James Bond 2.0(07) : à qui profitera le renseignement ?

Mapping paris

« Et si les terroristes utilisaient les mêmes moyens de communication qu’un nerd lambda ?« . Fin octobre, la publication d’un rapport de l’armée américaine consacrée à la possible utilisation de technologies de communication mobiles (GPS, Skype, Twitter, mashups cartographiques, ou encore… fonds d’écran) par les terroristes d’Al Quaeda faisait le tour de la blogosphère et des médias internet.

Au-delà de la seule menace terroriste, le rapport soulignait également que « Twitter est devenu un outil d’activisme social pour des socialistes, des groupes pour les droits de l’homme, des communistes, des végétariens, des anarchistes, des communautés religieuses, des athées, des militants politiques, des hacktivistes et d’autres, qui communiquent ainsi entre eux et avec une audience plus large« .

Fonds d’écrans islamistes

La question n’est pas de savoir si les scénarios évoqués dans ce rapport sont surestimés : l’auteur reconnaît lui-même qu’il n’a pas cherché à les vérifier, que certains sont hautement improbables (tel que le fait de filmer un attentat en équipant un missile d’un téléphone portable…), et qu’il ne s’agissait que d’esquisser des pistes. L’aspect le plus intéressant de cette étude ne relevait ainsi pas tant de cette possible menace « twitterterroriste » (les terroristes du 11 septembre avaient utilisé des couteaux, et on n’en avait pas fait un plat ni accusé les industriels des arts de la table) que de la nature même de ce rapport.

Préparé grâce à l’outil de traduction de pages web de Google par quelqu’un qualifiant sa compréhension de l’arabe de « rudimentaire« , l’étude du 304e bataillon militaire de renseignement américain est exclusivement basée sur des « sources ouvertes« , accessibles sur l’internet. Ce que l’on appelle de l' »Open Source INTelligence (OSINT), une discipline qui a le vent en poupe et qui risque fort de révolutionner la pratique du renseignement.

Du renseignement pour, et par, des sociétés (privées) de surveillance

En septembre dernier, le Director of National Intelligence (DNI), qui chapote toute la communauté et les agences de renseignement américaines, organisait ainsi sa deuxième conférence consacrée au renseignement de sources ouvertes, en présence de 1800 participants (plus 1700 autres sur liste d’attente) venus de 38 pays, 80 universités, 56 ONG, 60 médias et 370 sociétés privées. Evidemment, le DNI a blogué, et les twitterers tweeté.

Tweets DNIOS

Il y a trois ans, il fallait convaincre la communauté du renseignement de l’intérêt du renseignement open source, qui permet de valider les renseignements confidentiels, mais aussi de dépenser moins d’énergie, et d’argent, à trouver des informations disponibles publiquement.

La Vision 2015 de l’ODNIAujourd’hui, la question ne se pose plus, c’est un ordre : la communauté du renseignement doit se mettre à l’open source, et abandonner la culture du secret, la mentalité et les méthodes héritées de la guerre froide. Ce qui se profile aujourd’hui a été publié, en juillet 2008, dans un rapport intitulé « Vision 2015« , et que présentait, en français, Franck Bulinge, universitaire spécialiste de l’intelligence économique (et ancien membre des services de renseignement militaires français).

Le changement de paradigme, et de méthodes, est plutôt révolutionnaire, et contraste très fortement avec l’image que l’on se fait des services de renseignement : en substance, il s’agit en effet d’en finir avec la compartimentation, l’étanchéité (et la guerre) des services, pour adopter une « logique d’entreprise (basée sur) la relation clients« , « nouveau paradigme du renseignement qui se caractérise par l’adoption de modèles issus du management d’entreprise, et de pratiques appelant les notions de rendement et de performance, à travers le partage d’information, les pratiques collaboratives et le knowledge management« , afin de :

  • accélérer la collecte et l’analyse des renseignements, « favoriser l’innovation par fertilisation croisée » et éviter les doublons,
  • pouvoir réallouer de manière dynamique les missions de renseignement grâce à des systèmes et dispositifs intégrés de « collecte adaptative« ,
  • utiliser des réseaux distribués de compétence et d’analyse collaborative afin d’en finir avec le travail « purement individuel« ,
  • élargir les compétences et ressources de la communauté du renseignement en tablant sur de meilleures collaborations avec les partenaires et clients extérieurs au service (publics et privés, y compris à l’étranger).

La Vision 2015 de l’ODNI - 2Le rapport souligne en effet que les frontières et lignes de démarcation géographiques, juridiques et conceptuelles s’estompent, se brouillent, et qu’il est de plus en plus difficile de distinguer le renseignement de l’information, les clients des producteurs, le privé du public, les alliés et les concurrents.

Ainsi, en 2015, la communauté du renseignement pourrait être amenée à fournir « encore plus d’informations à encore plus de clients » non traditionnels, que l’on trouvera aussi bien dans les ministères de l’Intérieur et de la Défense que dans ceux de l’Agriculture, du Commerce, de la Santé, dans les administrations locales et internationales, et même dans le secteur privé, du côté des ONG, et puis du « grand public« .

Le brusque changement de génération qui préside à cette évolution du renseignement américain, dans la foulée des attentats du 11 septembre, est au coeur de la réorganisation de ses missions. Près de 50 % des professionnels de la communauté américaine du renseignement ont en effet été recrutés ces 5 dernières années, et les 50 autres % se rapprochent, eux, de la retraite. Cette « génération mashup » n’a besoin que d’un PC, et d’un modem pour se renseigner : l’avantage technologique, qui était autrefois du côté de l’armée, est aujourd’hui passé dans le privé.

Il faut ainsi non seulement, et en amont, adapter les méthodes de collecte du renseignement à ces « natifs numériques » multi-tâches et adeptes des réseaux sociaux, mais aussi se préparer, en aval, au fait qu’ils sont les nouveaux « clients » du renseignement, et qu’ils cherchent moins à obtenir une information qu’une expertise, sinon un service. Il ne s’agirait plus tant de leur demander « quelles sont vos priorités en matière de renseignement ? » que de s’engager à leurs côtés : « que voulez-vous accomplir ?« .

Pour Dan Butler, chargé du développement stratégique à l’ODNI, « nous devons réaliser que nous n’avons pas toutes les réponses ni tous les experts, et donc s’ouvrir à l’expertise extérieure, et passer de la communauté du renseignement au renseignement par la communauté« .

De la société de l’information à la société du renseignement ?

« Il est intéressant de constater que sur le plan conceptuel la recherche française n’est pour une fois pas trop en retard« , souligne Franck Bulinge. Revenant sur la conférence de la DNI dans un autre billet, il note également que les services français (re)découvrent eux aussi les vertus et problématiques de l’OSINT, et se tournent ainsi vers les acteurs privés de la veille afin de bénéficier de formations.

En conclusion, Franck Bulinge se demande si « l’engouement pour l’open source pourrait traduire une volonté de « désétatiser » une partie du renseignement dans une logique ultra-libérale (moins d’état, plus de marché)« , ce que le journaliste du Washington Post qui couvrait la conférence semble lui aussi penser :

Conférences bondées, foule accumulant les prospectus et gadgets publicitaires, la majeure partie des participants étaient ici pour faire des affaires. (…) « La demande est énorme« , explique Premkumar Natarajan, vice président de BBN Technologies, qui vend au gouvernement des systèmes de traduction automatiques des programmes radio et télé étrangers. « Les gens ont toujours voulu en savoir plus. Depuis le 11 septembre, ils veulent en savoir encore plus« .

37 000 contractuels privés épaulent aujourd’hui les 100 000 fonctionnaires du renseignement américains. Et 70 % (au moins) des 50 milliards de dollars alloués chaque année au renseignement américain finit dans les poches de prestataires de service privés, qu’il s’agisse de la maintenance informatique ou des factures de chauffage. La tendance est mondiale : en Australie, on vient ainsi d’apprendre que la police avait ainsi décidé d’externaliser, depuis 2002, la surveillance des mouvements sociaux parce que cela leur prenait trop de temps, et qu’elle voulait se focaliser sur ceux qui commettent des crimes et délits, pas sur ceux qui pourraient (éventuellement) troubler l’ordre public.

En France, le ministère de l’Education Nationale faisait récemment scandale avec un appel d’offres destiné à assurer « une veille de l’opinion » sur l’internet destiné notamment à repérer des « leaders d’opinion (et) lanceurs d’alerte« . Le Parisien révélait pour sa part récemment qu' »en toute discrétion, une centaine d’entreprises bénéficient du savoir-faire de la cellule de renseignement économique de la chambre de commerce (afin d’)obtenir des informations, parfois sensibles, aux sociétés désireuses de s’implanter à l’étranger« . Et la Direction centrale de la sécurité des systèmes d’information (DCSSI) vient d’annoncer qu’elle « souhaitait s’associer, au travers d’un contrat de services, de recherche et de développement, avec des entreprises » partenaires du Trusted Computing Group (TCG, groupement d’industriels visant à spécifier les technologies de l’informatique de confiance), afin d’en externaliser la veille.

Mémento civilo-militaire de renseignementLe procédé n’est pas neuf, et existe aux Etats-Unis depuis que, suite à la chute du bloc de l’Est, les services de renseignement se sont réorientés, en partie, dans le renseignement économique et la guerre de l’information. Pour en revenir à la France, le ministère de la Défense propose ainsi, depuis 2006, aux PME « à fort potentiel de croissance d’adopter les savoir-faire et techniques du renseignement militaire.

Ce qui est nouveau, c’est cette focalisation du renseignement américain sur les pratiques et usages des réseaux sociaux, cette conception du cycle du renseignement faisant la part belle au « bottom up » et non plus seulement au « top down« , au décloisonnement et à la collaboration. Une circulaire du DNI révélait ainsi récemment que le partage des informations faisait désormais partie des critères utilisés pour évaluer la performance des membres de la communauté du renseignement.

La désétatisation et la privatisation du renseignement, mis au service d’intérêts privés, dont il entend copier les méthodes et la gestion, pose néanmoins la question de savoir si notre « société de l’information » ne va pas devenir une « société du renseignement« , où l’objectif ne serait plus tant de protéger les intérêts d’un pays et de ses ressortissants, que de s’en tenir, principalement, à ses seuls intérêts économiques, avec ce que cela peut entraîner de perte démocratique. Un signe ne trompe pas, en tout cas : le rapport Vision 2015 ne parle plus de « service » mais d' »entreprise » du renseignement.

Voir aussi :
Guerre de l’information made in France
Alain Juillet : “Mon rôle consiste à “débarbouzer” l’intelligence économique”

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires

  1. Le plus inquiétant dans cet article ne vous semble pas être le fait que le gouvernement des Etats-Unis, via son armée, s’inquiète officiellement que des « socialistes, des groupes pour les droits de l’homme, des communistes, des végétariens, des anarchistes, des communautés religieuses, des athées, des militants politiques, des hacktivistes et d’autres » puissent discuter librement entre eux ?

    Si je ne m’abuse, c’est bien la reconnaissance officielle que l’armée considère que tout être humain est par définition une menace dont il faut se méfier…

  2. 1. je ne pense pas que « tout être humain » est forcément socialiste, communiste, végétarien, anarchiste, athée & Cie 😉

    2. si vous lisez le rapport, vous verrez que les services de renseignement US ne disent pas que les socialistes (etc.) sont une menace, juste qu’ils se servent de Twitter comme outil d’activisme social pour élargie leur audience

    3. reste cette juxtaposition du terrorisme islamiste avec une expression politique légitime en démocratie n’est pas pour rassurer; mais ça fait des années que ce type de diabolisation perdure…

  3. Mesdemoiselles, mesdames, messieurs, bonjour,

    A qui profite, rat, le renseignement ?

    Telle est la question que peut poser un propriétaire de couple (biopuces ; citoyen) à un porteur de Gilet de Rétention Schizophrénique (GRS), tel que moi.

    Où en sont les services de renseignement, du corps médical français (DSA), dans le domaine des organismes sous-traitants de l’e-santé, en 2011 ? C’est-à-dire, dans les micro sociétés schizophrénique (web 4.0) ?

    A qui profite, rat, le renseignement ?

    Peut être au captifs, mais comment ?

    Comment les libristes du web 4.0 peuvent-ils aider les captifs ?

  4. Mesdemoiselles, mesdames, messieurs, bonjour,

    Comment faciliter le débat public (CNDP ; OPECST ; CCSTI) entre les capitalistes du numérique, propriétaires de couple (biopuces ; citoyen) et les libristes web 4.0 de l’Open Source ?

    Telle est la question que peut poser tout les parents comme tout les amis des patients de la nanosanté en psychiatrie.

    Il est facile de démontrer que depuis les années 1970, en France (Van Rensselaer Potter ; Michel Foucault), les capitalistes du numérique font du renseignement pour, et avec, des sociétés privées de parents aisés (praticiens de santé ; gouverneurs ; bioingénieurs), une sorte de monarchie agée d’au moins 3 générations.

    Il est facile de démontrer que depuis les années 2010, en France, les libristes web 4.0 font du renseignement pour, et avec, le grand public grâce aux NTIC de l’Open Source.

    Les différences des idées de base, principes de base, méthodes de base comme de l’orientation de la production des OS web 4.0, en France, sont plutôt révolutionnaire.

    Les renseignements de l’Open Source, en France, contrastent avec l’image que le grand public Français se fait des services de renseignement des années 1940 (Louis-Claude Vincent ; Jeanne Rousseau).

    Et si “l’engouement pour l’open source web 4.0 (symbiotique) pourrait traduire une volonté de “désétatiser” une partie de la société de l’information (MicroEtat), en France, dans une logique de couple (MicroEtat ; République), où le MicroEtat est une partie du web symbiotique, sous la responçabiliter de la République Démocratique Française ?

    Ainsi, par exemple, l’usage des pairs-aidants de la nanosanté en psychiatrie, par les praticiens de santé, les gouverneurs comme les bioingénieurs de l’Open Source pourrait être révolutionnaire pour le couple (MicroEtat ; République), en France.

    En effet, que pensez-vous de l’usage des médiateurs de la République Démocratique Française dans le web symbiotique ?

    Que pensez-vous des médiateurs du couple (MicroEtat ; République), où le MicroEtat est une partie du web 4.0, en France ?

    La désétatisation comme la privatisation du renseignement de l’Open Source comme des capitalistes du numérique, mis au service d’intérêts privés, dont il entend adapter les méthodes comme la gestion suivant les 4 libertés fondamentales du libre (UERA), pose néanmoins la question de savoir si la “société de l’information” ne va pas devenir seulement une “société du renseignement“, où l’objectif ne serait plus tant de protéger les intérêts d’un pays comme de ses ressortissants, que de s’en tenir, principalement, à ses seuls intérêts économiques, avec ce que cela peut entraîner de perte démocratique.