Comment la retouche d’image se popularise et transforme notre rapport à la photo

Passionnant article du New York Times sur l’utilisation de plus en plus commune de la retouche d’image par tout un chacun. Grâce aux logiciels de retouche de photographies, il devient facile d’effacer un ex-mari de ses photos de vacances, d’ajouter un cousin à une photo de mariage. « Sans lui sur les photos, je peux les regarder. Je peux regarder ces images et penser aux bons moments que nous avons partagés, aux endroits où nous sommes allés », précise une femme qui a effacé son ex-époux de la plupart de ses photos. A l’époque de la manipulation numérique, de nombreuses personnes pensent que les photos de familles ne doivent plus nécessairement évoquer ce qui a été, mais ce qu’on souhaiterait avoir vécu, explique Alex Williams, l’auteur de l’article. Même si ces fausses photographies finissent par altérer la mémoire de chacun : est-ce que ceux qu’on voit sur la photo étaient vraiment à ce mariage ? En Inde, explique Mary Warner Marien, professeur d’histoire à l’université de Syracuse et auteur de La photographie, une histoire culturelle, il y a une tradition de copier-coller les têtes des membres de la famille absents à une cérémonie pour les y intégrer dans une volonté de respect. « L’idée selon laquelle ce qui est en face de l’objectif doit être vrai ne correspond qu’à un sens occidental de la réalité », explique-t-elle.

Exemple de photographie retouchée sur FlickRAprès la mort de son père, Theresa Rolley, elle, a fait créer une photo d’elle et de son père ensemble, car elle n’en possédait pas. De telles manipulations représentent un nouveau mécanisme de copie pour nous, explique Heather Downs, sociologue à l’université de l’Illinois, qui a étudié le rôle que les photographies jouent dans les familles. « Ces images idéalisées peuvent changer la manière dont on abord les problèmes que toutes les familles rencontrent : mésententes, divorces… » Il ne faut pas oublier que la photographie a toujours représenté, à certains niveaux, une distorsion de la réalité, reconnait Per Gylfe, directeur du laboratoire des médias numériques au Centre de photographie international de New York. « Nous prenons toujours les photographies comme des preuves d’un évènement, alors que nous n’aurions jamais dû », conclut-il en expliquant combien la technique sait faire varier l’appréciation que l’on a d’une image.

Sans compter que la motivation à truquer et idéaliser les images de soi ou de ses proches est plus forte à l’heure où les albums de photos familiaux passent de l’espace domestique à l’internet, explique Alex Williams. En outre, les gens sont de plus en plus enclins à accepter les trucages en photographie, car ils y sont de plus en plus exposés. La manipulation de l’image a changé le climat des médias, explique Fred Ritchin, professeur de photographie à l’université de New York. « Au niveau de la famille et des amis, il y a beaucoup moins de résistance aux images modifiées ». A croire que dans un monde où la plupart des images sont retouchées, les gens ordinaires pensent parfois qu’ils doivent embellir leur propre image juste pour suivre le rythme.

Il y a 23 ans, rappelle Kevin Kelly, il annonçait la fin de la photographie comme « la preuve des choses qui existent », à une époque où Photoshop était encore loin d’être répandu et où faire des retouches et de trucages était encore compliqué et coûteux. Dès à présent, rappelle-t-il, ce sont les images vidéos qui sont en passe de devenir la nouvelle cible des trucages et des retouches réalisés par tout un chacun. Et de voir dans l’Etoile de la mort sur San Francisco – un petit film réalisé par Michael Horn, qui incruste des images tirées de Star Wars sur des vues de San Francisco, réalisé avec un logiciel du commerce comme FinalCut -, que la vidéo n’est plus une preuve de quoi que ce soit.

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  1. Petite erreur de traduction me semble-t-il (j’ai buté sur l’expression à la lecture de l’original !) :
    « Coping mechanism » (3e paragraphe, propos de Heather Downs) se traduit généralement par « stratégie d’adaptation » (à la douleur, aux épreuves de la vie, etc.) et n’a rien à voir avec la copie (« copying »). Il est vrai que le contexte prête à confusion !

    Sur le fond, l’article est particulièrement intéressant. Si la retouche, voire le trucage, sont, bien entendu, aussi vieux que la photographie elle-même, il n’en reste pas moins que la généralisation de telles pratiques à la « photographie familiale » peut être lourde de conséquences du point de vue du statut de l’image photographique dans nos sociétés.

    À l’heure du numérique, la photo de famille pouvait sembler être le dernier pilier de la « croyance dans le vrai photographique », le lieu où perdure le « ça-a-été » de Barthes, où se maintient la fonction d’attestation de la photographie-document… Pour combien de temps encore ?

    Sur le sujet, on peut lire avec intérêt les travaux d’André Rouillé (La photographie – Folio Essais – 2005) et ce qu’il écrit sur la crise du « régime de vérité » de la photographie.

  2. C’est vrai que si il y a du nouveau, c’est bien dans le fait que la photo autrefois de simple témoignage familial puisse passer par Photoshop. En même temps cette prise de pouvoir technique sur la photo par le grand public, si elle est avérée, permettrait peut-être que ce dernier prenne en mains son regard, se laisse moins abuser par les manipulations.
    Voir la très belle publicité de Dove : http://www.youtube.com/watch?v=USz3dZpVs8I

  3. J’y vais aussi de ma petite référence bibliographique : Le mystère de la chambre claire », S. Tisseron qui explique bien, à mon avis, les fonctions que remplissent le « trucage » des images