Fakesumption : consommer du faux

Jörg Jelden est analyste de tendance au cabinet Trendbuero où il s’intéresse à transformer les évolutions de la société en opportunités d’affaires. A la conférence Lift, il s’est attaqué à la question de la contrefaçon, pour essayer de bousculer notre perception de cette industrie.

Il existe un vaste vocabulaire pour parler du phénomène de la contrefaçon (on parle de copie, de clones, de faux, d’imitation…). Autant le reconnaître, le sujet est sensible, le défi important, temporise Jörg Jelden dans sa présentation. L’une des bonnes façons de poser le problème est peut-être d’abord de regarder quelle est la motivation des consommateurs à acheter une contre-façon ?

Jörg Jelden de Trandbuero à Lift par RaphaëlleLift
Image : Jörg Jelden sur la scène de Lift, par RaphaëlleLift avec son autorisation.

Les faux ont toujours existé et ont même participé à créer du “vrai” business, rappelle Jörg Jelden. Selon des études menées par Trendbuero, un européen sur 4 admet avoir acheté une contrefaçon de produit ces 3 dernières années. 60 % l’ont fait volontairement, plutôt conscients des risques, et 90 % de ces acheteurs pensent que la contrefaçon s’est banalisée, jusqu’à devenir assez commune, « socialement admise » Les gens ne font d’ailleurs bien souvent pas la différence entre un “vrai” produit et un faux, même sur la qualité qui est sensée pourtant être l’élément différenciant. Cela s’explique en partie parce que beaucoup de “faux” produits, de clones, sont produits dans les mêmes usines que les vrais. 15 à 20 % des biens produits en Chine sont de la contrefaçon où ils génèrent quelque 35 millions d’emplois. Le marché est devenu massif, mondial, même s’il reste illégal. Peut-être faut-il se demander pourquoi ce marché marche si bien ? S’il fonctionne, c’est que les contrefacteurs doivent réussir certaines choses qu’il faudrait mieux comprendre. Que peut-on apprendre de leur réussite ?

Incontestablement, pour les consommateurs, les faux apportent quelque chose qu’ils ne pourraient pas obtenir autrement, ou plus précisément, que les originaux ne leur apporteraient pas. Ils sont souvent au courant des risques, mais ont besoin d’accéder à un produit de marque à prix réduit. D’ailleurs, beaucoup d’acheteurs de faux se considèrent comme des clients de la marque d’origine. Il faut donc se demander si poursuivre ou punir « ses » clients est la bonne réponse à apporter ? Comment les marques originelles pourraient-elles intégrer ces consommateurs ? Comment les convaincre à dépenser plus pour la “vraie” marque ? Les acheteurs de copies aiment la marque dont ils achètent une copie, mais sont incapables ou ne souhaitent pas payer le prix fort.

Du côté des marques copiées, bien souvent, force est de reconnaître qu’elles surestiment et surévaluent leurs marques. Elles croient en la qualité de leur produit, en la confiance qu’elles instaurent avec leurs clients… Mais si la valeur des marques ne cesse de monter sur le marché, ces dix dernières années, la confiance des consommateurs dans les marques, elle, n’a cessé de reculer. Le fossé entre la marque et ses consommateurs semble continuer à s’élargir. Les marques se fient trop à leurs produits, alors que ceux-ci sont de plus en plus faciles à copier. Or il semble que la force des relations avec les consommateurs serait mieux à même de faire la différence. « Le plus vous vous liez aux consommateurs de votre marque, le plus ils vous aideront à combattre le problème de la contrefaçon ». Mais, plutôt que d’investir dans la relation avec les consommateurs, les marques ont investi dans la protection, une protection toujours plus difficile à assurer avec le numérique. Plus les marques criminalisent les contrefacteurs, plus les contrefacteurs se connectent au crime organisé. Ne faudrait-il pas revoir cette stratégie ? Comment offrir quelque chose à ceux qui ne peuvent pas acquérir vos produits ?

Les contrefacteurs, enfin, sont dans l’ombre des marques, mais vivent de plus en plus à la lumière. Quoi que vous fassiez, ils vous suivent et vous copient. C’est une industrie très compétitive et très réactive, qui produit du Fake on Demand (du faux à la demande). Les contrefacteurs affinent les produits aux besoins locaux. Ils sont bien souvent innovants : ajoutant de nouvelles fonctions, créant de nouveaux styles autour d’une marque… Les marques devraient surveiller l’industrie de la copie pour mieux comprendre ce que veulent leurs consommateurs. C’est d’ailleurs parfois le cas, de faux iPod de couleurs sont nés avant qu’Apple injecte de la couleur dans ses iPod. Les contrefacteurs s’améliorent : avec la progression des conditions de vie locales, ils se mettent à concevoir des produits de meilleure qualité, à ouvrir des boutiques, à développer des garanties et des services personnels pour leurs clients. Au fur et à mesure que leurs marchés progressent, ils attaquent les marques de l’intérieur et finissent par transformer les originaux en faux, en devenant parfois plus à la mode que les marques d’origines. Sans compter qu’ils utilisent aussi de plus en plus des parties des produits originaux : d’une certaine manière, dans ce qu’ils font, tout n’est pas faux. Ce qui semble certain, c’est que les outils actuels pour les combattre ne fonctionnent pas.

« Si vous avez un problème, combattez-le. Si vous ne pouvez le combattre, criminalisez-le. Si vous ne pouvez le criminaliser, intégrez-le. Si vous souhaitez l’intégrer, il vous faut offrir quelque chose en contrepartie », suggère Jörg Jelden. « Comment mieux intégrer les consommateurs de copies de votre marque à votre propre stratégie de marque ? » Jörg Jelden conclut en nous rappelant comment, à l’époque de la prohibition, le commerce de l’alcool est brutalement devenu un crime organisé et comment le résultat de la loi sur la prohibition a été pire que le mal qu’elle visait à faire disparaître. « Pour combattre le problème de la contrefaçon, il faut peut-être le prendre autrement ». Envisager de collaborer avec les meilleurs contrefacteurs ? Réfléchir à mieux intégrer les consommateurs en leur vendant autre chose qu’un produit ou un simple logo ?

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0 commentaires

  1. La grande majorité des contrefaçons achetées en connaissance de cause appartiennent au marché de la confection, de la mode. Un marché dont les acteurs ont tardé à inventer leur relation avec les consommateurs… La faute à des cycles plus courts qu’ailleurs ? Une vision court-termiste, il y a encore peu de temps ? La théorie de M. Jelden est intéressante dans la mesure où l’on reste dans des marchés du paraitre…
    La contrefaçon de médicaments, par exemple, n’apporte pas grand chose au marché, hormis l’inefficacité dans le meilleur des cas…