Innovation sociale : écoutons ces idées !

Dans son édition du 12 août 2010, le célèbre magazine anglais The Economist a publié un long reportage sur l’innovation sociale aux Etats-Unis et en Angleterre. L’occasion pour le journal « libéral » de présenter la politique d’Obama autour du Social Innovation Fund (Fonds pour l’Innovation sociale, une sorte de grand emprunt dédié à l’économie solidaire) et de la comparer avec le projet de « Big Society » du premier ministre britannique David Cameron.

Thibault Lescuyer, entrepreneur et journaliste, auteur du blog Animal social, consacré à l’innovation sociale et au pilier sociétal du développement durable, a pris la peine de traduire cet article en tout point passionnant, car documenté et critique. L’article de The Economist observe surtout le financement de l’innovation sociale, via des logiques avec lesquelles nous sommes peu familiers en France, c’est peut-être pour cela, justement, qu’elles méritent d’être regardées et discutées.

Innovation sociale : écoutons ces idées !

Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les gouvernements mettent en place des nouvelles formes de partenariats avec les entrepreneurs sociaux, dans l’espoir de résoudre certains des problèmes les plus critiques de la société, que ce soit dans l’éducation, la santé ou l’insertion des jeunes.

Le Bureau de l’Innovation sociale et de la Participation Civique (Office of Social Innovation and Civic Participation, OSICP) a été créé par Barack Obama peu de temps après son élection. Dirigé par l’économiste d’origine indienne Sonal Shah (Wikipédia), ce département de la Maison Blanche est chargé d’encourager et de soutenir les initiatives des associations, des philanthropes et des entrepreneurs sociaux. Deux de ses leviers d’action sont le Fonds pour l’Innovation sociale (Social Innovation Fund, SIF) et le Fonds i3 (pour investing in innovation).

osicp

Récemment, dans un discours à Liverpool, David Cameron, le nouveau premier ministre anglais, a précisé sa vision de la « Big Society » (Wikipédia). En substance, son projet rejoint celui d’Obama. Une banque spécifique qui rappelle le SIF américain, la Big Society Bank, « aidera à financer les entreprises sociales, les organisations caritatives et les ONG en s’appuyant sur des intermédiaires ». Le gouvernement, selon Cameron, doit rapidement « ouvrir les services publics aux nouveaux fournisseurs que sont les organisations caritatives [charities], les entreprises solidaires et les entreprises privées afin de développer des réponses innovantes, variées et efficaces aux besoins du public ».

L’innovation sociale : un terme à la mode

L’innovation sociale est le terme en vogue pour une nouvelle approche des partenariats privé-public. Contrairement à la pratique en plein boom ces deux dernières décennies, qui visait à sous-traiter la fourniture des services publics à des entreprises privées et à des associations pour réduire les coûts, il s’agit désormais d’apporter plus que de simples économies : l’idée est de transformer la manière dont les services publics sont rendus, en captant l’inventivité du secteur privé, et particulièrement celle des entrepreneurs sociaux.
Un entrepreneur social est par définition une personne qui met en place une solution innovante à un problème social : par exemple un nouveau modèle économique pour réduire la pauvreté. Il y a 10 ans, le terme était rarement employé. Aujourd’hui tout le monde, de Londres à Lagos revendique ce titre. Les conférences sur la « social entrepreneurship » sont sans relâche les évènements qui attirent le plus d’étudiants dans les meilleures business schools.

La croyance sous-jacente est que des idées neuves et orientées business amèneront un miracle de productivité dans le « secteur social » (services publics et caritatifs) similaire à celui qui a eu lieu dans le secteur privé dans les années 90. Déjà, un nombre croissant d’entrepreneurs sociaux ont marqué l’époque. Le plus connu est sans doute Mohammed Yunus (Wikipédia), le fondateur bangladeshi de la banque Grameen, Prix Nobel de la Paix. Un autre exemple est Wendy Kopp , créatrice de Teach for America, qui fait travailler comme professeurs, dans des écoles défavorisées, des milliers de jeunes diplômés sortis des meilleures universités.

Mais jusqu’à présent, l’enthousiasme pour l’entrepreneuriat social n’a pas été suivi sur le plan des réalisations effectives. Le problème n’a pas été le manque de bonnes idées. Certes, des projets innovants ont amélioré des problèmes sociaux désespérés, réussissant par exemple à réduire le taux de récidive des anciens prisonniers, ou à faire des jeunes issus des quartiers difficiles des diplômés d’université.

Un problème de vitesse et d’échelle

Le problème est un problème de vitesse et d’échelle (speed and scale). Les innovations réussies se sont développées lentement. Dans le monde des affaires, les entreprises qui marchent bien se développent rapidement. Mais le monde de l’entreprise sociale n’a pas encore engendré de Microsoft ou de Google. Les dirigeants politiques escomptent qu’avec l’encouragement de l’Etat, les meilleures idées se répandront plus vite et plus largement.

powerofsocialinnovationL’intérêt des hommes politiques pour l’innovation sociale s’est aiguisé au fil de la détérioration des finances publiques. Aujourd’hui, entretenir les services publics avec rien que des impôts semble impossible [NdT : c’est l’opinion du journal et elle appelle débat, n’est-ce pas ?]. Les idées neuves qui promettent de faire autant, voir plus avec moins sont donc bienvenues. « Les crises économiques obligent les gouvernements à prendre des décisions qui, en des temps plus tranquilles, auraient été victimes de l’inertie et seraient restées dans les cartons », explique le maire de New York, Michael Bloomberg, qui a préfacé le livre Le pouvoir de l’innovation sociale.

Le pouvoir de l’innovation sociale est une sorte de bible de l’innovation sociale, il regorge d’exemples d’entrepreneurs sociaux qui ont réussi. Il expose à la fois les potentialités d’une nouvelle approche des partenariats et les difficultés que le secteur doit surmonter. L’auteur, Stephen Goldsmith, est professeur à Harvard, mais son analyse s’appuie sur l’expérience : en tant que maire républicain d’Indianapolis, il a gagné la réputation d’être un leader d’une nouvelle trempe. Son obsession pour la valeur des services publics l’a initialement poussé à licencier 40 % des employés de la ville, excepté les employés en uniforme. Il a amélioré la qualité et réduit les coûts en mettant en concurrence le secteur public avec le secteur privé pour la fourniture des services de la ville. Après les élections de 2000, il a rejoint l’administration fédérale, aidant George Bush à façonner un plan destiné aux groupes confessionnels caritatifs. Il est devenu directeur de la Corporation for National and Community Service [l’équivalent en plus large de notre direction du service civique], qui supervise actuellement le SIF (Fonds pour l’innovation sociale).

Dans son livre Goldsmith expose que la société américaine débute une nouvelle période (« le quatrième stade ») dans sa manière de résoudre les problèmes sociétaux les plus épineux. Lors du premier stade, au début du 20e siècle, ces problèmes étaient encore largement du ressort du cercle familial et des organisations caritatives. Le deuxième stade, marqué par l’Etat providence (wellfare state) a vu les gouvernements assumer la lutte contre la pauvreté en lieu et place des acteurs privés. Lors du troisième stade, les gouvernements ont voulu répondre aux problèmes sociétaux via des partenariats avec le privé, consistant à sous-traiter les services publics dans une optique concurrentielle : malgré certaines réussites, les partenariats mis en place se sont souvent révélés trop directifs et trop axés sur la réduction des coûts. Le quatrième stade qui débute verra les gouvernements s’appuyer sur la capacité du secteur privé (entreprises et organisations à but non lucratif) à fournir des innovations de rupture ou « transformatives ».

M. Goldsmith s’est remis au travail : Michael Bloomberg « lui a fait une offre qu’il ne pouvait pas refuser » d’être l’adjoint au maire de New York chargé des Opérations. Sa mission est de consolider le travail de la municipalité sur l’innovation sociale, un travail qui a clairement influencé les choix de l’administration Obama.

Quand il est devenu maire de New York en 2002, Bloomberg pensait qu’il pourrait gérer la ville comme il avait géré l’entreprise de communication qui porte son nom. Il a organisé son bureau en un vaste open space regroupant tout les cadres supérieurs de la mairie, avec lui au centre. Mais il a vite été frustré par un système hostile à l’innovation. Il a contourné ce système en créant le Centre pour l’Opportunité Economique (Center for Economic Opportunity, CEO), qui investit un mix d’argent public et privé (philanthropique) dans les idées d’entrepreneurs sociaux destinées à la lutte contre la pauvreté, en mettant l’accent sur la notion de responsabilité personnelle.

Les projets sont sélectionnés sur appels d’offres. Les gagnants obtiennent un financement public après avoir passé les fourches caudines des bureaucrates de la mairie. Le CEO a soutenu des expérimentations controversées, l’une pour encourager les pauvres à se faire vacciner et l’autre consistant à récompenser le succès aux examens scolaires avec de l’argent. Le CEO et le Fonds municipal pour l’avancement de NYC ont reçu un des premiers financements attribués par le SIF de l’administration Obama : 5,7 millions de dollars pour répliquer cinq programmes anti-pauvreté dans 7 autres villes, dont Memphis, Newark et Tusla.

De fait, explique Goldsmith, le CEO a inspiré le SIF. Mais il y a une différence de taille. New York a fait le choix d’encourager la prise de risques en assumant, sur le modèle du capital-risque, un taux d’échec élevé. Le SIF se concentre plutôt sur la réplication et l’imitation d’idées qui ont déjà fait leurs preuves. Son objectif est d’identifier des idées qui ont réussi sur une petite échelle et de les aider à grandir ou à avoir un impact plus important. La philosophie est « investir dans ce qui marche ».

Identifier ce qui fonctionne

Mais comment savoir si une innovation fonctionne réellement ? Les entrepreneurs conventionnels ont la rentabilité pour mesurer leur performance. Le secteur de l’économie sociale manque encore d’un outil d’évaluation. Parfois les choses peuvent paraître simples. Par exemple, le nombre de personnes qui franchissent le seuil d’un centre social est une donnée utile pour évaluer son fonctionnement… mais cette donnée ne nous dit rien sur les effets réels de l’activité du centre. Trouver des meilleurs moyens d’évaluer l’impact social des dépenses publiques est un des objectifs de l’OSICP : il y travaille avec le ministère fédéral du Budget. L’OSICP affirme que des progrès ont déjà été réalisés et Sonal Shah, la directrice du Bureau, précise d’ailleurs qu’un des enjeux durables de son travail sera bien d’ « identifier quel type d’évaluation fonctionne et est adapté à chacun des stades d’essaimage et de duplication ».

Faire appel à des capitaux privés est un autre moyen d’apporter de la rigueur : les financeurs privés ont l’expérience de mesurer les retours sur investissements. Le fait que plus de la moitié de l’argent attribué en juillet 2010 par le SIF provienne de fondations philanthropiques est un signal fort de la confiance de ces opérateurs. Pour des raisons similaires, le SIF s’appuie sur des intermédiaires à but non lucratif pour dupliquer les idées prometteuses. Ces organismes intermédiaires seront moins susceptibles de succomber aux pressions politiques ou au rejet du risque, lors du choix des entrepreneurs sociaux à soutenir.

Le Fonds d’innovation sociale a choisi deux autres intermédiaires de taille, Venture Philanthropy Partners et New Profit, deux fonds créés par une nouvelle génération de philanthropes qui adoptent une approche gestionnaire business like pour leurs donations, une approche que The Economist avait baptisée de « philanthrocapitalisme » dans un article publié en 2006. Ces deux organisations investissent l’argent de leurs donateurs commanditaires dans un portefeuille d’associations et d’ONG. Ils suivent de près leur développement et mesurent les performances avec beaucoup d’attention.

Pour construire sa « Grande Société », David Cameron compte lui aussi sur de tels intermédiaires, la Big Society Bank étant le premier d’entre eux. En fait, il se pourrait bien que le Royaume-Uni soit en avance sur les Etats-Unis dans l’utilisation des fonds publics pour stimuler l’entrepreneuriat social et l’innovation. Contrairement aux Etats-Unis, note Goldsmith, « l’Angleterre bénéficie d’une décennie de réflexions sur l’art et la manière pour un gouvernement de travailler avec le tiers secteur ». La création d’une nouvelle forme d’entreprise, la société d’intérêt communautaire (community interest company, Wikipédia), offre aux entrepreneurs sociaux anglais une plus grande flexibilité à l’heure d’utiliser la recherche du profit pour diffuser des innovations sociales. L’Amérique est en train de suivre avec le statut B-corp, une forme d’entreprise hybride entre la société de profit et l’organisation à but non lucratif.

En Angleterre la création d’un Bureau spécial du gouvernement chargé de travailler avec les organisations à but non lucratif date du gouvernement Tony Blair. Mais ce Bureau du Tiers Secteur (Office of the third sector ), créé en 2006, s’est montré surtout enclin à faire entendre les voix de l’establishment caritatif, plutôt que de soutenir les idées des entrepreneurs sociaux. Le fait qu’il ait été renommé Bureau de la Société Civile (Office of Civil Society) par Cameron annonce-t-il un changement de cap ? Il est trop tôt pour l’affirmer.

Le Royaume-Uni a aussi plusieurs années d’expérience sur les fonds d’innovation sociale. Dès l’an 2000, Tony Blair avait mis en place un groupe de travail sur l’investissement social, la Social Investment Taskforce, dont les recommandations ont été pour la plupart adoptées. Mais, comme le fait maintenant remarquer Sir Ronald Cohen, millionnaire de la private equity et philanthrope – qui a dirigé le groupe de travail -, « il a été décevant de voir le gouvernement du Labour accepter les politiques que nous avions recommandés, mais ne jamais les mettre en place comme elles auraient dû l’être ». Par exemple, l’argent qui « sommeille » sur des comptes bancaires stables n’a pas été employé pour financer une Banque de l’Investissement Social. David Cameron a promis que 250 millions de livres sterling provenant de ces comptes serviraient à monter la Big Society Bank.

Les détails sur ce que fera la Banque de la Grande Société demeurent flous. Les plans de Sir Ronald étaient d’utiliser des fonds publics pour canaliser et attirer du capital privé, à la foisfor-profit et philanthropique, pour dupliquer et développer les idées des entrepreneurs sociaux qui ont fait leurs preuves. Comme la taskforce (le groupe d’experts) l’avait préconisé, des exonérations d’impôts ont été votées pour les fonds qui investissent dans les zones défavorisées, et un fonds d’investissement spécifique s’est même créé en ce sens (Bridges).

Récemment est apparue une innovation anglaise qui pourrait se révéler encore plus importante : une obligation d’impact social (social-impact bond), c’est-à-dire un nouvel instrument financier qui est indexé sur la performance des organisations du secteur social, dans des secteurs spécifiques et mesurables : par exemple la diminution du taux de récidive des jeunes délinquants. Les investisseurs privés apportent de l’argent à l’organisation choisie (dans cet exemple précis, l’organisation caritative St Giles), lui permettant de disposer d’un capital à long terme pour développer son modèle, ce qui lui économise le temps de chercher sans arrêt des financements. Le gouvernement rémunèrera les acheteurs de l’obligation en fonction des niveaux de récidive, à un taux compris entre 7,5 et 13 % – ou rien, si l’amélioration prévue n’est pas atteinte. A bien des égards, cette obligation financière, le social-impact bond, incarne la nouvelle approche. Elle fournit des financements à long terme pour les idées prometteuses du secteur solidaire. Elle transfère le risque sur les marchés privés de capitaux ; et elle ne coûte aux pouvoirs publics que si le schéma fournit les retombées sociales spécifiques.

Sir Ronald fait partie des fondateurs de Social Finance, aux côtés de David Blood, qui est un partenaire financier d’Al Gore et de Stanley Fink, un des grands donateurs de la campagne de David Cameron. Social Finance visait à devenir la Banque de la Grande Société et c’est elle qui a conçu les obligations d’impact social. Ronald Cohen pense que ce type d’innovation financière est promis à un brillant avenir dans les pays du Nord comme au Sud. « Et pourquoi pas une obligation à impact social pour financer des programmes d’alphabétisation en Afrique ? », suggère-t-il.

Reste à voir si ces nouveaux instruments financiers peuvent attirer assez d’argent en recherche de rentabilité pour faire la différence. Comme le remarque Geoff Mulgan, un ancien conseiller de Tony Blair maintenant à la tête du think tank Young Foundation, l’argent placé sur la première obligation à impact social provenait en grande majorité de philanthropes, qui seront ravis s’ils font de l’argent avec et pas trop préoccupés s’ils n’en font pas. Mais l’argent des philanthropes ne suffira pas pour créer un vrai marché de l’impact social, et le test critique sera d’attirer le capital conventionnel, celui qui est en recherche de rentabilité. De son côté, Sir Ronald affirme qu’un changement utile serait de faire savoir largement aux gestionnaires des fondations privées et des fonds de pension que les investissements à impact social sont une classe d’actif légitime.

Aux Etats-Unis aussi, l’OSICP mise sur la capacité du gouvernement à mobiliser des fonds privés pour encourager l’innovation sociale. Jusqu’à présent, les seuls organismes habilités à créer des incentive prizes étaient la NASA et DARPA, l’agence de recherche du Ministère de la Défense. Les changements législatifs prévus par l’administration Obama devraient autoriser tous les départements d’Etat à utiliser ce type d’outils. La principale difficulté est de créer des appels à projet suffisamment précis pour récompenser les innovations réellement utiles : c’est plus facile dans le domaine scientifique que dans le champ social.

Par ailleurs, l’OSICP espère stimuler l’innovation sociale à travers le « gouvernement ouvert » et le bénévolat [volunteering], deux éléments qui sont souvent jugés plus louables qu’efficaces. L’administration actuelle a commencé à rendre public tout un ensemble de données jusque-là confidentielles, avec l’idée, selon l’OSICP, de faire naître un mouvement collectif du même ordre que Wikipédia. Patrick Covington, le nouveau patron de la Corporation for National and Community Service, a récemment déclaré que son agence allait désormais évaluer sa propre performance sur les effets obtenus et non plus sur le nombre de bénévoles et la somme des heures passées.

En Angleterre, M. Cameron compte également beaucoup sur le bénévolat et l’engagement civique. Créé par Hillary Cottam et Charles Ledbeater, deux entrepreneurs sociaux, Participle vise à redéfinir l’Etat providence en partant du terrain. Une expérience pilote réussie, Southwark Circle, a permis de construire des réseaux d’entraide entre voisins et personnes âgées. « Nous avons vu qu’utiliser des ressources limitées pour stimuler la vie sociale permet d’accroître les ressources disponibles. Le temps et le talent des amis, des voisins et des familles vont au-delà de la simple réponse à des besoins matériels », précise Mme Cottam.

southwarkcircle

Wanted : entrepreneurs civiques

Dans les cinq prochaines années, explique Sonal Shah de l’OSICP, l’administration Obama veut simultanément prouver la valeur de ce nouveau modèle de financement pour l’innovation sociale, développer les outils d’évaluation de leur performance et faire en sorte que cette nouvelle approche soit généralisée au sein du gouvernement. Le gouvernement Cameron est aussi ambitieux, voire plus, dans ses objectifs.

Les deux principaux obstacles seront probablement l’inertie du secteur public et les entraves réglementaires, aux Etats-Unis comme en Angleterre. « Sur 1000 innovations qui nous soient venues à l’esprit, expliquait M. Goldsmith peu de temps après sa prise de fonction à New York, il n’y en a pas une qui ait été légalement autorisée ». Les services de l’Etat apparaissent peu réactifs à l’heure de réorienter l’argent des budgets existants vers les nouveaux financements et c’est la raison pour laquelle le SIF a débuté avec une enveloppe de seulement 50 millions de dollars. Chaque agence gouvernementale devrait se voir imposer d’attribuer 1 % de son budget aux fonds dédiés à l’innovation, défend le Centre for American Progress, un think tank proche des Démocrates. La Young Foundation a fait la même proposition au Royaume-Uni.

Deux types de pressions puissantes en faveur du statu quo devront être contournées. Par exemple aux Etats-Unis, les syndicats de professeurs s’opposent vivement à de nombreuses innovations proposées par les entrepreneurs sociaux, en particulier aux charter schools [NdT : écoles privées à financement public] et à leur financement par des fondations privées comme celles de Bill Gates et d’Eli Broad. Autre exemple, l’attribution de fonds à New Profit a été fortement critiquée, en raison des liens entre sa fondatrice Vanessa Kirsch et Michelle Obama.

La réussite pourrait dépendre de l’émergence d’un sous-groupe d’entrepreneurs, ceux que M. Goldsmith appelle les « entrepreneurs civiques », capables de naviguer sur les eaux perfides de la bureaucratie. Les candidats sont invités à envoyer leur CV au gouvernement sans attendre.

Article traduit par Thibault Lescuyer et publié originellement en trois parties sur le blog Animal Social.

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0 commentaires

  1. Le financement des entreprises sociales ne poursuit pas d’objectif de profit et c’est heureusement louable. C’est bien qu’elle puissent bénéficier d’un coup de pouce au démarrage, avant de prendre leur envol.

  2. L’innovation sociale est une voie à suivre et à creuser, mais d’un autre côté, où peut-être l’innovation si l’on continue de penser le monde, la société et l’économie selon de vieux schémas, des modèles en voie d’obsolescence avancée?
    En art, on innove, on invente, on se dépasse en sortant du cadre. Le dogme économique actuel, malgré ses échecs patents à endiguer la pauvreté et à améliorer la vie de millions de gens (http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/civilisation-articles-section/34-civilisation-categorie/653–omd-le-temps-des-comptes), continue à nous imposer sa propre définition du monde et des relations économiques, ce qui limite forcément le champ des possibles.

    L’innovation sociale pourra-t-elle longtemps faire l’impasse de la critique des dogmes économiques actuels? Ne faut-il pas penser autrement notre rapport à l’argent, la croissance, l’utilité économique : http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/civilisation-articles-section/34-civilisation-categorie/639-indicateurs-de-richesse-et-bien-etre

    Enfin, nous serions ravis d’accueillir tous ceux qui aimeraient en débattre.

  3. @Agnès. Je ne pense pas qu’un certain courant de l’innovation sociale fasse l’impasse de la critique des dogmes économiques actuels. Mais il y a plusieurs courants, dans ce mouvement protéiforme et plusieurs façons de répondre à l’obsolescence avancée. L’idée était ici de montrer la conception américaine et britannique qui inspirent hélas, de plus en plus, la plupart de nos politiques publiques. Car oui, on peut-être en contre et devoir faire avec des réalités politico-économiques qui sont hélas les nôtres au quotidien… L’innovation sociale libérale risque bien demain d’emporter l’économie sociale et solidaire dans un délire économétrique.

    Merci pour le lien vers la conférence sur les indicateurs de richesse, ça à l’air intéressant.

  4. Un examen certes superficiel des quatre stades décrits par Goldsmisth m’inspire les plus grandes réserves :
    Le rôle redistributeur de l’état, prélevant une part des richesses produites par la communauté, pour assurer un niveau de vie et d’éducation minimum aux classes défavorisées; était bien toléré dans une économie en croissance, en quête de main d’œuvre qualifié; il ne l’est plus lorsque cette croissance atteint sa limite. Le fameux troisième stade n’est que la traduction de cette réalité économique, c’est à ce moment que le secteur concurrentiel, pour continuer à croître, envahit la sphère des services publics, s’appropriant peu à peu le domaine public et ses ressources (l’eau, les transports, les communications, l’énergie, l’éducation, la santé) pour en faire un domaine concurrentiel et profitable, soumis aux fluctuations du marché. Ceci est une première attaque contre le modèle républicain et un affaiblissement de la démocratie. Le quatrième stade constituerait à substituer des déterminismes financiers à la volonté politique de l’état, organe de la démocratie, dont la capacité se réduit telle une peau de chagrin, pour faire du marché omniprésent et tout puissant le régulateur exclusif de la société.
    Exit le modèle démocratique bienvenue en démagogie, car le marché est une démagogie ! Dans ce modèle la solidarité est remplacée par la charité, le partage des richesses produites en commun n’est plus à l’ordre du jour en tant que tel et je doute franchement de la capacité de ces « entreprises sociales » à s’opposer concrètement à l’action prédatrice des entreprises commerciales. En fait de quatrième stade j’ai plutôt l’impression de voir une régression, négation des classes sociales, du rôle de l’état, naissance d’un sous secteur économique retour déguisé aux dames patronnesses faisant la charité aux « bons pauvres » humbles et dignes (bon retour sur investissement) par opposition aux voyous (incurables et non rentables) qui non contents d’être laissés pour compte entrent en rébellion contre un système qui leur à volé jusqu’à leur destinée pour les transformer en marchandise.

  5. J’aime les discussions que l’on fait ici.
    Ce n’est pas comme les débats stériles que l’on voit dans la politique.
    Mon abonnement ici (flux RSS pour les intimes) est toujours justifié.
    Mieux vaut peu d’articles de qualité (je pèse mes mots) qu’un plétore d’articles dont on est obligé de chercher les idées maîtresses.
    (à supposer que des idées valables en ressortent)

    Pour en revenir à votre article, B. Obama auparavant avait oeuvré dans le social. Il avait parfaitement compris que sans les associations on ne peut pas savoir ce qui se passe dans un quartier donné ou une ville donnée.
    En effet, comment aider efficacement si l’information reçu n’est pas fiable?
    Les associations sont bien plus fiables que n’importe quelle organisation étatique (excepté peut être les services de (contre)espionnage.
    Fiable aussi bien dans le domaine informationel que décisionel.

    Ce qu’avait fait Obama n’est que la suite logique de ce qu’il fallait faire si j’étais en tout cas à sa place.
    Et si cela a lieu maintenant et pas avant, c’est parce que dans ces pays anglo saxons, on oublie souvent qu’ils n’acceptent pas que l’état se mêle des affaires privées: « Privées » signifiant que seul ce qui a trait à l’état stricto sensu est toléré, le reste doit être vide de toute instance étatique.
    Or, cela n’est pas toujours une bonne chose.
    Lorsque tout un chacun a su que ce Président est très social (pas socialiste), toutes les personnes de bonnes volontées se sont engoufrées dans cette brèche car en fait l’avenir du pays dépend bien de la pertinence d’une décision prise qui elle même dépend de la fiabilité de l’information reçu et donc de la source de l’information.

    N’ai-je pas dit que les associations (organisations du social) sont de loin les sources d’informations les plus fiables?
    Là encore, je parle d’associations apolitiques sérieuses.
    (Pas de ces associations qui défendent mordicus une idée qui n’est peut-être plus valable par exemple…)

    @jack:
    L’état s’il est honnête redistribue…
    Mais vous avez raison, et j’ajouterais:
    Qui connaît un état honnête?