Entretiens du Nouveau Monde industriel : Quand les objets passent du numérique au physique

A l’occasion des entretiens du Nouveau Monde industriel consacrés aux nouveaux objets communicants, qui se tenaient la semaine dernière au Centre national des arts et métiers, retour sur quelques présentations parmi celles qui nous ont semblé les plus marquantes de ces deux jours.

Reprendre un imaginaire d’avance…

« Que peut-on faire de transformateur à partir de la rencontre du numérique et du physique ? », se demande Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation internet nouvelle génération. Le paradigme des objets communicants ressemble plutôt à la gestion de flotte de véhicule, à de l’habitat ultra connecté que l’on pense au bénéfice de gens qui sont sensés en avoir besoin, comme les personnes âgées dont on puce les habitations… Force est de constater que nul n’éprouve un énorme désir à habiter une maison de ce type. « On fait fuir les gens dès qu’on parle de l’internet des objets », constate Daniel Kaplan, car en étendant à nouveau le domaine de l’automatisation, on renforce une source légitime d’inquiétude.

« Il faut reprendre un imaginaire d’avance », propose le délégué général de la Fing en évoquant les artistes de l’art bio et des objets communicants. Et d’évoquer par exemple les travaux de Matt Cottam de TellArt comme ces arbres arrosés d’encre conductrice pour que leurs stries deviennent supports de mémoire (Computational Wood) où ces objets de bois qu’on peut assembler et qui échangent des informations ou des sentiments via de l’électronique (Patina Pairs). Ou encore ces objets domestiques carnivores tels qu’imaginés par James Auger, les lapins fluorescents et autres interventions dans le domaine du bio art imaginés par Edouardo Kac, ou encore les pièces mariant artisanat traditionnel indien et dispositifs de navigation électronique exposés au musée Gandhi de la Sacred World Foundation

Les artistes se sont débarrassés du paradigme de la sécurité qui nous contraint si souvent dans le monde de l’internet des objets, pour explorer de nouveaux territoires, sous des formes à fois techniques, mais aussi créatives et poétiques.

Beaucoup de propositions de plates-formes technologiques ont été inventées par des designers pour répondre à des besoins concrets, pour que les créateurs puissent formuler leurs idées. Usman Haque avait besoin de partager des flux de capteurs et a inventé Pachube (voir également son intervention à Lift France).

Daniel Kaplan lors des Entretiens du Nouveau Monde industriel par Samuel Huron
Image : Daniel Kaplan lors des Entretiens du Nouveau Monde industriel, par Samuel Huron.

On peut échanger et mettre à disposition des données, mais il faut aussi ajouter de l’intelligence aux environnements : les designers ont ainsi imaginé en 2005 Arduino, et inventé l’électronique open source. « Ils ont construit une carte aux plans libres dont le langage de programmation est libre et permet de traiter des données et renvoyer des instructions à d’autres actionneurs, à d’autres mécanismes ». Pour quelques dizaines d’euros, on peut construire sa propre électronique et inventer tout et n’importe quoi… « Un univers de possibilité s’est ouvert, car un morceau d’infrastructure est devenu disponible », explique Daniel Kaplan.

On peut désormais aller encore plus loin dans la fabrication d’objets. Voilà longtemps que nos objets industriels vivent sous formes numériques avant d’être instanciés par des machines elles-mêmes numériques, puis distribués et gérés également de manière numérique. Machines à découper, imprimantes 3D qui permettent de fabriquer couche par couche des objets depuis un simple modèle numérique n’importe quel objet… Ces outils sont en passe de devenir accessible : la RepRap, cette machine autoréplicante est disponible pour quelques 300 euros et quelques heures de manipulation. Au TMP/lab à Vitry, des bidouilleurs bricolent une imprimante 3D pilotée par une carte Arduino…

Ces nouveaux systèmes de production d’objet sont en train d’ouvrir le champ de la production. Par cette nouvelle étape qui s’esquisse, on ajoute une nouvelle brique à la conception d’objets grâce au mariage des outils de productions avec l’écosystème ouvert du web. Un écosystème de services et d’espaces de collaboration (comme Thingiverse, Make Magazine, Ponoko, 3DVia…) permet d’échanger ou d’acheter ce dont on a besoin.

Ce mouvement a ses militants, qui inventent des objets ouverts afin de changer notre dialogue à la technologie : extincteurs de télévision, brouilleurs de téléphonie mobile ou de puces RFID… Ce mouvement a aussi ses lieux, ses espaces, ses endroits de co-design, de coproduction où l’on peut rencontrer d’autres personnes, où l’on peut partager des pièces, des machines, des compétences… Car on va avoir besoin de compétences, souligne Daniel Kaplan : ouvrir le monde physique à l’innovation est plus difficile que dans le numérique : la logistique impose d’être réelle, il y a des problèmes de sécurité, de fabrication… On a donc besoin d’espaces qui émergent comme ces communautés militantes du TMP/Lab à Vitry ou de la Suite logique à Paris… Ou encore, du mouvement des Fabs Labs conçus dans les années 2000 par Neil Gershenfeld, directeur du Center for Bits and Atoms du MIT, qui a lancé le mouvement en proposant un cours sur « Comment faire aboutir n’importe quoi ? » (voir la traduction de sa présentation à TED 2007 sur les vraies promesses de la fabrication personnelle). On compte plus de 40 FabLabs dans le monde aujourd’hui, qui s’occupent de fabriquer des pièces de rechange pour des pompes au Ghana ou des puces capables de vérifier la qualité du lait en Inde.

« On voit que tout cela s’assemble, s’agence. On a les données, les lieux, la chaine de production, les médias, les lieux de partages… Autant de briques encore fragiles et pas assez présentes. Que pourrait-on faire émerger au croisement originel de ces différentes cultures ? Nous sommes en train de réfléchir activement à l’émergence de Fab Labs en France (vidéo) et nous sommes preneurs de toutes propositions. Mais notre souhait serait de vouloir faire émerger des FabLabs dans des lieux de formation qui s’ouvriraient à d’autres publics que leurs publics propres. La Fing et de nombreux autres partenaires imaginent également un FabLab mobile qui essaimerait des Fab Labs locaux pour favoriser la prise d’initiatives locales. »

« C’est au croisement du physique et du numérique que l’imaginaire de demain est en train de naître », conclut Daniel Kaplan. Si on laisse le mouvement de l’internet des objets aller vers plus de centralisation et de dissimulation, comme le proposent la plupart des acteurs industriels du domaine, on risque d’aller vers une proposition qui n’en finira pas d’être aliénante. « Aucun des usages majeurs n’est né dans les laboratoires ou dans les grandes entreprises », assène Daniel Kaplan comme un mantra : on a jusqu’à présent distribué les moyens de concevoir, d’échanger, de faire savoir… « On a maintenant la possibilité d’aller jusqu’au monde physique et de mettre à la disposition de tous une technologie libératrice. C’est une chance à saisir ! »

Bidouiller et faire

Massimo Banzi est l’un des cofondateurs du projet Arduino et l’un des responsables de l’agence Tinker.it (souvenez-vous de l’interview d’Alexandra Deschamps-Sonsino, sa collègue, que nous avions réalisé l’année dernière). Sa présentation avait l’avantage de donner encore plus de matière à celle de Daniel Kaplan, en évoquant d’innombrables projets réalisés grâce à Arduino.

Massimo Banzi lors des Entretiens du Nouveau Monde industriel photographié par Samuel Huron
Image : Massimo Banzi lors des Entretiens du Nouveau Monde industriel photographié par Samuel Huron.

Arduino est une petite carte semblable à un petit ordinateur de quelques euros, conçu pour être facile à programmer, explique le designer. Arduino est né en Italie à l’école de design d’Ivrea (voir Arduino Storia), où les designers ont développé de très nombreuses plates-formes de programmation pour répondre à leurs besoins. Les interfaces de programmation, souvent conçues par des ingénieurs, étaient complexes et difficiles à intégrer pour les designers. Le but était de les rendre pratiques à utiliser, que des gens qui ne sont pas ingénieurs en électronique puissent s’en servir, que les étudiants puissent se mettre en situation très rapidement. Arduino permet de construire des prototypes plus facilement, plus rapidement… Arduino est une plate-forme ouverte : le code source et le matériel sont accessibles à tous. Seul le nom porte un copyright afin de défendre une certaine qualité des produits et de la conception, même si de très nombreux clones existent.

Grâce à un langage accessible au plus grand nombre, de nombreuses personnes et notamment des artistes, utilisent Arduino dans leurs conceptions et installations. De nombreux outils de partages de connaissances sont disponibles, comme Make Magazine ou Instructables, ainsi qu’une Déclaration des droits des faiseurs (makers, terme que Massimo Banzi préfère à hackers)…

Alors que fait-on avec Arduino ? A en croire la longue liste que dresse Massimo Banzi, il faudrait peut-être mieux se poser la question de savoir ce qu’on ne fait pas avec Arduino ! Et d’évoquer Makerbot, un kit pour construire sa mini RepRap (imprimante 3D) ; Not so White walls, un magnifique papier peint communicant imaginé en 2005 à Ivrea (vidéo) ; un radio-réveil tactile piloté par un doudou imaginé en 2004 par Nicholas Zambetti et Didier Hilhorst ; Goodnight Lamp d’Alexandra Deschamps-Sonsino, un projet de lampes connectées entre plusieurs appartements permettant de rester en contact avec nos amis ; la machine à café de Tim Hirzel contrôlée via un Nunchuck de Wii ou son récent bateau à moteur contrôlé de la même façon ; une télécommande toute simple (un gros bouton poussoir) pour contrôler la musique de son iPod à distance imaginée par David Findlay ; la table de bavardage (vidéo), une table lumineuse qui montre la densité de parole qui s’échange ; Luxus, le rocking-chair de Markus Hannerstig et Pontus Stalin qui grâce à un accéléromètre et quelques leds s’illumine à mesure que vous vous bercez ; la montre d’Allerta qui se connecte au BlackBerry et permet d’afficher des messages d’alertes provenant de son smartphone intègre des composants Arduino ; ou encore ce type qui a mis un moteur à sa trottinette ou celui qui a construitson propre Segway avec des composants Arduino ; Botanicalls est certainement l’une des applications les plus connues d’Arduino et consiste en de petits capteurs qu’on plante dans la terre de ses plantes et qui vous alerte quand vos plantes ont soif ; Twat Race est un panneau imaginé par Tinker.it qui permet de monitorer le niveau de tweets politiques selon les principaux partis britanniques : l’ensemble a été récemment installé dans le hall d’entrée du Guardian ; MPGuino est un appareil pour mesurer sa consommation d’essence ; KickBee de Corey Menscher est une ceinture qu’une femme enceinte se met autour du ventre et qui envoie des messages chaque fois que bébé donne un coup dans le ventre de sa mère ; le groupe de rock Kazabian a réalisé son dernier clip en transformant Guitar Hero en Football Guitar Hero (vidéo) ; en utilisant de l’encre conductrice et des modules Arduino, Calvin Harris a créé un synthétiseur humain (vidéo)…

Assurément, à voir la densité et la créativité des projets qui utilisent Arduino, on se rend compte combien la plate-forme est devenue le lieu de passage obligé entre la technologie et l’informatique ambiante.

Si le sujet vous intéresse, HacknMod a dressé la liste du top 40 des projets Arduino ou vous découvrirez encore d’autres étonnantes réalisations comme la harpe laser, le miroir magique, la voiture télécommandée depuis son iPhone, la lampe qui s’allume quand vous avez des visiteurs sur votre site, etc.

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