Nos vies gérées par les données

Nous prenons des décisions avec des informations partielles. Souvent, nous ne savons pas répondre aux questions les plus simples : où étais-je la semaine dernière ? Depuis combien de temps ai-je cette douleur au genou ? Combien d’argent dépensé-je habituellement chaque jour ?…

Pour répondre à cela, certains documentent leurs existences pour obtenir des informations précises et concrètes sur leur quotidien, comme c’est le cas de Robin Barooah, un concepteur de logiciel de 38 ans, qui vit à Oakland, Californie. Barooah a ainsi décidé de se désintoxiquer du café. Pour cela, il s’est rempli une grande tasse de café et a décidé d’enlever 20 ml par semaine. Cela lui a pris 4 mois. « Si vous voulez remplacer les aléas de l’intuition par quelque chose de plus fiable, vous devez d’abord recueillir des données. Une fois que vous connaissez les faits, il est possible de mieux les gérer ». Ben Lipkowitz documente également sa vie via son agenda électronique. Il sait ce qu’il a mangé, ce qu’il a dépensé, les livres qu’il a lus, les objets qu’il a achetés, le temps qu’il passe à nettoyer son appartement… Mark Carranza détaille également son existence depuis ses 21 ans, en 1984, via une base de données qui recueille désormais plusieurs millions d’entrées (voir notamment cette intervention pour le Quantified Self). La plupart de ses pensées et actions sont ainsi documentées.

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Image : les journées de Ben Lipkowitz.

Je me mesure, donc je suis

« Ces gens semblent avoir un comportement anormal. Aberrant. Mais pourquoi ce qu’ils font nous semble si étrange ? », se demande Gary Wolf dans un passionnant article pour le New York Times (dont cet article n’est en grande partie qu’une traduction). Dans d’autres contextes, il est normal de récolter des données. C’est le cas des managers, des comptables… Nous tolérons bien souvent les pathologies de la quantification, parce que les résultats s’avèrent puissants. Enumérer les choses permet d’accomplir des tests, des comparaisons, des expériences. Les documenter permet d’amoindrir leur résonnance émotionnelle et de les rendre intellectuellement plus traitables. En sciences, en affaire, et dans la plus grande part des secteurs, les chiffres, carrés et justes, l’emportent. « Pendant longtemps, le domaine de l’activité humaine a semblé à l’abri. Dans les limites confortables de la vie personnelle, nous utilisons rarement la puissance du nombre. Les techniques d’analyse, si efficaces, sont laissées au bureau à la fin de la journée et reprises le lendemain. Imposé à soi ou à sa famille, un régime d’enregistrement objectif semble ridicule. Un journal est respectable, mais une feuille de calcul est effrayante. »

Pourtant, les nombres s’infiltrent dans le domaine de la vie personnelle. Mesurer son sommeil, son exercice physique, son humeur, sa nourriture, sa sexualité, sa localisation, sa productivité, son bien-être spirituel semble de plus en plus affiché et partagé. Sur MedHelp, un des plus grands forums internet pour l’information de santé, quelque 30 000 nouveaux projets personnels sont ainsi documentés par les utilisateurs chaque mois. Foursquare, et son million d’utilisateurs, permets à ses usagers de construire automatiquement le journal détaillé de leurs mouvements et de les publier. La Wii Fit, qui permet entre autres de mesurer ses activités corporelles, a été vendue à plus de 28 millions d’unités.

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Image : cliché d’une réunion du Quantified Self.

Gary Wolf rappelle que depuis deux ans il anime avec Kevin Kelly le Quantified Self, un site web et des réunions régulières sur le sujet de la documentation de soi, qui l’a amené à se demander si l’autosuivi était une conséquence logique de notre obsession à l’efficacité (voire notre édito sur le sujet : « Finalement, documentez-moi ! »). Mais cette recherche d’efficacité implique des progrès rapides vers un but connu. Or, pour beaucoup de gens qui documentent leur existence, « l’objectif est inconnu ». Si beaucoup commencent à le faire avec une question précise à l’esprit, la plupart continuent parce qu’ils croient que cette documentation de soi fait surgir des chiffres qu’ils ne peuvent se permettre d’ignorer, y compris des réponses à des questions qu’ils n’ont peut-être pas encore pensé à se poser.

La montée des capteurs de soi

Cette autodocumentation est un rêve d’ingénieur. Pour comprendre comment les choses fonctionnent, les techniciens sont souvent douloureusement conscients du mystère du comportement humain. Les gens font des choses pour des raisons insondables. Ils sont opaques à eux-mêmes. Les formes de l’auto-exploration de soi (psychanalyse notamment) passent par les mots. Les traceurs explorent une autre voie. « Au lieu d’interroger leurs mondes intérieurs par la parole et l’écrit, ils utilisent les nombres. »

Pour cela, il faut prendre en compte quatre changements importants. Les capteurs électroniques sont devenus plus petits, plus accessibles et de meilleure qualité. Les gens ont eu accès à des dispositifs de calculs puissants et facilement inscriptibles (notamment via leurs mobiles). Les sites sociaux ont montré qu’il n’était pas anormal de partager ces données. Enfin, nous avons commencé à apercevoir la montée d’une superintelligence mondiale dans les nuages (l’informatique en nuage est l’infrastructure de la Machine unique de Kevin Kelly).

Les méthodes d’analyses familières sont désormais enrichies par des capteurs qui surveillent notre comportement, par des processus d’autosuivis plus séduisants et significatifs… qui nous rappellent que notre comportement ordinaire contient d’obscurs signaux quantitatifs qui peuvent être utilisés pour documenter nos comportements. Ainsi Ken Fyfe, l’un des pionniers des dispositifs de surveillance biométrique vestimentaire, rappelle que dans les années 90, quand un coureur voulait avoir des informations sur la mécanique de leurs performances (rythme, cadence…), il devait se rendre dans un laboratoire pour que sa performance soit enregistrée. Désormais, il suffit d’un téléphone mobile ou d’une puce dotée d’accéléromètres et de GPS, pour connaître ces informations, comme le font tous ceux qui utilisent ces outils pour surveiller leurs résultats sportifs. « L’expertise dont vous avez besoin consiste dans le traitement du signal et l’analyse statistique des résultats », explique James Park, cofondateur de Fitbit, un capteur de mouvement. Philips commercialise désormais DirectLife, Zeo un petit capteur qui capte les signaux électriques du cerveau pendant votre sommeil. L’accéléromètre de Ken Fyfe, développé par Dynastream, est utilisé dans les montres d’Adidas et Polar et mesure également la pression artérielle, le niveau de glucose, le poids, le sommeil… Nike+ commercialisé depuis 2006 a été adopté par 2,5 millions de coureurs.

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Image : Le Zeo et un exemple de mesure de sommeil obtenu depuis cet appareil.

Le rêve de Ken Fyfe est de démocratiser la recherche objective sur les sujets humains. Le coeur de ce laboratoire personnel est désormais le téléphone portable, qui nous enveloppe d’un nuage de calculs, couplé aux sites sociaux. « Les gens se sont habitués à partager », explique David Lammers-Meis, qui dirige la conception des produits de remise en forme de Garmin, la firme spécialisée dans l’intégration de GPS. « Plus ils veulent partager, plus ils veulent avoir des choses à partager. » Même si on n’a rien à dire on veut avoir quelque chose à partager. 1,5 million de personnes utilisent Mint, leur permettant de partager leurs dépenses pour mieux les maîtriser.

Maîtriser les machines qui nous mesurent

Les manies de quelques geeks sont en passe de paraître normales. Pour Gary Wolf, l’une des raisons pour lesquelles l’autosuivi se répand au-delà de la culture technique qui lui a donné naissance réside dans le fait que dans notre quête à nous comprendre, nous souhaitons récupérer une partie du pouvoir de contrôle et de documentation de nous-mêmes que nous confions aux machines.

Sophie Barbier, une enseignante de 47 ans résidant à Palo Alto, a ainsi commencé à partager les données de ses parcours cyclistes (temps, distance, fréquence cardiaque). Puis elle a commencé à noter son humeur, son sommeil, sa capacité de concentration, sa consommation de caféine… Elle a pris un complément alimentaire, le tryptophane, pour faire disparaître ses insomnies et s’est rendu compte qu’il avait aussi un effet sur sa capacité de concentration. Seth Roberts, professeur de psychologie à l’université de Californie a ainsi développé un logiciel de mesure de la performance cognitive, qui, couplé à un système d’autosuivi pour adapter son régime alimentaire, lui a permis de démontrer que le beurre a contribué a améliorer ses performances cognitives.

Bien sûr, ces auto-expériences ne sont pas des essais cliniques. Le but n’est pas de comprendre quelque chose au sujet des êtres humains en général, mais de découvrir quelque chose sur vous-même. Leur validité est circonscrite, mais elle peut s’avérer pertinente. En général, lorsque nous essayons de changer une habitude, un comportement, on improvise, on oublie nos résultats ou on modifie les conditions sans même mesurer très bien les résultats. Bien sûr, les erreurs sont possibles : il est facile de confondre un effet transitoire avec un effet permanent ou manquer un facteur caché qui influence vos données et leurs conclusions… « Mais une fois que vous démarrez la collecte de données, l’enregistrement des dates, les conditions de basculement d’avant en arrière tout en gardant un registre précis des résultats, vous gagnez un avantage énorme par rapport à la pratique normale ».

« L’idée que notre vie mentale est affectée par des causes cachées est un des piliers de la psychologie », estime Gary Wolf. « Ce n’est pas seulement le cadre de nos pensées qui nous échappe : nos actions aussi » Terry Paul a développé un outil qui mesure le développement du langage des enfants par le suivi de nos échanges conversationnels avec lui, en traduisant les bruits de l’environnement d’un bébé par des données. Son moniteur – le Lena – est utilisé par la recherche universitaire. Pour beaucoup de parents, il ressemble à un cauchemar de surveillance névrotique : qui voudrait d’un enregistreur numérique qui vous note sur la façon dont vous parlez à votre enfant ? Pourtant, les parents sous-estiment le rôle du langage préverbal sur le développement de leur enfant. .
Nous ne nous apercevons pas de ce que nous faisons parce que nous sommes motivés à ne pas nous en apercevoir, explique encore Gary Wolf. Shaun Rance a ainsi commencé à suivre sa consommation d’alcool il y a deux ans, après que son père ait reçu un diagnostic de cancer du foie en phase terminale. Il ne s’est pas engagé à arrêter de boire, il a commencé à compter, en utilisant le site anonyme DrinkingDiary. Par ce biais, il a aiguisé sa conscience du problème, a augmenté sa maîtrise de soi et a réduit sa consommation d’alcool. Il ne peut plus se mentir à lui-même ou sous-estimer sa consommation. Il ne ment pas à la machine, car il n’a pas de raison de le faire.

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Image : Drinking Diary, le journal de votre alcoolémie.

Pour Dave Marvit, vice-président des laboratoires Fujitsu aux Etats-Unis, où il dirige un projet de recherche sur l’autosuivi, si nous avions un signal doux sur la quantité de sucre dans notre sang, changerions-nous notre façon de manger ? La colère, la joie, notre énergie ou la baisse de forme de notre métabolisme sont des matériaux de notre vie quotidienne. Peut-on ramasser ces signaux faibles pour en faire un levier de nos comportements ? Margaret Morris, psychologue et chercheuse chez Intel a récemment publié une série d’essais utilisant le téléphone mobile pour faire du suivi d’émotion. A plusieurs moments dans la journée, le téléphone des utilisateurs sonnait pour leur réclamer de documenter leur humeur. L’un des utilisateurs s’est ainsi rendu compte que son humeur massacrante commençait chaque jour à la même heure. Les données l’ont aidé à voir le problème et il a introduit une pause dans son emploi du temps pour faire le vide du stress accumulé.

L’insupportable objectivité des machines

Pour Gary Wolf, beaucoup de nos problèmes viennent du simple manque d’instruments pour les comprendre. Nos mémoires sont pauvres, nos préjugés nombreux, notre capacité d’attention limitée. Nous n’avons pas de podomètres à nos pieds, d’alcootest dans notre bouche ou un moniteur de glucose dans nos veines – enfin, pas encore. Il nous manque l’appareil psychique et physique pour faire le point sur nous-mêmes. Et pour cela, nous avons besoin de l’aide des machines. Mais cette surveillance par les machines ne fait pas tout. Alexandra Carmichael, l’une des fondatrices du site d’autosuivi CureTogether, a récemment évoqué sur son blog pourquoi elle avait cessé son suivi. « Chaque jour, mon estime de soi était liée aux données ». La quarantaine de données d’elle-même qu’elle suivait n’a pas résisté à sa volonté et à son amour-propre. « C’était comme un retour à l’école » reconnaissait-elle. « Les traceurs électroniques n’ont pas de sentiments. Mais ils sont de puissants miroirs de nos propres valeurs et jugements. L’objectivité d’une machine peut sembler généreuse ou impitoyable, tolérante ou cruelle. »

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Image : CureTogether, mesurer sa santé.

Cette ambivalence est également à prendre en compte. Le programme de désaccoutumance au tabac mis au point par Paypal Kraft, chercheur norvégien à l’université d’Oslo, a implémenté dans son programme un droit à l’erreur. Quand les gens avouent avoir repris une cigarette, un message les encourage à réessayer, sans les culpabiliser. Même si cet exemple ne trompe personne, les recherches en interaction homme-machine montrent que lorsque les machines sont dotées de caractéristiques émotionnelles, d’empathie, elles sont aussi capables de nous rassurer.

Jon Cousins, développeur logiciel, a construit un système d’autosuivi de sentiments –Moodscope – suite à un diagnostic en 2007 de trouble affectif bipolaire. Utilisé par quelque 1000 personnes, le logiciel envoie automatiquement un mail avec les résultats d’humeur à quelques amis. Désormais, ses amis savent pourquoi il a parfois un comportement étrange. Quand son résultat n’est pas bon, ses amis peuvent l’appeler ou le réconforter par mail, ce qui suffit souvent à le faire se sentir mieux. Moodscope est un système mixte dans lequel la mesure est complétée par la sympathie humaine. L’autosuivi peut sembler parfois narcissique, mais il permet aussi aux gens de se connecter les uns aux autres de façon nouvelle. Les traces de nous-mêmes que laissent ces nouvelles métriques sont comme les pistes de phéromones des insectes : ces signaux peuvent nous conduire vers des gens qui partagent nos préoccupations.

Souvent les pionniers de l’autosuivi ont le sentiment d’être à la fois aidés et tourmentés par les systèmes qu’ils ont construits. Gary Wolf lui-même a expérimenté ce suivi pour mesurer finement son temps de travail. L’outillage a montré que ses journées étaient un patchwork de distraction, agrémenté de quelques rares moments d’attention (moins de trois heures par jour). Après avoir digéré l’humiliation de ce constat, il s’en est servi comme d’une source de perspective critique, non pas sur la performance, mais sur ce qu’il était important de mesurer. Le standard de l’expérience humaine universelle n’existe pas, rappelle-t-il. Les outils de mesure permettent aussi de personnaliser et d’adapter les soins, régimes et diagnostic à son état précis. Et de citer un dernier exemple, celui de Bo Adler, un informaticien des laboratoires Fujitsu souffrant d’apnée du sommeil. Les docteurs souhaitaient lui faire subir une opération chirurgicale, comme ils le font dans la plupart des cas critiques d’apnée du sommeil. Mais Adler n’a pas voulu. Ceux qui mesurent leur santé savent mieux adapter leurs entraînements sportifs ou leurs régimes à leur condition physique ou à leurs objectifs. Ils connaissent mieux leurs forces et leurs faiblesses. L’autosuivi n’est pas tant un outil d’optimisation que de découverte de soi. Et leur effet le plus intéressant pourrait bien être de nous aider à réévaluer ce que « normal » veut dire, conclut Gary Wolf.

Hubert Guillaud

Si vous-mêmes utilisez des systèmes de ce type, nous serions ravis que vous nous fassiez part de votre expérience en commentaire de cet article. Comment les utilisez-vous ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ? Quel est votre sentiment par rapport à cette expérience ?

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0 commentaires

  1. Bonjour,
    J’ai testé l’alcomètre du ministère de la santé. Par chance ma consomation est raisonnable. Mais l’effort hebdomadaire de mémoire est fastidieux.

    Le système de traçage de soi inclut-il le temps passé à se tracer ???

    Non nOOn, mais on doit certainement pouvoir en faire quelque chose… Dès qu’on passe plus de 50 minutes par jour à se tracer soi-même on tombe dans l’excès de traçage et on est obligé de faire un stage à la Cnil… ;-). – HG

  2. Le projet GERHOME dont j’ai la charge s’intéresse à l’actimétrie dans le logement et nous menons actuellement une réflexion sur l’ergonomie du système et son interaction avec la personne âgée et les aidants.
    Travaillant avec des capteurs non portés et cachés dans le logement nous ne savons pas encore si ce « monitoring » peut avoir un impact sur le comportement.
    A suivre

    Concernant le CNIL cela devient un problème si les données sont stockées de manière nominales.
    Nous sommes plus confrontés à terme à un problème éthique qu’un problème de protection des données (car nous savons garantir cette protection).

  3. J’utilise (mais de façon très épisodique) Rescue time. En standard il calcule le temps passé sur des applications / logiciels utilisés, et si on le paramètre (ce que je n’ai pas fait), il peut prendre en compte des sites particuliers. L’utilisation de services applicatifs en ligne facilite bien sûr l’usage de ce type d’outils. Au lieu de noter le temps passé sur des dossiers, la machine compte pour moi ! Je ne passerais pas plus de 5 mn pour conserver ces traces. On peut également catégoriser ces données ce qui offre (immédiatement et sans y passer du temps) une vision plus cohérente de myriades d’activités quotidiennes qui s’entrechoquent et qui sont mon lot quotidien.
    Si je ne l’utilise pas plus/mieux, c’est parce que j’ai eu la flemme pour le moment de le paramétrer correctement. Ce n’est pas tant le temps passé lui-même que les « choses faites » sur la base des outils ou application exploités qui m’avait intéressée. Mais je ne suis pas une accro : je garde le résultat du tableau de bord qui m’arrive et ne regarde que les évolutions de temps en temps. J’ai pris plus de temps pour faire ce billet que pour exploiter ces traces automatiques 😉

  4. Au fond on en revient toujours à ce bon vieux problème : la carte n’est pas le territoire.
    Si les données disent ou montrent des choses, elles ne pourvoient pas le sens.

  5. Bonjour,

    Je suis sociologue et mène actuellement une enquête sur les métriques de soi. Nous cherchons à interviewer des personnes qui développent ce type de pratiques de mesure, façon « quantified-self ». Si vous êtes dans ce cas et avez un peu de temps à nous consacrer, n’hésitez pas à nous contacter.

  6. Je suis programmeur. J »enregistre mes tâches depuis 1997.
    Ça a commencé à une époque où je travaillais à l’heure, je les notais sur un papier pour les compter et les facturer.
    Ensuite, j’ai fait un tout petit programme où je sélectionne simplement un type de tâche et ça horodate le changement de tâche. Les types de tâche sont: les 3-4 projets de travail actuels/pause/sommeil/alimentation/la personne avec laquelle je vis (ie je vais chez elle)/sortie/sport/amis/famille/… Il y a bien sûr des moments où plusieurs rubriques sont concernées en même temps, alors je choisis celle qui prédomine. La principale dichotomie se fait entre un moment à l’intérieur (travail sur ordi) et l’extérieur (pas de saisie mobile).

    Cela me sert avant tout à suivre mon travail (des projets personnels, sur ordi, à domicile): est-ce que le niveau d’activité est suffisant, ou au contraire est-ce que je ne passe pas trop de temps sur une petite tâche. Naturellement, le temps passé ne dit rien de la qualité du travail, des résultats obtenus. Les bonnes idées qui font avancer le travail viennent sous la douche, etc.

    Plus rarement, je peux chercher dans les données des informations de ma vie passée (quand ai-je fréquenté telle personne ?).

    Récemment, j’ai ajouté une sorte d’alerte toutes les heures qui me demande si je suis « conditionné » ou pas, c’est-à-dire à la fois concentré, vif, actif selon mes buts fixés. Mais je l’ai désactivée car le dérangement est agaçant.

    J’avais songé aussi à un suivi plus complet à l’image de la maîtrise d’oeuvre des entreprises, avec des liens entre les tâches, un planning, etc mais c’est trop de lourdeur.

    La question centrale est de trouver le moyen d’aider à parvenir à ses objectifs. Suivre le temps passé, mais aussi contrôler son mental.

  7. [je continue]

    Mesurer le temps c’est découper un grand projet en petits bouts et ça permet d’éviter de s’y perdre. Mais le bénéfice de ce moyen reste toutefois faible. Il y a une utopie là-dedans. Elle est révélée par exemple par le fait que si le système coûte trop (lourdeur de la saisie, etc), il est abandonné.

    Contrôler son mental (se demander régulièrement si on est dans de bonnes dispositions, ce qui aide à trouver ces conditions, à les maintenir. se mettre sur la voie de ses buts) peut se faire par la seule discipline humaine, mais l’outil contrecarre la négligence et l’oubli qui viennent tôt ou tard. Psychologiquement, on ne vit qu’au présent et avec une conscience presque toujours étroite.

    Pour l’aspect archive personnelle, je trouve qu’on est dans la filiation du journal intime. J’écris parfois une note relative à la tâche/moment saisi. Cette somme d’informations acquiert un caractère sentimental, on peut la revisiter, retrouver le passé.

  8. C’est aussi une conception de la vie comme étant une suite de moments, ce qui est pragmatique.

  9. @Patatras vos commentaires complètent extrêmement bien l’article, merci.

    Qu’en est-il devenu de votre programme? L’utilisez-vous toujours? Mieux/moins? Avez-vous ajouté d’autres fonctionnalités ?