Voyage dans l’innovation sociale scandinave (2/3) : Réinventer l’entrepreneuriat

Suite de notre voyage dans l’innovation sociale européenne (voir la première partie) à l’invitation de la 27e Région, laboratoire d’innovation publique. Avec un regard particulier sur la façon dont la conception de services peut aider au développement de nouvelles formes d’entreprises.

MindLab : changer l’esprit de l’innovation publique

Le MindLab (blog) est un laboratoire fondé par les ministères danois de l’économie, des finances et de l’emploi. Etabli depuis 9 ans et composé d’une équipe de 15 personnes, son objectif a pris une toute autre actualité à l’heure de la crise financière et écologique : penser l’innovation dans le gouvernement et les services publics.

« Nous devons dépenser l’argent public d’une manière plus intelligente », explique son directeur Christian Bason, auteur d’un livre à paraître sur ces questions. Le MindLab utilise les moyens du design pour impliquer citoyens et agents lors d’ateliers créatifs, mais également des outils provenant de méthodes plus traditionnelles comme l’ethnographie ou les méthodes quantitatives traditionnelles. L’unité d’innovation que constitue le MindLab est placée à un haut niveau stratégique, capable de court-circuiter la bureaucratie traditionnelle en impliquant les chefs de service, les organisations publiques extérieures aux ministères et toutes les parties prenantes. Leur travail consiste à comprendre comment les gens travaillent pour les aider à changer leurs comportements. « La valeur de ce que nous faisons ici consiste à mieux comprendre les vrais problèmes plutôt que d’en venir directement aux conclusions ».

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Image : Les méthodes du MindLab danois, issues de leur Guide pour l’innovation (en danois).

Des responsables du ministère de l’économie sont ainsi venus les trouver avec un problème : pourquoi les entrepreneurs danois utilisent-ils si peu les nombreuses aides du gouvernement ? Suite à une enquête de terrain, en suivant au plus près certains entrepreneurs, les équipes du MindLab se sont rendu compte que la demande des entrepreneurs n’était pas tant de recevoir des aides financières dans un labyrinthe administratif toujours trop complexe que de recevoir de l’aide et des conseils de leurs pairs. Les entrepreneurs ont vite montré qu’ils préféraient avoir une plateforme pour s’entraider plutôt que plus d’aide du gouvernement. L’aide désincarnée de leurs réalités et de leurs préoccupations ne répondait finalement pas beaucoup à leur demande. Cela ne veut pas dire qu’elle n’était pas nécessaire, mais qu’elle était insuffisante, au moins pour la lire et la comprendre. Pour travailler à ce projet, l’équipe du MindLab s’est adaptée aux contraintes des entrepreneurs : créant de petites interactions quotidiennes via les mobiles devenus depuis longtemps le couteau suisse du patron de PME, pour interagir rapidement avec eux, à toutes les étapes de la conception. Un programme est lancé et une plateforme d’échanges adaptée à leurs besoins devrait voir le jour d’ici décembre.

« Dans l’administration, on peut oublier très rapidement qu’il faut s’améliorer, qu’il faut évaluer nos performances… Mais comment évaluer ce que représente le changement d’état d’esprit des gens ? » Le MindLab a mis au point un système de management de ses performances : chaque projet est évalué par les parties prenantes et les directions, afin de mieux en mesurer l’impact concret.

L’entrepreneuriat en résidence

Joop Tanis s’occupe du programme d’entrepreneuriat social en résidence (Social Entrepreneurship in residence, Seir) à la Young Foundation, cette fondation britannique dédiée à l’innovation sociale. « Avec la crise, l’innovation est passée du désirable à l’inévitable », explique-t-il. Dans le domaine de la santé, en Grande-Bretagne, les coupes budgétaires ne cessent de se multiplier. « Il faut faire plus avec moins, alors que les gens en attendent toujours plus », explique Joop Tanis reprenant ce faisant, un argument souvent utilisé par les Britanniques lorsqu’ils recourent à l’innovation sociale. Le même que défendait récemment Hilary Cottam de Participle : trouver une alternative au modèle de coupe budgétaire des services publics auquel nous allons tous être soumis pour les prochaines années en imaginant de nouveaux types de services comme le Cercle de Southwark, un réseau d’entraide de voisinage.

Ce programme de la Young Foundation concerne 65 personnes, 47 entreprises et aide à ce jour 35 projets. HealthLaunchpad, le projet qui l’accueille, est un fonds d’investissement pour soutenir de nouvelles formes d’entrepreunariat social autour de la santé. L’idée n’est pas de soutenir des jeunes pousses innovantes développant des applications médicales de pointes ou spécialisées, mais de soutenir d’autres approches de l’innovation dans le domaine de la santé. Le Seir investit ainsi dans quelques entreprises sélectionnées en plusieurs phases : les équipes de l’Health Launchpad consacrent plusieurs jours à travailler avec l’entreprise à cadrer son projet, avant de l’accompagner dans le montage financier de la société et dans la définition de son modèle commercial. L’entrepreneur sélectionné entre ainsi en résidence dans un service public qui l’accueille et qui servira de plateforme pilote pour tester le projet.

Parmi les sociétés accompagnées, Healthy Incentives est un système d’incitation pour soutenir et encourager les gens à prendre soin d’eux que ce soit en cessant de fumer ou en faisant de l’exercice. L’idée est de soutenir une initiative majeure de prévention. Le pilote du projet a été lancé sur la ville de Birmingham avec des groupes de quelques centaines d’utilisateurs utilisant un site web et des techniques de motivation adaptées à des usages distants. NeuroResponse est une entreprise de télésanté pour les personnes souffrant de sclérose en plaques. Le service est composé d’un module de triage des appels téléphoniques, d’un service d’aide en vidéo et d’une hotline par e-mail permettant à des médecins et des patients de consulter directement des spécialistes dans le but de réduire le temps de réponse et d’améliorer l’efficacité des soins apportés aux patients. Autre exemple avec le projet SupportMyParent qui consiste en la création d’un forum d’entraide pour les familles ayant une personne âgée à charge. Pour le programme d’entrepreneurs en résidence, ces familles jouent un rôle capital et non mesuré dans les prestations de soins aux personnes âgées, d’où l’importance de trouver des outils pour les aider afin d’alléger le recours systématique à des personnels de santé. A friend in deed est un autre concept qui consiste à accompagner pendant quelques semaines les personnes âgées qui sortent d’une courte hospitalisation afin de les aider à retrouver leur autonomie. L’accompagnement, lancé en pilote sur le Comté de Brent, se fait par téléphone : un bénévole est chargé d’appeler les personnes âgées chaque jour pour voir ce dont elles ont besoin et orienter les associations d’entraide vers elles si nécessaire. L’idée est de réduire la dépendance des personnes âgées à l’égard des professionnels de santé pour des motifs qui n’ont pas nécessairement de liens avec la santé.

Comme on le voit à l’aune des projets soutenus par le programme entrepreneurs en résidence, ici, le propos est bien de faire de la santé publique autrement, afin qu’elle coûte moins cher et qu’elle réponde à des mesures préventives et à du suivi médical léger. « La création de sociétés de ce type n’aurait pas été envisageable dans le cadre du système de santé normal », souligne Joop Janis, comme il nous semblerait improbable que demain le ministère de la Santé investisse dans Doctissimo.fr, le portail de la santé et du bien-être de Lagardère, qui part beaucoup d’aspect joue certainement ce type de rôles auprès du grand public. L’idée ici est de soutenir des projets différents qui permettent de trouver des solutions pas nécessairement médicales à des problèmes médicaux. Il faut aller plus loin que toiletter les services publics semble dire Joop Janis.

La proposition peut sembler radicale, mais c’est peut-être une des façons de développer et soutenir des projets qui proposent un rapport à la santé différent.

Soutenir l’esprit d’entreprendre

L’Estrémadure n’est pas la région la plus innovante d’Espagne, au contraire. C’est pour remédier à un niveau de chômage plutôt élevé, une industrie traditionnelle encore très présente et à un très faible taux de création d’entreprise, que les autorités locales ont mis en place en 2004 le Cabinet d’initiative pour les jeunes. Cette cellule a pour objectif de promouvoir et développer l’esprit d’entreprendre auprès des plus jeunes et de créer un écosystème favorable à l’innovation et à la créativité. Rien de moins ambitieux, comme l’exprime très bien son manifeste de la société de l’imagination qui rappelle que le progrès social est aussi fondé sur la stimulation de l’imagination dans toutes les strates de la société.

Pour répondre à ce défi, l’initiative pour les jeunes de la région Estrémadure a lancé de nombreux programmes, dont plusieurs dans le domaine éducatif à destination des enfants comme des étudiants. L’un d’eux, par exemple, consiste en un concours pour les lycéens, dont la 5e édition vient de s’achever, consacré à imaginer son entreprise. Durant 9 mois, des groupes d’étudiants doivent imaginer un produit ou un service, en faire le prototype, apprendre à présenter un projet, trouver les financements en mettant en place un business plan. Les professeurs qui les accompagnent reçoivent une formation à la créativité, à la planification de projets et à la préparation de business plan. Chaque année, le jury retient 25 projets. « Le but n’est pas qu’ils deviennent demain tous entrepreneurs », explique Annabelle Favreau, « mais qu’ils apprennent à présenter un projet, à s’impliquer, qu’ils sachent comment le financer… qu’ils comprennent mieux ce qu’est l’esprit d’entreprendre ».

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Image : Des élèves présentent leur projet d’entreprise au jury lors du concours « Imaginer son entreprise ».

Autre exemple de l’action de ce laboratoire d’innovation sociale consacré à l’innovation entrepreneuriale : les rencontres ! Que ce soit la Pasta (que l’on peut traduire par « pâte » mais plus encore par « fric », les rencontres Pasta consistent en des séances de rencontres créatives entre financiers et entrepreneurs) ou les Coffee Breaks annuels (dans ces rencontres créatives entre le Barcamp et le Speed Dating, l’idée est de mettre de côté le séminaire pour ne laisser que des pauses cafés afin que les entrepreneurs se rencontrent), tous les outils sont tournés pour aider les créateurs d’entreprises à entreprendre ensemble. « 75 % des gens qui viennent à ces évènements rencontrent des gens qui les aident dans leurs métiers », estime Annabelle Favreau en se basant sur les enquêtes de satisfaction des entrepreneurs.

L’initiative pour les jeunes développe de nombreuses autres actions pour créer une relation de proximité avec les entrepreneurs qui sont accompagnés tout le long de leur parcours que ce soit dans l’aide au montage de projet, à la communication comme dans l’accès au réseau d’autres innovateurs locaux. « Utiliser des techniques de créativité a pour but de rendre les gens créatifs », rappelle Annabelle Favreau. D’où l’utilisation de la conception pour produire des projets, des identités, des outils, des environnements qui doivent être impliquant et différents.

Après avoir lancé la semaine de la créativité cette année, le programme prépare une stratégie régionale sur l’entrepreneuriat, via le programme i-cosistemas dont le double but est de concevoir un écosystème de ressources et de services pour les entrepreneurs (en plus des évènements et des espaces physiques) et d’établir des critères qui permettraient d’évaluer le potentiel de créativité d’un territoire. En attendant que ces derniers soient mis en place, les résultats de l’initiative se mesurent déjà de manière plus empirique : « d’autres régions espagnoles s’en inspirent pour la reproduire. Les entrepreneurs nous recommandent à d’autres entrepreneurs ». A croire qu’il demeure plus facile de mesurer la satisfaction que la transformation.

Hubert Guillaud

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