De l’internet des objets au web des objets

« La promesse de l’internet des objets est de construire un réseau fluide d’appareils hétérogènes connectés ensemble pour former un dispositif unique et cohérent. Mais en fait, cette promesse est une escroquerie », attaque, bille en tête, Vlad Trifa, ingénieur à l’Institut d’informatique pervasive de l’Institut de technologie de Zurich sur la scène de Lift à Genève. Il existe déjà plus d’une quinzaine de protocoles techniques pour assurer les communications domotiques et machines à machines (M2M), mais ceux-ci demeurent largement inconnues des programmeurs qui ne sont pas spécialisés sur ces sujets. Si l’industrie a construit des normes pour contrôler l’internet des objets, elle est loin d’être parvenue à un accord. « La réalité aujourd’hui est que nous avons plutôt construit des intranets pour un grand nombre de choses qu’un internet des objets, chacun formant un îlot isolé de quelques appareils connectés qui n’ont pratiquement aucun moyen d’interagir les uns avec les autres ». L’internet des objets est donc une utopie.

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Image : Vlad Trifa sur la scène de Lift, photographié par Ivo Näpflin.

« Il existe un protocole pourtant qui pourrait mettre tout le monde d’accord, c’est le web », estime Vlad Trifa dans sa présentation. « L’infrastructure existe, elle est ouverte, simple, libre, flexible, et elle est capable de passer à l’échelle. Tout le monde peut l’utiliser facilement et créer quelque chose avec. Elle permet une réelle simplicité d’accès. » Reste à l’utiliser pour les objets physiques et pas seulement pour l’information et la communication de nos machines électroniques.

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Image : les 5 web selon Vlad Trifa.

D’ailleurs, il n’y a pas un web, mais 5, rappelle Trifa : le web physique, social, sémantique, programmable et temps réel. L’internet des objets étant pour lui au centre de tous ces ingrédients, prêt à proposer de toutes nouvelles expériences.

Pour Vlad Trifa, l’accès à la programmation des objets se démocratise, notamment grâce à Arduino (Wikipédia), qui permet à chacun de créer des objets programmables. De la même manière que chacun a créé son propre site ou blog… on peut désormais assez facilement lire et écrire des données provenant de capteurs et les façonner comme bon nous semble. Ce n’est peut-être pas encore aussi simple que cela, car utiliser Arduino demande tout de même quelques bases en électronique, mais rien qui ne semble impossible à tous ceux qui voient dans Arduino l’outil pour démocratiser l’internet des objets.

Si la construction d’objets connectés n’est pas des plus simple, leur utilisation, elle, est incontestablement plus accessible.

Pour expliquer la différence de conception des objets entre ceux produits par le monde industriel et ceux qu’on pourrait imaginer dans un écosystème de capteurs réutilisables et partageables – formant des dispositifs et services qui pourraient être accessible simplement, via une interface de programmation en ligne, en utilisant tout simplement votre login Facebook par exemple -, Vlad Trifa nous montre une télécommande qu’on lui a donnée pour faire fonctionner la climatisation de sa chambre dans un hôtel japonais. Mais les commandes des boutons sont tous écrits en japonais, ce qui la rend inutilisable pour beaucoup des clients de l’hôtel. Pour lui, on peut faire l’internet des objets autrement. Via des applications web nativement interopérables (Niwea). En les couplant avec des outils comme PhoneGap, vous pouvez transformer votre application Web en une véritable application native. L’idée est de faire entrer les fonctions de la télécommande dans une application accessible en ligne ou via son smartphone, qui permette de faire exactement la même chose pour autant que l’électronique domestique soit connectée au web – ce qui n’est pas possible aujourd’hui a cause des différents “protocoles” utilisés par tous les services domotiques -, ce qui nécessiterait que quelques puces et un réseau Wi-Fi. L’application permettrait de régler les mêmes éléments de son environnement, mais en passant par l’internet : on pourrait ainsi éteindre la lumière, régler la climatisation… Avec un appareil qui s’adapte au contexte de l’utilisateur (en permettant d’accéder aux fonctions directement dans sa langue) et permettant même de régler les fonctionnalités à une distance plus grande que ne sait le faire une télécommande.

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Image : la télécommande japonaise de Vlad Trifa et l’application sur smartphone.

L’internet des objets qui passe par l’internet n’a rien à voir avec la domotique traditionnelle, explique Vlad Trifa. Des interfaces de programmation permettent à des services ou des outils de se brancher sur les données que ces objets produisent et ce en temps réel. Mais ce pas seulement valable pour nos objets du quotidien : c’est également de villes entières dont on parle, comme le montre le projet LiveSingapore développé par le Senseable Lab du MIT. Le projet consiste à construire une plateforme pour recueillir des centaines de flux de données provenant de divers organismes pour produire des informations de haut niveau sur la ville et son fonctionnement. A Rio de Janeiro, IBM, avec leur Smart Planet initiative, a construit, en partenariat avec la ville, un centre d’opération qui fonctionne indépendamment de tout organisme tout en recevant des données de plusieurs d’entre eux (vidéo). Ce centre d’opération fonctionne grâce à une batterie d’algorithmes pour contrôler, prévoir et visualiser les informations vitales en temps réel de la ville et déterminer la meilleure façon d’y répondre : quelles sont les collines les plus sujettes à des coulées de boue ? Quels hôpitaux ont des lits disponibles ? Où sont les voitures de police d’urgence et les ambulances ?…

Autre exemple. On sait que l’eau potable est un bien de plus en plus précieux et que pour nombre de grandes villes, la distribution de l’eau est un problème majeur. L’infrastructure d’adduction d’eau est souvent vieillissante et les défaillances fréquentes. La gestion du système est souvent inefficace et 30 % de l’eau est la plupart du temps perdu dans l’acheminement. A Singapour, le projet WaterWise a consisté à placer des capteurs sur les conduites d’eau pour surveiller en temps réel la pression, la température, et analyser la composition chimique et biologique de l’eau… ce qui permet de repérer les fuites, de réagir plus vite à un incident. Et surtout de mieux étalonner la consommation selon la demande.

Mais le web des objets peut avoir également des applications encore plus concrètes. Dans une chaine d’approvisionnement, on doit savoir tout le temps et en temps réel où sont les produits ou les matériaux dont on a besoin. Pour créer une logistique en temps réel, il existe des solutions techniques coûteuses, comme le réseau EPCIS (Electronic Product Code Information System), un ensemble d’outils et de normes pour le suivi et le partage de produits dotés d’étiquettes RFID. Des systèmes de ce type permettent de suivre et localiser des produits tout le long d’une chaîne d’approvisionnement. Les systèmes d’informations EPC utilisent des systèmes complexes et peu malléables. EPC mashups est une plateforme qui permet d’accéder à toutes les informations produites par sa chaine logistique via le web d’une manière plus souple et plus fluide que le système d’information d’EPC et de construire des outils et des applications pour rendre la chaine d’approvisionnement toujours plus intelligente et malléable.

Le Web des objets sur lequel travaille Vlad Trifa propose de faire l’internet des objets autrement. En ligne. Sur le web. Pour profiter des avantages du web, plutôt que d’être contraints par des protocoles, peut-être plus sûrs, mais en tout cas moins flexibles.

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0 commentaires

  1. Savoir à tout instant quels lits sont disponibles dans quels hôpitaux, très bien, sans réserve (au détail près que ce service existe depuis pas mal de temps en France). Mais quand ce sera le frigo qui décidera de passer la commande de yaourts, nous aurons définitivement accepté notre statut d’esclaves.

  2. @Pierre : à Rio, le centre d’opération d’IBM est là pour répondre aux catastrophes naturelles il me semble et donc à déterminer, dans l’urgence, le routage des blessés.

  3. Merci pour cet excellent résumé en francais, Hubert! tu as très bien retranscrit mes idées. La seule petite erreur est que la télécommande japonaise ne pouvait que controller l’air conditionné et rien d’autre. Les autres fonctions pourraient être facilement ajoutées dans une application niwea, mais ce n’est pas possible aujourd’hui a cause des différents « protocoles » utilisés par tous ces services.

    à bientôt

  4. @H. Guillaud: Il y a là effectivement une application possible, avec ou sans IBM d’ailleurs – en Fr. Mais pour revenir au général, ma remarque portait sur la limite, pas toujours respectée, entre la technologie réellement utile et celle qui au mieux est ridicule (ex: passer par Facebook pour régler la clim) et au pire implique un véritable danger de mise sous contrôle. Je n’ai pas envie d’avoir une puce RFID dans mes chaussures ou dans mon col de chemise, surtout pour entendre mon téléphone me balancer une pub débile quand je passe devant telle ou telle boutique.
    Il est exact que certains se font pucer en sous-cutané (donc avec effraction de l’individu, ce qui est ahurissant!!!) pour passer plus vite dans les queues, et semblent très heureux de la chose; mais ils doivent manquer de culture générale et notamment historique…

  5. @H. Guillaud: Il y a là effectivement une application possible, avec ou sans IBM d’ailleurs – en France les SMUR n’ont heureusement pas attendu le web des objets pour gérer les urgences.
    Mais pour revenir au général, ma remarque portait sur la limite, pas toujours respectée, entre la technologie réellement utile et celle qui au mieux est ridicule (ex: passer par Facebook pour régler la clim) et au pire implique un véritable danger de mise sous contrôle. Je n’ai pas envie d’avoir une puce RFID dans mes chaussures ou dans mon col de chemise, surtout pour entendre mon téléphone me balancer une pub débile quand je passe devant telle ou telle boutique.
    Il est exact que certains se font pucer en sous-cutané (donc avec effraction de l’individu, ce qui est ahurissant!!!) pour passer plus vite dans les queues, et semblent très heureux de la chose; mais ils doivent manquer de culture générale et notamment historique…

  6. Il y a une catégorie qui a assez bien réussie l’internet des objets, c’est les virus, comme stuxnet qui a bien trouvé comment se « connecter » sur les équipements des centrales nucléaires iraniennes !

    Une boutade pour mettre en avant une idée. Le frein au web des objets ne risque-t-il pas d’être le côté « coupe-gorge numérique » du web. Interagir c’est s’exposer, à des attaques, des prises de contrôle (et l’organisation de la sécurité civile serait surement une cible de choix). Cette problématique est constante sur le web, et on y répond la plupart du temps en trouvant un compromis sécurité/bénéfice. Le web des objets accentuerai de manière drastique notre vulnérabilité et notre dépendance technologique.

    Mais au vu des bénéfices possibles j’ai peur que la victime soit plutôt la liberté sur le web. Que le web des objets accentue le besoin de sécurité sur le web, et pousse un peu plus à la fin de l’anonymat sur le web par exemple. On pourra m’objecter, avec raison sans-doute, que la tendance est déjà bien engagée, et qu’elle n’a pas pas besoins de prétextes supplémentaires… On accusait déjà les défenseurs de la liberté du web de protéger les pédophiles, on nous accusera en plus d’empêcher les secours de bien fonctionner. On sera vraiment les derniers des salops !

  7. Il y a des technologies Open Source pour avancer sur cette voie et je ne peux m’empêcher de parler de la librairie Modbus que je maintiens :

    http://libmodbus.org

    Cette librairie est multi-plateforme (Linux, FreeBSD, Qnx, Mac OS et Windows) et des versions sont en cours de développement pour Android, Arduino, Linux temps réel (RTAI et Xenomai).