« Redacted », de la guerre à l’image et retour

Image du film RedactedLe dernier film de Brian de Palma, Redacted – Revu et corrigé s’appuie sur la multitude de sources issues de l’internet sur la guerre d’Irak, remises en scène et filmées en haute définition. Mais son sujet n’est ni l’Irak, ni la guerre, écrit Philippe Azoury dans un passionnant article (Libération du 20 février 2008), mais l’image et la manière dont nous construisons nos réalités.

« Film d’une puissance théorique infinie, Redacted entend interroger le lieu depuis lequel cette guerre désormais s’étend, se déploie, se diffuse, trouve sa forme et en même temps son but, son origine et sa destinée. Ce lieu n’est pas le territoire irakien, ni le mal américain. Ce lieu, c’est l’image. (…) Un film éclaté, en mille morceaux, enseveli sous la succession des sources, des points de vue, un vortex où chaque séquence annule la précédente, en attendant d’être annulée par la suivante. Redacted échappe à tout le monde : à celui qui tourne comme à celui qui regarde. C’est un objet qui dit exactement où nous (en) sommes.

Conclusion du critique : « Le cinéaste est celui qui croit à la responsabilité d’une image, et, surtout, il reste celui qui est sans innocence devant elles. La vitesse à laquelle sont allées les choses ne lui laisse plus pour opportunité qu’être un grand éditeur, un ordonnateur du chaos des documents, des points de vue, des versions véridiques ou falsifiées. Moraliste mais impuissant. Quelque chose s’est passé sur lequel on ne pourra pas revenir. Redacted est ce film qui vient nous dire qu’il est tard, très tard, merveilleusement tard. Et peut-être aussi trop tard. »

D’autres commentateurs n’apprécient pas autant ce film, mais ce n’est pas ici ce qui compte. La question qui nous intéresse ici est de savoir à quel point la brutale irruption dans l’espace public d’images (et d’écrits) soit personnelles, soit automatiques (la vidéosurveillance), devenues témoignages et « contenus », change la fabrique de l’information, de la connaissance, des récits. Qu’y apprend-on vraiment ? Comment teintent-elles notre appréciation d’une situation ? Comment influenceront-elles le récit politique immédiat, historique futur ? Peut-on produire une fiction contemporaine, ou un documentaire, comme si ces images n’existaient pas ? Comme souvent, de Palma teste les limites pour voir quelles bornes tiennent encore et visiblement, il n’en trouve plus beaucoup…

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0 commentaires

  1. Philippe Azoury écrit dans son article:
    « Et comme d’hab, au milieu de cette circulation en boucle, il y a l’Amérique, son inépuisable sujet. Redacted ne dit rien de l’Irak (les Irakiens y font de la figuration). Il va au Proche-Orient traquer le plus profond de l’Amérique. »
    Vrai jusque dans le choix du symbole utilisé pour l’affiche française, cf mon billet:
    http://blog.tuquoque.com/post/2008/02/28/Variations-sur-un-symbole-americain

  2. Dans la continuité, Jean-Baptiste Thoret, Dailymotion, arme de destruction hâtive :

    « Désormais, on ne regarde plus le film mais ses chutes, plus le monde, mais son bêtisier. À Hollywood, on a compris le message – Redacted de Brian de Palma, Diary of the Dead, le prochain George Romero, Rec, sont tous des films qui ont intégré cette nouvelle donne : l’heure est à « l’effet de vérité », au style improvisé, au filmage amateur digne des vidéos de Dailymotion et de YouTube, même si faire pauvre peut coûter cher (voir le récent et très bon Cloverfield).

    Atomisant d’un clic la frontière entre le public et l’intime, entre la confidence et le discours, Dailymotion, dont la fréquentation en France écrase tranquillement celle de la presse et bientôt de la télé, ne se contente plus de retraiter sur un mode mineur et potache le contenu des médias institutionnels mais commence, l’air de rien, à le dicter, transformant politiques, journalistes et autres commentateurs, en sémiologues naïfs d’haïkus vidéo. Naïfs parce qu’ils croient ce qu’ils voient, naïfs parce qu’aucun d’eux n’est à l’abri d’un vidéaste entarteur, naïfs parce qu’ils substituent à la nécessité d’une réflexion sur les conditions de possibilité d’une image (quid du hors champ ? Du filmeur ? De ce qui s’est passé avant ou après ?), le réflexe pavlovien d’une réaction à chaud et sérieusement grotesque. »

  3. Redacted is not remix

    Merci Daniel d’avoir repere ce film et de donner l’occasion d’un petit commentaire car
    en sortant de la salle j’avais envie d’ecrire un petit billet sur ce film en le mettant en pendant d’une analyse du mash-up de la campagne d’Obama « Yes We Can » faite par Jenkins ici :
    « Think of the speech as a mash-up of JFK, RFK, Ceasar Chavez, and Walt Whitman, delivered with the candences of Martin Luther King. Think of it as thus a new synthetic mythology for a new kind of knowledge culture. It may be the most powerful remobilization of historical and contemporary perspectives since the Popular Front movement of the 1930s. The music of Aaron Copeland, the art of Norman Rockwell, the films of Frank Capra were unafraid to mobilize historical images towards constructing a contemporary model of our shared experiences. We can criticize that model today for who and what it excluded, yet most of us are still touched by the emotions embodied in that art (…)This is certainly what I felt as I stood in the freezy cold with some 8000 other Obama supporters in Boston on the eve of Super Tuesday, an experience which gives new reality to the news report of turnouts across the country as this candidate has addressed the public. Then consider that few of those people were there because of mainstream media coverage; most were there because of text messages, social network sites, e-mails, blogs, podcasts, and cellphone calls. They weren’t there because of a message broadcast from above; they were there because someone they knew within their existing social networks contacted them and encouraged them to come. My wife and I were among the oldest people there; the hall was packed by young people, many of whom had never voted before.
    This is what politics looks like within the ‘we generation.’ This is what politics looks like to « We The People, » circa 2008. » (http://henryjenkins.org/.

    Redacted est tout l’inverse d’un mash-up et vient a rebours de la culture du remix politique devenue si visible sur Daily Motion ou YouTube.
    De Palma ne remixe pas les images sources des camera de surveillance, des sites Internet, du journal filme du soldat, il les reecrit et les fait rejouer avec une grande distanciation parfois et une certaine theatralisation. Surtout en ce qui concerne les scenes devant les cameras de surveillance qui en deviennent des petites pieces brechtiennes. Ainsi ces images rejouees font discours car elles sont revues depuis le « stand point of view » du cineaste. De Palma ne s’inscrit pas dans cette curieuse atmosphere de democratie semiotique, ne vient pas participer au mashup et au remix generalises, auquel appelle Jenkins dans son analyse du clip « Yes We Can ». Il s’extrait avec autorite du flux des images, les retravaille et nous livre un point de vue de son oeil du cineaste. C’est un peu brutal, un peu vieux jeu mais cela ne fait que renforcer, je crois, les forces et faiblesses de la forme remix et mash-up comme esthetique de la mobilisation politique.

    PS : desole pour les accents je suis convertie au qwerty :0