Les joueurs au secours de la science

On parle de plus en plus de « jeux sérieux » (serious game) qui stimuleraient l’apprentissage et la réflexion par le jeu (voir ce blog en français qui en suit l’actualité). Certains ont été plus loin et envisagent sérieusement d’employer l’activité ludique à des fins de recherche. Mais jusqu’ici, on s’intéressait plutôt dans ce domaine aux sciences sociales ou à la prospective. Les jeux peuvent-ils venir au secours de la recherche fondamentale en sciences « dures », comme la physique ou la biologie ? C’est ce que pense David Baker, professeur de biochimie à l’université de Washington, qui vient de lancer sur le web un nouveau type de jeu « Foldit« .

proteine.jpgEn cette ère d’explosion de la biologie, il est un problème dont la difficulté obsède les scientifiques : le pliage des protéines. Véritables nanomachines naturelles, les protéines sont capables de remplir de multiples fonctions dans le corps : certaines sont des catalyseurs, d’autres jouent le rôle de « moteurs » et sont utilisées par les bactéries pour se déplacer, d’autres encore transmettent divers signaux… Fabriquer de nouveaux types de protéines, qui n’existent pas dans la nature, représente un enjeu considérable pour la technologie de demain : les conséquences pourraient s’avérer très importantes dans le domaine de la santé et permettre la fabrication de nouveaux médicaments. On pourrait également mieux comprendre et lutter contre des maladies qui impliquent certains types de protéines, tels la maladie d’Alzheimer ou même le SIDA (le virus du HIV étant constitué en grande partie de protéines).

Mais les fonctions d’une protéine dépendent d’un paramètre fondamental : sa forme. A l’origine, la protéine n’est rien d’autre qu’une longue chaine de molécules. Mais, à cause de diverses réactions chimiques et électriques, les divers éléments composant cette chaine s’attirent et se repoussent : cela oblige la protéine à se « replier » et affecter la forme d’un objet 3D. C’est cette structure tridimensionnelle qui donnera à la protéine bon nombre de ses caractéristiques. D’où l’importance de comprendre ce processus de « pliage ». Malheureusement, c’est une opération extrêmement complexe.

Les protéines sont capables de se replier en quelques microsecondes. Mais un ordinateur doit aujourd’hui passer une journée pour calculer une nanoseconde de pliage. Pour un pliage complet de dix microsecondes, il faudrait donc 10 000 jours de temps machine, soit 30 ans.

Du coup, divers projets se sont développés pour mettre à contribution les ordinateurs des internautes et accélérer le travail de simulation. Des systèmes comme Folding@home ou Rosetta@home (créé par le même David Baker à l’origine de Foldit) fonctionnent sur le principe de Seti@home, qui demandait au public d’analyser les signaux en provenance des étoiles : ici, plusieurs milliers d’ordinateurs fournissent leur temps machine pour aider à la compréhension du pliage des protéines.

Foldit est dans la continuité de ce genre de programme, mais introduit plusieurs nouveautés. Contrairement à des systèmes comme Rosetta@home, ce n’est plus du temps de calcul qu’on demande aux internautes, mais, pour employer une expression devenue célèbre, « du temps de cerveau disponible ». Foldit est donc un jeu qui propose aux participants des « puzzles », autrement dit des protéines diverses, et leur demande de les plier « manuellement » avant d’envoyer leurs résultats au laboratoire de Baker, qui analysera ces productions. Le jeu consiste essentiellement en une série de « puzzles » : des protéines dont il s’agit d’optimiser la forme. Les joueurs peuvent bouger différents éléments de la chaine, effectuer des rotations, etc. Il est possible de s’associer en équipe et une fenêtre de tchat est disponible à tout instant.

Par bien des côtés, Foldit s’apparente au « turc mécanique » d’Amazon. On cherche à recourir aux capacités innées du cerveau humain à reconnaitre les formes pour effectuer des travaux que les ordinateurs ont du mal à faire. Mais Foldit ajoute à cela l’excitation du jeu. Les participants sont en compétition les uns avec les autres, gagnent des points, etc. On passe ainsi du calcul distribué (grid computing) au « crowdsourcing » (qui consiste à utiliser la créativité, l’intelligence et le savoir-faire d’un grand nombre d’internautes au moindre coût).

Certes, Foldit n’est pas Grand Theft Auto, mais le plaisir qu’on peut avoir à plier des protéines est analogue à celui qu’on peut éprouver en faisant des réussites, par exemple. Pour l’instant, les « puzzles » proposés ont déjà une solution. Mais très bientôt, les joueurs devraient se voir proposer des protéines dont la configuration optimale est inconnue. En effet, Foldit va bientôt participer à la CASP, une compétition internationale de pliage de protéines, à laquelle participent en général de gros systèmes informatiques. Le blog de Foldit prévient ainsi les joueurs : « Avec la CASP, ce sera la première fois que vous aurez à plier des protéines dont nous ne connaissons pas du tout la forme. Soyez préparés, ce sera difficile ».

Ce jeu, précisent ses concepteurs, n’est pas destiné aux biologistes les plus brillants. Il fait au contraire appel aux capacités intuitives de tout un chacun, David Baker affirme ainsi que son propre fils de de 13 ans est bien plus rapide que lui pour plier des protéines.

Selon l’un des créateurs du jeu, Zoran Popovic, « nous espérons changer la manière dont la science est faite, et par par qui elle est faite. Notre but ultime est de faire jouer des personnes ordinaires et en faire au final des candidats pour le prix Nobel. »

Foldit n’est pas le seul « jeu » destiné à donner des résultats productifs. Une nouvelle catégorie d’outils de crowdsourcing utilise les jeux pour aider les programmes à progresser dans leur compréhension du monde, afin qu’ils comprennent mieux le sens commun et le monde réel. En effet, Luis von Ahn, le père de reCaptcha, et son équipe de l’université Carnegie Mellon, vient de lancer Games with Purpose (Gwap, c’est-à-dire « des jeux avec un but »), un ensemble de jeux qui permettent aux hommes d’aider les ordinateurs à mieux réaliser certaines fonctions. Parmi les activités proposées, Gwap a redesigné le Google Image Labeler qui consiste à décrire ce qu’on voit dans une image, propose aux internautes de définir le genre musical de morceaux de musique, de dessiner le contour des personnages principaux d’une image pour permettre aux programme de mieux les repérer…

Via la Technology Review et le Radar O’Reilly.

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0 commentaires

  1. Très bon moyen de vulgarisation de la science.
    Mise à contribution des machines des internautes (jusque là rien d’innovant) mais mise à contribution du cerveau de l’internaute, là je dis bravo.
    Très bonne initiative !