Le succès de Foldit : jouer pour la science

De toutes les applications soi-disant « web 2 » ou faisant appel à l’intelligence collective, Foldit pouvait apparaître, lors de sa sortie en 2008, comme la plus prometteuse, tant elle semblait au confluent des différentes tendances actuellement en gestation : d’abord, il s’agissait d’un vrai moyen de « changer le monde par le jeu » qui abolissait la frontière entre éducation et recherche. C’était aussi la première « vraie » application de biohacking : soyons honnête, il n’est pas encore venu le temps ou chacun bricolera l’ADN dans sa cuisine. Mais agir sur des simulations informatiques d’authentiques structures biologiques (et non sur des formalisations abstraites, comme c’est le cas avec les systèmes de vie artificielle), avec la promesse d’obtenir des résultats pertinents dans le monde réel, voilà ce que permet Foldit, et c’est sans doute ce genre d’outils qu’utiliseront les « biohackers » de demain.

Ensuite, d’un point de vue cognitif, Foldit était un bon exemple du retour du corps dans notre façon d’agir sur le monde. C’est avec ses doigts qu’on recherche et qu’on pense dans Foldit, pas avec sa tête. C’est pourquoi un enfant de 12 ans peut se révéler meilleur à ce jeu qu’un microbiologiste.

Enfin, last but not least, Foldit était amusant : c’est l’exemple même du Casual game qui revient en vogue aujourd’hui. Il constitue une bonne alternative au Solitaire ou au Tetris.

Mais Foldit, comme ces multiples projets novateurs qui prolifèrent aujourd’hui sur le Net, ne promettait-il pas plus qu’il ne délivrait ? Au-delà de l’idée sympa, quels sont les véritables apports d’une application de ce genre ? Suivant la publication d’un article dans la revue Nature (payant pour la partie technique, mais avec un reportage de « vulgarisation » gratuit (.pdf) – enfin pour l’instant) une série d’articles ont fleuri dans la presse scientifique de ce mois d’août, nous donnant l’occasion de faire un premier bilan de l’expérience.

Amateurs contre spécialistes

Dans le premier article que nous avions consacré à Foldit nous annoncions la participation des joueurs de Foldit à la compétition internationale de pliage de protéines, la CASP. L’évènement a eu lieu en 2008. Foldit participait dans la catégorie « combat libre » où les équipes pouvaient utiliser toutes les ressources disponibles, y compris le cerveau humain, pour résoudre les énigmes proposées lors du championnat. On aurait aimé découvrir comment la communauté Foldit s’est positionnée face à la concurrence d’intelligences artificielles « pures » mais au moins pourra-t-on savoir comment des « amateurs » se sont comportés face à des équipes de biochimistes professionnels. Les résultats sont tout à fait significatifs : sur les 15 énigmes proposées aux joueurs de Foldit, ceux-ci se sont classés dans le trio de tête dans 7 cas, et sont même arrivés premiers sur l’un d’entre eux. Pour Wired, la messe est dite : « un groupe de joueurs non scientifiques a battu les équipes d’experts ».

Plus modestes, les créateurs de Foldit se contentent de dire sur le blog du site que les joueurs se sont montré aux mêmes niveaux que les équipes de professionnels.

En tout cas, l’équipe la plus performante lors de la CASP n’était en rien constituée de professionnels. Wired, encore, nous raconte les réussites d’un de ses membres les plus doués, « cheese », alias Aristides Poehlman, 13 ans, et son « match » mémorable contre un concurrent français, Laurent de Jerphanion. Poehlman s’est avéré tellement doué qu’il a suscité l’intérêt des chercheurs, qui se sont penchés sur ses méthodes de travail. Lorsqu’on demandé à Poehlman « comment il connaissait la manière de manipuler correctement une protéine, par exemple en orientant vers le centre les parties hydrophobes (qui chassent l’eau) de la molécule, il haussa les épaules et répondit « cela me paraît mieux comme cela ». »

Et Wired de citer à ce propos David Baker : « quand je disais dès le début que Foldit m’aiderait à trouver des prodiges du pliage des protéines, c’était encore de la spéculation… C’est fantastique de voir que c’est devenu vrai. »

L’homme contre la machine

Les concepteurs du jeu ont aussi comparé les performances de Foldit à celles de son ancêtre direct, Rosetta@Home, nous explique le magazine Discover. Basé sur le principe de Seti@Home, Rosetta@Home est un exemple classique d’intelligence distribuée. On laisse son ordinateur travailler sur un problème pendant les périodes de pauses, comme un économiseur d’écran (en fait, c’est parce que David Baker, professeur de biochimie a l’université de Washington, avait constaté que bon nombre d’utilisateurs de Rosetta@Home se plaignaient de la lenteur des calculs de leurs machines, et affirmaient être capable de faire mieux, qu’il en vint à imaginer Foldit).

Pour tester l’utilité de cette approche, Seth Cooper, cocréateur de Foldit et designer en chef du système, proposa à ses joueurs de résoudre 10 énigmes (des protéines dont la structure était connue, mais dont il n’existait aucune trace sur les banques de données publiques). Les joueurs de Foldit purent se montrer fiers de leurs talents : ils se montrèrent plus performants que Rosetta@Home sur cinq épreuves et firent match nul sur trois autres. Quant aux cas où « Rosetta » battit les joueurs, elle ne se rapprocha pas pour autant de la solution finale.

Pourtant, il reste des cas où la machine reste supérieure à l’homme. Cela ne désespère pas Cooper, cela lui permet au contraire d’envisager une fructueuse collaboration : un système comme Rosetta@Home pourrait se charger des premières phases du pliage, puis les humains prendraient la relève lorsque le travail devient trop subtil pour lui, par exemple.

Méthodes et stratégies

Ces divers résultats ont permis de comprendre un peu mieux comment procédaient les joueurs de Foldit.

Ainsi, il existe un certain type de protéines avec lesquelles les joueurs humains excellent particulièrement : celles dont la structure de base doit être profondément remaniée, par exemple en envoyant des éléments de la surface vers les profondeurs de la molécule : les humains sont capables d’effectuer de telles transformations sans pour autant perdre de vue la structure fondamentale de la protéine, quitte, pour un temps, à s’éloigner fortement de son but et à perdre des points. Pour une intelligence artificielle, recourir à de tels sacrifices ne serait pas raisonnable du point de vue du calcul.

L’intelligence collective est un autre facteur d’efficacité des équipes Foldit, grâce à la formation d’équipes spécialisées : certains joueurs préfèrent commencer le travail sur une protéine, d’autres interviennent à mi-parcours, une dernière classe enfin est plus douée pour effectuer les ultimes finitions.

Depuis peu, Foldit est entré dans une nouvelle phase. Afin d’exploiter encore mieux les possibilités des meilleurs joueurs, l’équipe de chercheurs a proposé à certain d’entre eux, non plus seulement de »plier », mais bel et bien de créer ex nihilo de nouveaux types de protéines. Ceci dans le but, nous explique Nature, de trouver de nouveaux catalyseurs pour la photosynthèse ou des protéines capables de s’attaquer à des virus comme celui du SIDA ou la grippe H1N1.

En octobre dernier, une des trouvailles découvertes par un des meilleurs joueurs, Scott Vasarely (dont les qualifications professionnelles consistent à travailler comme acheteur dans une usine de soupapes et à diriger une petite entreprise de …. massage) suscita chez Baker un tel intérêt qu’il chercha à la synthétiser dans un laboratoire. Un échec, mais, précise Nature, ce ne serait selon Baker qu’une question de temps avant qu’un des joueurs ne réussisse à produire une nouvelle molécule viable.

À lire aussi sur internetactu.net