Sur le chemin de l’école 2.0

En France, Alain Finkielkraut proposait récemment de supprimer le Net dans les écoles, au motif qu' »Internet, ça ne sert à rien« . Et si, a contrario, on se servait des multiples usages engendrés par les TIC pour inventer, sinon la société, du moins l’école de demain ?

La “une” du Time sur l’école du XXIe siècleLe Time, qui se demandait récemment, en « Une », comment sortir l’école du XXe siècle et former l’étudiant du siècle présent, évoquait ainsi Curriki, une plateforme éducative en mode wiki créé par Scott Mc Nealy, de Sun, qui recense quelques 8300 cours, et près de 35 000 membres (enseignants, parents, étudiants, experts). Sur la plateforme d’hébergement Wikia, on trouve aussi un certain nombre de wikis éducatifs créés et maintenus par les élèves, avec leurs enseignants (le wiki en français, abandonné, est d’ailleurs « à adopter« ).

Mais, et à l’image des lauréats des « premiers Trophées nationaux des usages des TICE » (c’est-à-dire les Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement), remis lors du récent salon Educ@Tice, on constate que la notion d’usage reste encore ainsi majoritairement dominée par la fourniture de matériels, de logiciels, de scénarios pédagogiques et autres « supports » de cours.

Intervenant à Educ@Tice, Xavier Darcos a ainsi annoncé un plan d’équipement en visioconférence de 1000 écoles « afin de faire dialoguer les élèves avec un locuteur natif de langue anglaise« , la généralisation en 2008 de l’opération « Une clé pour démarrer » (une clé USB avec des logiciels pour l’éducation) à tous les professeurs sortant d’IUFM, et le développement de « classes numériques nomades » équipées de portables avec connexion Wi-Fi, d’un vidéoprojecteur et d’un tableau blanc interactif.

Mais quels seront les usages initiés par ces nouveaux outils, et comment éviter qu’ils ne finissent aux fonds de tiroirs ou de débarras, comme c’est souvent le cas en matière de TICE, faute de formation, de préparation, de soutien et de support technique ? Et comment se départir de cette logique top-down, peut-être fidèle à la tradition académique de l’éducation nationale, mais guère adaptée aux perspectives offertes par les nouvelles technologies ?

De l’école de la République à l' »écosystème » scolaire mondial

Dans une démarche à la fois plus humble et plus ambitieuse, le bureau des technologies éducatives du Département de l’éducation américain a pour sa part lancé un site web intitulé School 2.0 illustrant à quel point la question n’est plus tant celle de la connexion à l’internet des écoles, non plus que du matériel ou du logiciel, mais de la mise en réseau de ceux qui y sont impliqués, élèves, enseignants, parents, personnels administratifs, politiques et techniques.

School 2.0

School 2.0 n’a pas pour objectif de recenser les outils en ligne susceptibles d’intéresser élèves et enseignants (voir, pour cela, le répertoire de Brian Benzinger), mais d’inciter à la réflexion, et d’inviter au débat, au motif qu' »il n’y a pas un chemin unique pour aller vers l’école de demain« , et que l’intégration des technologies à l’école est de la responsabilité de tous.

Le site, sous-titré « Rejoignez la conversation » se résume ainsi à une plaquette, ou plutôt à un poster, dont l’objet est moins de répertorier les usages des TICE que de démontrer qu’ils s’insèrent dans « écosystème » scolaire, et que c’est l’avenir de cet écosystème dont il convient de discuter, plus que des outils à privilégier. En effet, si la mode est aujourd’hui à Facebook et autres MySpace, qui sait quels outils seront utilisés dans 2, 5 ou 10 ans ?

Comme le soulignait, pour stimuler la réflexion sur l’avenir de l’éducation, la désormais célèbre vidéo « Did you know » (elle a été visionnée plus de 10 millions de fois, en moins d’un an), « nous préparons actuellement des étudiants pour des métiers et des technologies qui n’existent pas encore… afin qu’ils puissent résoudre des problèmes dont nous n’avons encore aucune notion« .


Les temps changent ! Le saviez-vous ?, traduction de « Did you know » par Jean-Marie Leray

En attendant de savoir à quoi ressemblera l’école dans 10, 20 ou 30 ans, Classroom 2.0 a réuni une communauté de plusieurs milliers de personnes intéressée par les technologies collaboratives en matière d’éducation, et School20.net a pour sa part entamé la rédaction d’un manifeste, en mode wiki, recensant nombre de pistes de réflexions :

  • tout ce qui est enseigné, et partagé, en classe, devrait aussi l’être avec l’extérieur, afin d’être amélioré,
  • les questions sont plus importantes que les réponses, et les questions amènent les conversations : au XXIe siècle, l’éducation relèvera de la « conversation« ,
  • ce n’est pas une question de technologie, mais de pédagogie,
  • etc.

Quand les élèves reprennent la main

En attendant, élèves et étudiants ont eux aussi commencé à s’organiser. En Allemagne, un juge vient ainsi de reconnaître que les élèves avaient le droit, au nom de la liberté d’expression, de « noter« , sous forme d’évaluations, leurs enseignants. Le site incriminé, SpickMich, qui aurait permis à 400 000 étudiants de noter plus de 150 000 enseignants, est cela dit loin de se résumer à ce seul système de notation largement relayé par les médias. Créé par et pour des étudiants, il s’agit plus d’une communauté en ligne à la manière d’un Facebook, faite par et pour élèves et étudiants.

Aux Etats-Unis, relève SmartMobs, on voit apparaître de nombreux sites communautaires dont l’objectif est d’aider les étudiants, et leurs parents, à sélectionner les établissements dans lesquels ils iront étudier. Dans la foulée, écoles et universités utilisent de plus en plus blogs, podcasts et sites communautaires afin d’attirer à eux les étudiants, qui ont pris la désagréable habitude de jeter, systématiquement, les prospectus papiers qui leur sont envoyés ou qu’ils peuvent trouver : « c’est leur monde, et nous voulons qu’ils se sentent comme chez eux« .

Dans certains lycées, on décerne même le titre de « techno-sherpas » aux jeunes chargés d’aider leurs enseignants à apprivoiser les nouvelles technologies, qu’il s’agisse de débuguer leur ordinateur, de contribuer au cours en allant chercher des informations sur l’internet, ou tout simplement de l’aider à apprendre à s’en servir. Non seulement leurs notes ont tendance à s’améliorer, mais cela contribue aussi à améliorer les relations, et le respect, entre enseignants et lycéens.

School 1.0
School 2.0Pour le professeur David Williamson Shaffer, spécialiste des jeux vidéos et de la psychologie éducative, c’est toute l’école qu’il faut repenser : « au sein de l’école 2.0, les rôles sont interchangeables. (…) Les étudiants cessent d’être des miroirs, et deviennent amplificateurs des savoirs. Leur travail ne consiste plus à réfléchir ce qu’ils rencontrent, mais d’ajouter de la valeur. (…) La participation et la mobilisation des énergies sont ici valorisées. » (via Stéphanie Vincent).

En juillet dernier, le Groupe Compas, qui réunit des chercheurs en science cognitive intéressés par les relations entre éducation, cognition et nouvelles technologies, organisait, à l’Ecole Normale Supérieure, un colloque consacré à l' »Ecole 2.0« . Il y fut question de communautés d’apprenants (virtuelles ou non), de leur « nouveau nomadisme numérique« , mais aussi de l’importance de l' »éducation informelle« , le numérique « forçant à réfléchir à un éventuel changement de paradigme« …

Le web, meilleur ennemi de l’école ?

A l’occasion d’une « non-conférence « Vers l’éducation 2.0 » » organisée en septembre dernier, Mario Asselin, qui avait démissionné de son poste de directeur d’école pour s’impliquer dans le web, notait pour sa part que « l’enseignant 2.0, c’est celui qui accepte que la connaissance passe ailleurs que par l’état, la classe et le professeur. C’est d’accepter la collaboration et la cocréation des connaissances« .

Dans son manifeste sur l’école 2.0, traduit en français à l’occasion de ce non-colloque, Christopher D. Sessums avançait pour sa part qu' »une école, c’est avant tout du monde ordinaire« , et que si l' »internet est un réseau formé d’individus. La technologie en éducation porte sur ces individus« . Dans le même temps, il rappelait aussi que « l’utilisateur a le pouvoir. Si les écoles ne comprennent pas cela, alors les étudiants seront en droit d’aller ailleurs« .

Poussant le bouchon un peu plus loin, dans un billet titré « Le Web tuera l’école« , Mario Asselin avance même que « l’école doit mourir. Et si le Web peut servir d’accélérateur pour que les jeunes et les enseignants reprennent l’initiative, je veux bien dire que l’École du futur sera celle où les seuls murs seront ceux qu’on voudra bien se donner !« .

Le sujet est vaste, les propositions nombreuses, et les questions soulevées fusent de tout côté. On peut néanmoins dégager trois axes de réflexion :

  • On a le sentiment que le débat est beaucoup moins présent en France, et que l’approche des « TICE » reste (comme leur nom l’indique, d’ailleurs) extrêmement cloisonnée, focalisée sur l’équipement et les « contenus », et soigneusement tenue à l’écart de toute réflexion en termes de transformation de l’enseignement, ou du système…
  • On assiste en tout cas, aujourd’hui, à un foisonnement d’idées, de réflexions, d’expériences et de témoignages autour d’une « école 2.0 » plus coopérative (entre les acteurs du système éducatif), participative et clairement, constructiviste. Le point de départ commun de ces démarches est la conviction que face à l’allongement de la vie et de la vie active, à l’accélération des changements qui ont pour conséquence que les élèves d’aujourd’hui exerceront pour la plupart des métiers qui n’existent pas encore, et l’accès à la connaissance et à l’expertise qu’offrent les réseaux, on ne peut plus enseigner la même chose qu’avant, ni de la même manière. Ce postulat formulé, on sent bien que les réponses se cherchent encore.
  • Un constat commun, néanmoins : se « servir » de l’internet à l’école présente peu d’intérêt si l’enseignement, la relation entre enseignants et élèves, et l’écosystème éducatif, n’évoluent pas dans le même temps. Sans démarche de transformation, le réseau apporte finalement assez peu, et il importe avant tout de décloisonner le système. Mais à quoi ressemblerait une telle démarche ? Là-dessus, les avis (du moins ceux qui admettent la nécessité d’une telle transformation) ne convergent que pour dire qu’elle n’aboutira pas à un modèle unique…

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0 commentaires

  1. Si on devait supprimer ou interdire tout ce qui ne « sert à rien“, Alain Finkielkraut et ses analyses auraient du disparaitre des medias depuis longtemps…

    Vievement en tout cas que les eleves reprennent la main dans le choix des matieres et de la facon d’apprendre.

    Et que les ecoles de demain ne forment pas seulement des techniciens hyperqualifies dans un domaine tres precis, mais des etre humains cultives et equilibres.

  2. Finkelkraut a un problème de fond avec sa compréhension de la technique, pas seulement du web. Même si par ailleurs les faits qu’il donne dans son argumentation sont sérieux (l’excès de sollicitation et le manque d’attention des enfants). C’est compliqué donc, on a un bon sujet de polémique.
    Sinon, très bon article, y a du boulot 🙂
    Merci

  3. Excellent billet qui nous fait un peu rêver car, pour le reste et comme c’est bien exprimé, on en est aux bonnes vieilles démarches outils, comme au bon vieux temps des TO5 (qui n’ont rien fait à l’école elle-même, mais infusé un fond de culture informatique pas inutile).
    Il a été dit et écrit que tant que l’école ne change pas de modèle, les outils ne feront pas l’effet de levier attendu. Et pendant ce temps l’entreprise évolue vers le 2.0 et l’administration aussi. À ce propos, faudra-t’il, comme dans d’autres secteurs du public, que la baisse des effectifs oblige par contrainte à faire autrement ? Ce serait quand même triste, non ?

  4. Très concrètement, il y a un réseau d’acteurs qui avancent sur ces questions…Apprendre 2.0 est un réseau francophone d’échanges de pratiques et de savoirs autour de la notion d’apprentissage 2.0…il regroupe des enseignants, des formateurs, des spécialistes des TIC, des blogueurs, des parents, des étudiants …tous, passsionés et engagés…

    Pour nous rejoindre c’est ici : http://apprendre2point0.ning.com/

  5. @Florence: merci du lien vers apprendre 2.0, qui m’avait, hélas, échappé, veuillez m’en excuser : j’ai été très surpris du nombre de ressources, textes, communautés, engagés dans cette réflexion, mais ai aussi du décider à un moment d’en rester là, et d’arrêter de vouloir recenser tout ce qui se dit et se fait sur ces questions.

  6. Il y a en effet de nombreux projets en cours sur ces sujets…la particularité de ce réseau est que les échanges se font principalement en langue française et qu’il est ouvert à l’ensemble des acteurs impliqués sur la question de l’apprenance 2.0 : il rassemble des individus à la fois très différents dans leurs manières de s’organiser et très proches dans leurs problématiques de fond…Le pari qui est fait ici, c’est qu’internet peut constituer un territoire de rencontres, d’échanges, de partage et de rapprochement local et global…Les idées et les réalisations se construisent au fur et à mesure et l’implication des acteurs grandit parallèlement…c’est une aventure humaine passionnante et forte !
    Et toutes les personnes qui souhaitent s’y investir sont cordialement invitées !

  7. Bonjour,
    Alain Finkielkraut, comme chacun le sait, est un vrai faux philosophe. Il s’aventure dans cette discipline avec, il faut le reconnaître, une certaine notorité, quoique. Mais il veut aujourd’hui s’aventurer sur le terrain d’un outil qui lui échappe totalemen. D’abord il confond comme beaucoup, Tice, Internet et utilisation de l’ordinateur. alors pour éclairer « Alain » voici une petite démonstration à un cours qui peut l’intéresser : la démocratie.
    Voici donc une utilisation de l’outil informatique via internet parce que cela permet de véhiculer le produit gratuitement :
    http://www.geographie-muniga.fr/MARSEILLE/MARSEILLE.aspx
    Et voici la même utilisation transposée pour une élève aveugle :
    http://www.geographie-muniga.fr/MARSEILLE/MARSEILLE_D.aspx

    Et tout ceci grâce à l’ordinateur et à Internet.
    Allez donc Monsieur « Alain » dire à cette jeune fille que vos cours à l’ancienne sont plus pertinents !

  8. Pour avancer il faudrait bannir le terme école de la réflexion. Ce terme renvoie forcément à cette institution récente, crée au 17° siècle et popularisée au 19°. Il s’agit fort probablement d’une parenthèse dans l’histoire qui ne se maintient que parce qu’elle est devenue une source de revenu pour des centaines de millions de personnes.
    Le paradigme du présentiel est évidemment remis en cause par la possibilité de s’éduquer sans contrainte de lieu. Conscient des risques pour leur profession le lobby éducatif à fait inscrire dans une loi en 1998, et en prenant le fallacieux prétexte des sectes, la priorité des établissements sur les formes d’éducation, on devrait dire instruction, dispensées à domicile.

  9. ET oui l’école française sent la naftaline, comme beaucoup de choses dans notre pays.
    Si avant l’Etat pouvait tout nous cacher, mainentant ça n’est plus le cas.
    Les familles reprennent leurs gamins pour ne plus les laisser à l’école, et c’est ça la vraie avancée, car justement ces gamins ont accès à la vie! et internet, aux voyages etc..; Plus d’endoctrinement de la part de l’ETat et plus de pensée unique. Magnifique.
    Les familles non sco (comme on les appelle) est l’école de demain, oui. Ca fait des enfants sains et instruits, ce qui n’est plus le cas en sortant de l’école.
    Merci pour cet article ça me conforte dans mes choix!

  10. Supprimer l’internet ce serai faire pas un pas en arriere mais 100 kilometres, c’est un outil qui permet d’avoir une nouvelle vue sur un horizon tout aussi ouvert. Dire que « Ca ne sert a rien » c’est de l’ignorance absolue…

  11. Excellent billet qui nous fait un peu rêver car, pour le reste et comme c’est bien exprimé, on en est aux bonnes vieilles démarches outils, comme au bon vieux temps des TO5 (qui n’ont rien fait à l’école elle-même, mais infusé un fond de culture informatique pas inutile).http://www.uggs2your.com/
    Il a été dit et écrit que tant que l’école ne change pas de modèle, les outils ne feront pas l’effet de levier attendu. Et pendant ce temps l’entreprise évolue vers le 2.0 et l’administration aussi. À ce propos, faudra-t’il, comme dans d’autres secteurs du public, que la baisse des effectifs oblige par contrainte à faire autrement ? Ce serait quand même triste, non ?