#pdlt : Humain, surhumain, transhumain…

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission. Désormais, vous la retrouverez toutes les semaines aussi sur InternetActu.net.

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article du New York Times qui rejoint une question que nous avons traitée ici même il y a quelques semaines, celle du transhumanisme. L’article d’Ashlee Vance s’intitule : « Etre simplement humain ? Trop 20e siècle » et il s’intéresse à l’université de la singularité, un cursus universitaire financé en grande partie par Google, dont on avait parlé sur Place de la Toile dès septembre. Faire le point sur cette notion de Singularité et raconter ce qui se passe dans l’université, c’est tout l’intérêt de cet article.

Ashlee Vance fait d’abord un long rappel théorique. « Le concept de Singularité, explique-t-il, postule que les êtres humains et les machines se mêleront avec si peu d’effort et tant d’élégance qu’une santé fragile, les ravages de l’âge et même la mort appartiendront bientôt au passé ». Et la croyance en cette idée a irradié la Silicon Valley. Beaucoup croient que la technologie sera le seul moyen de résoudre les maux du monde et qu’elle permettra aux gens de contrôler l’évolution. Le journaliste ajoute : « Pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué, l’entreprise la plus célèbre de la Silicon Valley – à savoir Google – travaille au quotidien à la construction d’un cerveau géant qui exploite le pouvoir de réflexion des êtres humains dans le but de dépasser le pouvoir de réflexion des êtres humains. »

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Image : la page d’accueil du site de l’université de la singularité.

Larry Page, le cofondateur de Google a aidé en 2008 à l’émergence de la Singularity University et l’entreprise a fait une donation de plus de 250 000 dollars. D’autres employés de Google ont donné 100 000 dollars chacun.

L’université, explique le journaliste, est le versant le plus concret de la Singularité et a pour but de présenter aux entrepreneurs les technologies les plus prometteuses. Des centaines d’étudiants venus du monde entier suivent un cursus de 10 semaines pour 25 000 dollars chacun. Des cadres, inventeurs, universitaires et investisseurs peuvent suivre un programme de 9 jours, plus intime. Les deux cursus contiennent des rencontres avec des penseurs influents des domaines des nanotechnologies, de l’intelligence artificielle, de l’énergie, des biotechnologies et de la robotique et de l’informatique.

Sur un ton plus provocant et millénariste, la Singularité offre aussi une version contemporaine et quasi religieuse de la Fontaine de jouvence en affirmant que les êtres humains – ou quelque chose qui en dériverait – pourraient y avoir accès. « Nous transcenderons toutes les limites de notre humanité », explique Ray Kurzweil, l’inventeur et le marchand de la Singularité, qui porte partout la bonne parole et a dans l’intention de vivre des centaines d’années, de faire revivre les morts, son père inclus, « être humain, c’est viser à l’extension de ce que nous sommes », ajoute Kurzweil.

Suit un portrait de Ray Kurzweil, 62 ans, qui fait à la fois des films où il explique ses théories, des livres qui se vendent très bien, qui gagne beaucoup d’argent en parlant dans le monde entier, qui a à son crédit quelques inventions lucratives et une ligne de compléments alimentaires du nom de Ray and Terry’s (il développe cette ligne avec le physicien Terry Grosmman). Kurzweil prône un régime alimentaire sans graisse, riche en légume et dit avoir vaincu le diabète en changeant son régime alimentaire et en reprogrammant son corps avec des compléments. Il avale en moyenne 150 pilules par jour et s’alimente régulièrement par intraveineuse. Il justifie son goût pour l’invention par une passion précoce pour la construction et dit : « J’ai grandi avec l’idée que l’invention pouvait servir à améliorer le monde, qu’on pouvait remettre les choses dans le bon ordre et que ça aurait des effets transcendants. C’était une sorte de religion dans ma famille : le pouvoir des idées humaines. » Très tôt il se met à l’informatique. Quand il a vingtaine d’années, une entreprise new-yorkaise achète pour 100 000 dollars un programme qu’il avait développé alors qu’il était étudiant. Parmi ses inventions : celle du premier système permettant de convertir un texte imprimé en discours parlé et rendant possible aux aveugles de lire des textes standards, celle de claviers électroniques sophistiqués ou d’un logiciel de reconnaissance vocale. Son entreprise a récolté des millions en commercialisant ces inventions et continue à en développer d’autres.

Il a commencé sa marche vers la Singularité dans les années 1980, quand il s’est intéressé à la vitesse des puces et aux capacités de mémoires à l’intérieur des ordinateurs et quand il a compris que certains éléments des technologies de l’information progressaient à une vitesse qui était à la fois prévisible et exponentielle. « Dans 25 ans, explique-t-il souvent dans ses interventions, un ordinateur aussi puissant qu’un smart phone d’aujourd’hui aura la taille d’une cellule sanguine. » Sa fascination pour les tendances exponentielles l’a mené à construire une philosophie, illustrée par des schémas, qui donne sa colonne vertébrale à la Singularité et à d’autres idées jusque-là réservées à la science-fiction.

On dit que le mathématicien John Von Neumann a parlé de la singularité dès les années 50, avec l’idée que l’allure toujours en accélération de la technologie altérerait le cours des affaires humaines. En 1993, Vernor Vinge, écrivain de science-fiction, informaticien et professeur de math, a écrit un rapport de recherche intitulé The Coming Technologial Singularity : How to Survive in th Post-Human Era (La singularité technologique à venir : comment survivre à l’ère post-humaine). « D’ici 30 ans, écrit Vinge, nous aurons les moyens technologiques de créer une intelligence surhumaine. Peu après, ce sera la fin de l’ère humaine. » Dans The Singularity is Near (La Singularité est proche traduit en français sous le titre Humanité 2.0 : La bible du changement – signalons qu’un film est en cours de production depuis le livre), Kurzweil pose que le progrès technologique dans le siècle à venir sera 1 000 fois supérieur à ce qu’il fut dans le siècle précédent. Il parle d’êtres humains qui vaincraient les limites de la biologie en remplissant leurs corps de créatures nano capables de réparer leurs cellules et en permettant à leurs esprits de profiter d’ordinateurs super-intelligents. Kurzweil écrit : « Une fois une intelligence non biologique implémentée dans le cerveau humain (ça a déjà commencé avec implants neuronaux informatisés), la machine intelligente dans notre cerveau grandira de manière exponentielle (comme elle a toujours fait), doublant au moins en puissance chaque année. »

« Finalement, ajoute-t-il, l’univers tout entier sera saturé de notre intelligence. C’est le destin de l’univers. »

Kurzweil, selon le journaliste, offre ainsi des réponses aux angoisses des gens quant à la vitesse des changements sociaux et technologiques à l’heure de l’informatique. Kurzweil avance que l’ordinateur et l’internet ont changé la société beaucoup plus vite que l’électricité, le téléphone ou la télévision et la prochaine étape sera franchie quand des industries comme la médecine ou l’énergie commenceront à bouger à la même vitesse exponentielle que les technologies informatiques. Il croit que la dernière étape arrivera quand nous apprendrons à manipuler l’ADN plus efficacement et que nous aurons des ordinateurs capables de dépasser l’intelligence humaine. Dans les années 2030, prédit Kurzweil, la plupart des gens atteindront l’immortalité mentale en sauvegardant leur esprit, et la Singularité s’épanouira.

Or Ray Kurzweil a fondé l’université de la Singularité avec Peter Diamandis, qui dirige une fondation du nom de X Prize, à qui Google a offert 30 millions de dollars en récompense d’un projet qui a pour but d’envoyer un robot sur la lune. D’ailleurs, c’est Peter Diamandis qui dirige vraiment l’université, Ray Kurzweil lui servant de vitrine. Le but de Diamandis, c’est de créer un réseau sans rival de diplômés et d’intellectuels – une sorte de Harvard Business School du futur -, qui mettent ces idées en action. Pour l’instant, l’université a du succès, 1 600 personnes se disputant les 40 places du cursus le plus long. Les cours commencent à 9 heures, on philosophe le soir autour de bouteilles de vin et de pop corn et c’est un chef de chez Google qui prépare des repas spéciaux, estampillés « extenseurs de vie ». Le programme consiste en des cours magistraux, des visites d’entreprises et des exercices de réflexion collective.

Aux dires du journaliste, même si la Singularité informe l’environnement de cette université, la majorité des cadres interrogés, et qui suivent la session courte ce printemps, sont moins intéressés par le fait de vivre éternellement que par celui de trouver des idées pour leur prochain business ou des entreprises dans lesquelles investir.

Néanmoins, parmi les cadres venus suivre le programme court de ce printemps, on trouve un directeur de recherche du Département de Défense américain, le PDG d’un fonds d’investissement argentin, le directeur du multimédia dans le cabinet du premier ministre Israélien. Et certains d’entre eux croient à la capacité des technologies à nous garder des maux de la vie et de la nature.

Dans les cours magistraux, on leur explique que les hackers d’aujourd’hui ne s’intéressent plus à l’informatique, mais à la biologie, que la biologie est sortie de la sphère de l’éducation traditionnelle, on leur explique que les coûts de la robotique sont en train de chuter et que cette technologie est toute proche d’entrer dans les foyers. On leur dit que bientôt, des millions de gens auront leur génome décodé. On leur raconte que bientôt, on pourra avoir des animaux domestiques fabriqués avec des morceaux de différents animaux, qu’on pourra trafiquer le génome de plantes pour qu’elles prennent la forme d’objets de notre quotidien, la forme d’une chaise, d’une table. On leur dit que bientôt, on fabriquera la viande dans les usines et plus en tuant des animaux. Un autre explique comment dans son entreprise, il essaie de sortir des informations du cerveau à l’aide de capteurs sensoriels dans le but de quantifier le niveau de la dépression ou de la douleur de la personne. Les fondateurs de l’université de la Singularité considèrent que sa mission est de préparer les gens à l’inévitable.

Bien sûr, la Singularité a des contradicteurs, qui considèrent que le progrès technologique n’est pas exponentiel, qu’il y a des domaines dans lesquels l’innovation est de plus en plus difficile. Mais les penseurs de la Singularité ne cherchent pas la confrontation. Ils sont sûrs que ce qu’ils prédisent arrivera.

Kurzweil est régulièrement consulté par l’Armée sur des questions technologiques et il dit parler souvent avec des leaders du gouvernement ou du monde des affaires. Bill Gates, par exemple, apparaît régulièrement dans les livres de Kurzweil. Kurzweil a créé un plan pour l’énergie renouvelable avec Larry Page, le cofondateur de Google. Et comme le dit au final son fils : « Aujourd’hui, mon père est moins vu comme quelqu’un de bizarre, beaucoup moins. »

C’est peut-être le plus inquiétant…

Xavier de la Porte

L’émission du 25 juin 2010 était consacrée à un entretien avec le chercheur du MIT Leonardo Bonanni (blog), fondateur notamment de SourceMap, un site qui dresse la cartographie de la chaîne d’approvisionnement d’une grande variété de produits et services. Une émission à réécouter en différé ou en podcast sur le site de Place de la Toile.

placedelatoile

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0 commentaires

  1. Bonjour,
    Vous trouverez ci joint l’adresse de mon Blog ( fermaton.over-blog.com). Votre visite de mon site est fortement appréciée.
    C’est une théorie mathématique de la conscience reliant très bien Art-Sciences-Mathématique-philosophie-spiritualité

    Cordialement

    Dr Clovis Simard

  2. J’y crois complètement. Si les premières machines ont rendu l’homme esclave de celles-ci, c’était prévisible, Internet a un pouvoir beaucoup plus libertaire et enclun à l’épanouissement. Attention cependant à ne pas passer sa vie sur des questions de référencement comme je le fais actuellement 🙂 Tout le monde souhaite un pignon sur rue !