Augmenter la ville : pour quoi faire ?

A l’occasion de l’édition 2009 de la conférence hollandaise Picnic, dédiée à la créativité et aux nouvelles technologies, nous revenons sur quelques-unes des présentations les plus intéressantes de ces trois jours (d’autres comptes rendus de présentations sont disponibles sur le blog en direct que nous avons tenu pendant la conférence).

Dans le cadre de l’atelier Laboratoire de la ville augmentée (blog dédié), qui se déroulait à Amsterdam, Frank Kresin de la Waag Society, le think tank hollandais consacré aux nouvelles technologies, a présenté les nombreuses applications mobiles de réalité augmentée que développe la Waag à Amsterdam, comme un parcours autour de l’oeuvre de Christian Andersen dans Amsterdam ou un autre autour du Musée Anne Frank, des jeux historiques géolocalisés comme celui de Fort Amsterdam ou Frequency 1550, ou encore des jeux permettant aux plus jeunes d’apprendre la citoyenneté voire Rituals, un jeu en réalité augmenté où les gens étaient invités à raconter des histoires sur leurs rituels religieux à l’occasion de l’année de l’héritage religieux qui a eu lieu en 2008…

Frank Kresin lors de l'atelier Augmented City Lab
Image : Frank Kresin lors de l’atelier Augmented City Lab par Ronald Lenz.

La réalité augmentée : une plateforme pour la ville ?

Pour développer toutes ces applications, la Waag a créé une start-up baptisée 7scenes qui a développé une plateforme pour créer et partager des jeux et des parcours d’excursion par GPS pour téléphones mobiles. 7scenes est un éditeur de contenus géolocalisés à destination d’organisations qui souhaitent fournir de nouvelles expériences mobiles à leurs audiences. Ils ont développé une solution logicielle simple, accessible sur de nombreux mobiles, permettant notamment de mutualiser l’équipement (un seul logiciel permet l’accès à une large gamme de jeux et de modules interactifs).

Les défis sont encore nombreux, rappelle Frank Kresin :

  • il faut parvenir à développer des collections et des expériences thématisées ;
  • mieux observer qui se connecte pour peut-être pouvoir mieux interagir avec lui ;
  • recevoir les retours des utilisateurs et savoir mieux accueillir les contenus proposés par les gens ;
  • faciliter le passage sans couture d’une expérience culturelle, dans et hors des musées ;
  • accompagner l’expérience encore très balbutiante des institutions dans ces domaines ;
  • développer des modèles économiques payants (pour l’instant ils sont encore bien souvent gratuits)…
  • … et surtout continuer de développer de nouvelles collaborations.

La réalité augmentée : un moteur de business ?

Pour Raimo van der Klein (blog) de Layar, la firme qui propose le navigateur de réalité augmentée, il faut considérer la réalité augmentée comme un nouveau média au même titre que la télévision ou la radio.

La qualité de la réalité augmentée est d’ajouter une troisième dimension à la réalité… Comme si nous n’étions plus uniquement derrière des écrans, explique-t-il en nous montrant le sien. En ajoutant une couche d’information sur la réalité, la réalité augmentée exige une autre expérience que le simple copié collé de contenu d’un médium à l’autre. Pour lui, la réalité augmentée est un « médium d’expérience » et non pas seulement un jeu fonctionnel. La force de l’expérience immersive est simple, explique-t-il d’un mantra : “Dites-moi et j’oublierai. Montrez-moi et je me souviendrai peut-être. Impliquez-moi et je comprendrai.”

Pour Raimo van der Klein, c’est à travers les objets en 3D qu’on a une expérience, explique-t-il alors que Layar vient justement d’intégrer des objets 3D à sa plateforme (voir les exemples en image et vidéo dans ce communiqué). Si la réalité augmentée fonctionne, cela est dû au fait que les objets se mettent à parler, que c’est une expérience fixée dans le temps et l’espace et enfin, que c’est une expérience en 3D (et pas en 2D), multisensorielle (impliquant images, vidéos et sons). Affutant son argumentaire commercial, Raimo van der Klein a alors essayé de nous montrer, par des exemples encore rares, que la réalité augmentée pouvait aussi être un nouveau vecteur d’expériences publicitaires, à l’image de ces voitures publicitaires pour une marque de bière, cachées dans une ville, qui quand elles étaient découvertes permettaient de gagner des boissons gratuites… Il reconnaissait lui-même que ce marché était balbutiant, mais il avait l’air de croire en son potentiel… Pas sûr pourtant qu’il soit aussi simple de transformer la réalité augmentée en application marketing grand public.

La réalité augmentée n’est qu’une expérience de jeu

Pour Kevin Slavin d’Area Code – qui illustre sa présentation d’extraits de Denno Coil, un dessin animé japonais qui se passe dans un futur proche et qui use et abuse de la réalité augmentée -, pour comprendre ce qu’est la ville augmentée, il faut pouvoir la comparer à autre chose. A quoi la ville augmentée s’oppose-t-elle ? Pour lui, la réalité augmentée évoque les sens mis en action par la ville : c’est-à-dire comment on ressent par le regard, par les sons, ce qu’il se passe autour de nous.

Kevin Slavin rejette la définition d’espace augmenté, inventé par Lev Manovich en 2002 dans son article sur « La poétique de l’espace augmenté » (.pdf) qui décrivait l’espace augmenté par la superposition d’informations numériques sur le champ visuel d’un utilisateur. Pour Slavin, l’espace urbain n’est pas augmenté par l’ajout d’information (il y en a bien assez) mais par les secrets qui s’y cachent. Et Slavin de nous mettre en garde contre la réalité augmentée qui risque de générer trop de réalité virtuelle dans la ville, au risque que nous fassions bientôt tous la désagréable expérience de ne pas parvenir à savoir si l’objet ou l’espace que nous voyons est réel ou pas.

La réalité augmentée n’est pas qu’une expérience sensorielle, insiste Slavin. Dans l’expérience de réalité augmentée, le plus important, c’est comment le système interactif se comporte plutôt que comment il apparaît. L’expérience qu’il faut recréer est plus celle du Tamagotchi que celle de Doom, explique-t-il en prenant pour exemple deux jeux nés à la même période, dont l’un est demeuré le prototype de la réalité augmentée puisqu’il place la scène de jeu face au joueur. Pour Kevin Slavin, l’avenir des jeux en réalité augmentée repose plus sûr de la basse définition que sur des représentations ultras réalistes ou démesurées qui planeraient sur les villes… Car l’important ne repose pas tant sur la qualité de ce qu’on voit sur nos écrans, mais dans la qualité de ce à quoi on joue ! Quand on joue dans la ville, même avec des systèmes de réalité augmentée, c’est visible : les gens courent dans les rues !

Les jeux sont une interaction entre des systèmes, un territoire et des gens, rappelle-t-il. Le but est de créer une expérience de jeu riche. « Les polygones de la réalité augmentée ne l’emporteront jamais sur l’expérience réelle », explique-t-il en citant Rules of Play, l’ouvrage de Katie Salen et Eric Zimmerman et notamment le chapitre consacré à « l’illusion de l’immersion » (.pdf). « Les gens derrière un écran d’ordinateur ne peuvent pas créer des jeux en réalité augmentée », explique Kevin Slavin, parce qu’ils ne concernent pas des données, mais la manière de naviguer dans les villes à travers des histoires.

La réalité augmentée est une plateforme fonctionnelle

Pour Rick Batelaan, du service des transports et du trafic de la ville d’Amsterdam, la réalité augmentée permet d’être en prise directe avec le quotidien des gens, explique-t-il en nous montrant le projet d’Assistant personnel de déplacement (Personal Travel Assistant, PTA) que développe la ville. Le but de cet assistant est de permettre aux gens de prendre le contrôle de leurs déplacements face à une trop grande multitude de modalités, de services et de sociétés de services…

Pour la ville d’Amsterdam, il y avait un besoin de créer une plateforme d’information commune pour faciliter les déplacements de chacun. Celle-ci, encore en développement, devrait aboutir à une première version d’ici la fin 2009 avant d’être exploitable d’ici la fin 2010. Le PTA se connecte à l’agenda des gens et leur propose des modalités de transport selon le lieu où ils sont et celui où ils se rendent, s’adaptant à leurs particularités et leurs choix de déplacements. Les gens pourront choisir selon le prix, le temps de transport ou selon le bilan carbone des solutions qu’ils envisagent. Le système intègre une multitude de données en temps réel provenant de multiples sociétés.

Le projet en tout cas, pour l’instant, tente d’apporter une réponse complète et simple à la problématique de l’information de transport public, comme le montre l’excellente vidéo qui détaille le projet.

Meet Eric’s PTA – Personal Travel Assistant from Rick Batelaan on Vimeo.

La réalité augmentée révélera-t-elle la vie sociale de nos villes ?

Ben Cerveny du studio de design Stamen très impliqué dans la construction d’applications urbaines comme le montre plusieurs des projets qu’ils ont réalisés, depuis peu à la tête du projet Vurb, un projet qui tente de baliser la politique et la conception de systèmes informatiques urbains, prend un peu de hauteur.
Ben Cerveny lors durant sa présentation à l'atelier Augmented City Lab
Image : Ben Cerveny à l’atelier Augmented City Lab par Ronald Lenz.

Les villes sont déjà un réseau sur lequel nous avons des expériences, rappelle-t-il. La ville est née sur le modèle de la cellule, comme une cristallisation de la civilisation. Elle est un moyen d’organiser les flux de transactions, de ressources, d’échanges. Ces ensembles de cellules forment des réseaux et leur mise en relation sert à optimiser les trafics, les relations, les commerces… Aujourd’hui, la Metropolis (c’est-à-dire la métropole que sont devenus chacune de nos villes) devient le médium, le réseau : “la ville est devenue un métabolisme multicellulaire”.

L’identité des villes résulte d’une agrégation d’identité, de ce qu’il se passe sur le réseau. La ville est composée de l’agrégation des expériences de chacun, de l’agrégation des relations sociales de chacun. Les villes augmentées sont devenues conscientes d’elles-mêmes, c’est-à-dire qu’elles regardent et sont capables d’utiliser toutes les données qu’elles produisent. Nos villes sensibles perçoivent leurs environnements : elles sont capables de comprendre les processus en cours et d’échanger avec d’autres environnements. Les flux de ressources sont devenus la nourriture des villes. On passe de la ville matérielle à la ville logicielle. A laquelle il faut ajouter les flux de produits et de citoyens.

Mais les lieux ont leurs personnalités. Les applications de réalité augmentée ont tendances à être agnostiques aux lieux en n’en regardant que les données qui les traversent, sans rendre compte de la singularité des villes. Pourtant, pour Ben Cerveny, on ne peut pas traduire numériquement toutes les villes de la même manière… Il faut sentir l’humeur d’une métropole à travers les interfaces de nos outils sociotechniques. Comment la réalité augmentée nous aidera-t-elle à révéler la personnalité d’une ville plutôt que de détruire toute illusion d’expérience partagée ?

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  1. L’application tueuse de la réalité augmentée (RA) va être difficile à trouver, concèdent les spécialistes du sujet qui en discutaient à la conférence EmTech@MIT, rapporte la Technology Review.

    La réalité augmentée sera-t-elle une composante de toutes nos interactions numériques, comme l’espère Alexander Igelsboeck de Mobilizy qui vient de lancer un nouveau langage de programmation pour la RA ? Force est de reconnaître que pour l’instant, le GPS que l’on trouve dans nos téléphones n’a pas été conçu pour la RA ce qui n’est pas sans poser problèmes, explique Steven Feiner du Laboratoire des interfaces utilisateurs de l’université de Columbia (qui a notamment travaillé avec Sean White a un intéressant projet de visualisation du taux de carbone dans la ville en vue subjective).

    Enfin, il reste à mesurer l’acceptation sociale de la réalité augmentée : pas sûr que nous voulions tous être regardés demain via des téléphones qui disent de nous des choses que l’on ne voit pas…

    Pour les chercheurs de Nokia, l’avenir est peut-être de combiner image et audio afin que nous n’ayons pas à tenir d’appareils entre les mains…

    Pour l’équipe de Pattie Maes qui a développé 6e sens, la solution repose peut-être dans les technologies de projections qui favoriseront une plus grande interaction… pour autant que les technologies de projection progressent à leur tour.