centres ne sont pas ici mais ici, mais de l’autre côté de l’atlantique, à Palo Alto ou ailleurs. Combien de temps faudra t-il continuer à avaler cette propagande d’un monde dans lequel nous n’avons pas la droit de citer? Combien de temps continuerons-nous à singer ses comportements, en faisant ici des startups et des plates-formes centrées à 3,5O€, en faisant mine d’avoir un chance quelconque de s’imposer face à celles construites à coup de milliards de dollars? Combien de temps vivrons-nous dans l’illusion des « pôles de compétitivité » et de leurs « labels » enchantés?

    Je soutiens qu derrière l’économie de l’attention, il en est une autre possible qui pourrait s’appeler l' »économie du lien ». Ce n’est pas une affaire simple mais c’est la seule porte de sortie, pour l’Europe et le reste du monde.
    http://perspective-numerique.net/wakka.php?wiki=EconomieDuLien

    Les mots ont leur importance. Ils sont même ce qu’il y a de plus essentiel. Il permettent de décrire la réalité et d’agir sur elle. Comment veux-tu que ceux qui travaillent sur de véritables « réseaux sociaux » soient entendus si on leur en enlève les mots de la bouche? Internet-Actu a un rôle certain à jouer contre le siphonnage sémantique généralisé. La guerre économique est désormais avant tout sémantique!

  4. C’est l’époque qui nous ramène aux rites tribaux ! Dissolution de l’individu dans l’imaginaire collectif, difficulté à penser la post-modernité… L’émergence des « réseaux sociaux » est une conséquence des modes de vie tribale.

    Relire « Le temps des tribus » du sociologue Michel Maffesoli.

  5. « La guerre économique est désormais avant tout sémantique!« , certes.

    A ce titre, on doit aussi s’interroger sur l’appelation NBIC, qui oriente clairement le débat; cela dit, Facebook a plus de succès en France et aux USA, mais ailleurs, c’est orkut, ou bebo, etc., et si la majeure partie sont effectivement d’origine américaine, la problématique (des « rituels tribaux ») reste la même, ce me semble, dans la mesure où -et tu as raison de le souligner- il ne s’agit jamais, surtout, que de quolifichets aux vertus symboliques discutables.

    Reste qu’une analyse sociologique des réseaux qui ont une autre idée des liens sociaux se heurte encore aujourd’hui, ce me semble, au nombre de leurs utilisateurs et à la qualité de leurs échanges d’une part, d’autre part à l’intérêt que peuvent y porter observateurs et universitaires.

    Il me semble à ce titre que les forums, groupes et listes de discussion thématiques (de usenet à phpbb en passant par mailman et consorts) sont bien plus intéressants (en terme d’économie du don, notamment), et « sociaux », que les sites dont il est question, là. Mais j’avoue ne pas avoir identifier de pointeur, groupes de réflexion ou études en la matière.

  6. Ce billet est bien dans le ton de la fin de cycle innovation des réseaux sociaux où, étant redescendu du pic des espérances, on se demande ce qu’il y a de vraiment nouveau. En même temps que l’on découvre que ce que l’on pensait être de la nouveauté est plus une relecture ou reformulation de choses déjà faites ou que nous faisons, nous sommes malgré tout en mutation.
    Du coup, cela crée des tensions et boucle bien avec la conscience que cela devient vraiment gros et important alors que rien ou si peu n’est fait pour accompagner ce changement :
    – sur l’éducation, et la vidéo de Loic Hay m’a bien claqué tout conscient de ces sujets que je suis
    – sur l’économie, où je rejoins Olivier Auber tout en pensant que c’est vraiment mal barré vu combien l’économie de ce siècle n’est pas d’actualité dans les mains de ceux qui président l’avenir de ce continent et plus encore ici. On en est encore à se demander si tout cela vaut la peine de s’y plonger, quand les autres ont plus que transformé leur stratégie. Y a t’il encore de la place pour d’autres modèles ? Et si je lis les économistes du moment, on est plutôt dans le replis sur l’économie résidentielle, où dans un rôle de remorque plus que de locomotive de cette économie (Denis Ettighoffer par exemple).
    – enfin, oui les mots on un sens, mais il faudra se faire à l’idée que les mots-valises imparfaits comme « web 2.0 » et « Réseaux sociaux » ne sont que des véhicules aux idées et que ce qui est important est moins cet emballage que ce que l’on impulse à travers. Cessons l’idéologie et inventons autre chose.

  7. Effectivement, ce sont les Autres, ceux qui détiennent les clés de l’économie, détiennent les réseaux ou du moins orientent les nouvelles formes de communications et d’échanges, mais que vous le soulignez c’est quoi qui est nouveau dans tout ça, c’est la forme. Mais au fond, il s’agit d’une reproduction du sens et de la sémantique,

  8. Hé, super intéressant ! Donc, si j’ai bien compris, les réseaux sociaux c’est comme les rites tribaux sauf dans certains cas où c’est différent. Et ben !
    Comme disait l’autre : quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on a bien raison de penser ce qu’on pense.

  9. Bon, c’est bien joli de se moquer. Et en plus c’est facile. Voici donc mon analyse du développement des réseaux sociaux. Tout cela part de l’idée qu’on va pouvoir entrer en relation avec des personnes qui vont nous apporter quelque chose (un nouveau job super bien payé, une idée géniale, de l’amitié ou plus). Le problème c’est que les autres, quand ils se sont inscrit avaient le même espoir. Et on se retrouve avec des milliers de personnes qui attendent que les autres fassent pour eux ce qu’ils ne sont pas capables d’apporter aux autres. Evidemment, pendant ce temps, les créateurs du réseau, qui n’ont pas eu besoin d’un réseau social pour créer la chose, s’en mettent plein les poches. Bien joué ! Les miséreux parlent aux miséreux et enrichissent les winners.
    Tout cela part du fantasme qu’on va devenir un winner avec un super carnet d’adresse qui permet d’avancer plus vite dans la vie. Sauf que ceux qui ont déjà un super carnet d’adresse et tout, et tout, ils ne sont pas sur les réseaux sociaux. Pas besoin !
    La prétention de l’être humain reste une valeur sure pour s’enrichir.

  10. Bonjour à tous,

    Je ne résiste pas au plaisir de rebondir sur les derniers commentaires qui résument très bien la limite des réseaux.

    Avant de jeter mon dévolu sur le réseau spécialisé http://www.anmv.fr, réseau dédié aux salariés des forces de vente, j’ai beaucoup navigué sur des plateformes qui à leur création ressemblaient plus à des clubs qu’à des mégas réseaux, comme c’est le cas aujourd’hui.

    Un réseau non spécialisé n’est ni plus ni moins qu’un gros annuaire de membres. Une fois logué, il ne reste qu’à chercher le bon interlocuteur prestataire du service dont on a besoin à l’instant T.

    Alors, ces mégas plateformes n’auraient elles pas perdu leur caractère collaboratif en se transformant en annuaire de la poste?

    C’est à mon sens pour cela qu’aujourd’hui commencent à émerger des réseaux dédiés, spécialisés. Ils réservent leur accès à une catégorie de membres qui parlent de la même chose. http://www.anmv.fr parle de la fonction commerciale pour, avec et par les commerciaux. D’autres plateformes spécialisées vont dans le même sens comme http://www.armées.com qui parlent mili pour, avec et par les militaires ou ceux qui partagent leurs valeurs.

    Au plaisir de lire vos commentaires.

  11. Toute référence aux « joyeuses tribus des nez-percés qui oooh forment des réseaux sociaux comme nous z-autres gentils internautes communaumachinesques » me parait complètement larguée, tout comme le concept même de réseau social (il y en a des non-sociaux ?). Le « temps des tribus » de Mafesoli (désolé pour l’orthographe du nom) en est un parfait exemple, insipide tissu de « mais si, regardez donc, nous sommes tribus ! ». Le concept de « coquille vide » me semble déjà plus proche de la réalité =)