Qu’est-ce que le web partage avec nous ?

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article de Drew Olanof qui dirige un magazine techno en ligne (The Next Web), son texte s’intitule : « On partage des choses sur le Web, mais qu’est-ce que le web partage avec nous ? »

« Nous partageons tous quelque chose sur le Web, commence Olanof : un lien sur Twitter, une recommandation sur Facebook. Nous le faisons chaque jour. C’est bon pour nos amis et notre famille, ils ont alors accès à un contenu qu’ils n’auraient probablement pas trouvé par eux-mêmes. Mais je vais poser une question que personne ne semble se poser : qu’y a-t-il pour nous dans cette pratique ?

websharing

À première vue, cette question peut paraître égoïste : attendre un retour du partage résonne comme une faute morale. Cependant, étant donné le temps passé à organiser le web, à creuser, à trouver des contenus dignes d’être partagés, on mériterait une rétribution significative. Mais quelle rétribution ? Certes, on va ainsi créer de nouvelles relations et rester en contact avec des gens auxquels nous tenons, ce qui est très important. Mais la question que je pose est tout à fait différente. Quand nous partageons quelque chose sur le web, nous ne pensons pas à l’effet que cela a sur les autres. Bien sûr, quelqu’un peut nous retweeter, peut désigner notre post comme un favori ou nous « liker », mais ça ne fournit pas le retour proportionnel au temps consacré. Je ne parle pas ici d’une rétribution financière, c’est un autre sujet. Ce qui personnellement m’interroge, c’est ce que je pourrais retirer d’un contenu que j’ai partagé il y a 5 ou 10 ans. Qu’en sera-t-il quand j’aurai des enfants ? Pourrai-je leur montrer exactement ce qui m’occupait le 7 novembre 2007 ? Pour l’instant, ce n’est pas très brillant. Ce qui m’intéresse, c’est ce que les plateformes les plus populaires vont nous donner en retour de que nous leur donnons. Et plus spécifiquement, ce qu’il en est de l’agrégation et des analyses personnelles avec ces services. »

Et l’auteur de faire le tour de ces plateformes et de ce qu’elles permettent :

Facebook : « Le site a franchi le pas de l’agrégation personnelle avec sa fonction Timeline. Elle n’est pas encore publique, mais va changer du tout au tout notre usage de Facebook. Quand je visiterai votre profil, je pourrai voir les choses que vous y avez postées en 2008. Ca peut ressembler à de l’espionnage, mais ça me permet de voir comment vous et vos goûts avez évolué au cours des ans (ce qu’on ne pouvait faire auparavant qu’en appuyant indéfiniment sur le bouton « more ») ». Pour l’auteur, cette nouvelle perspective est excitante. « Ca m’intéresse de me souvenir des lieux où je suis allé et des choses que j’ai dites dans tel ou tel contexte. C’est ce qui manquait à Facebook, le contexte, et que la fonction Timeline va fournir ».

Twitter : L’auteur dit adorer ce service et avoir tweeté, depuis les débuts du site, de très nombreuses choses (personnelles et autres). « Est-ce que je peux retrouver ces tweets ? Non. Pour moi, cette impossibilité ressemble à du vol de données. J’ai l’impression d’avoir mis tant d’énergie dans Twitter, pour moi et pour les autres, et je n’en ai pas de traces. Twitter ne permet que de consulter des tweets vieux de 6 ou 7 jours. Sinon, il faut faire comme sur Facebook et remonter le temps petit à petit, ce qui est épuisant. Twitter me dit qui me suit, qui je suis, combien de tweets j’ai écrits, mais la plateforme laisse hors de contexte ce qui est quand même le plus important : le tweet en lui-même. Je veux voir mes tweets indexés sur une ligne de temps. Je veux pouvoir voir ce que j’ai tweeté il y a deux ans exactement. Je pense que l’on mérite cela du fait que Twitter a commencé à monétiser le service. »

Et l’auteur de reproduire la même analyse et de formuler les mêmes demandes avec le nouveau réseau social de Google, Google + , ou avec FourSquare, le réseau social géolocalisé dont le but est de géolocaliser sa présence afin d’engranger des points et de venir le « maire » du lieu. A propos de Foursquare, il écrit : « Les parents racontent à leurs enfants des histoires sur l’endroit où ils étaient tel ou tel jour, mais la génération à venir est plus exigeante et veut une information valable. Une information valable et facilement disponible est essentielle dans l’avenir pour notre vie familiale. Imaginez qu’en plus d’une photo, vous sachiez ce que faisait votre grand-père en 1965, où il était. Vous auriez du mal à trouver quelqu’un qui n’a pas envie de voir cela. »

« Les choses changent vite, nous vivons dans une société du temps réel et de la gratification instantanée. On est tous pris dans la toile et on ne cesse de la tisser en partageant, en retweetant, en likant, en recommandant des contenus. A la fin de la journée, qu’est-ce qu’il en ressort ? L’internet est notre carnet de croquis numérique. Je ne demande pas une rémunération ou un remerciement, mais je pense qu’il serait bon que toutes entreprises importantes et riches commencent à penser à leurs usagers sur le long terme. Ca fait 6 ans que j’utilise Twitter et Facebook. J’ai mis beaucoup de temps et d’énergie à m’assurer que je trouvais et partageais tout ce qui me semblait important sur le moment. Ces entreprises commencent à comprendre comment faire de l’argent avec tout ce que l’on dit et partage. C’est leur tour de nous rappeler pourquoi nous le faisons. »

Je trouve ce texte étonnant. D’abord par sa naïveté : oui des gens se font de l’argent avec ce que nous produisons. Ca s’appelle le web 2.0, ce qui rend tout à fait légitime la critique très violente que certains lui adressent (je pense à Philippe Bouquillon et Jacob Matthews que l’on avait reçu ici il y a deux ans). Donc la critique que porte ce texte est tout à fait valable, mais un peu faiblarde. Ensuite, je suis étonné par la rétribution qui est attendue par l’auteur pour cette participation : pouvoir revenir en arrière, pouvoir consulter les archives de notre activité. L’image du carnet de croquis numérique est jolie, mais savoir où j’étais à telle heure tel jour, ce que j’ai lu comme article ce jour-là, ne me semble pas passionnant. Cette folie de l’enregistrement de soi et des autres, cette névrose de l’auto-archive m’inquiète toujours un peu. Sommes-nous si importants que chaque jour de notre vie le soit ? Rien ne me semble moins sûr. Souvenons-nous des vertus de l’oubli.

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 28 octobre 2011 était consacrée à l’humanisme numérique à l’occasion de la parution de Pour un humanisme numérique de Milad Doueihi (@Miladus), historien des religions, titulaire de la Chaire de recherche sur les cultures numériques à l’Université Laval de Québec.

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0 commentaires

  1. La question de la timeline personnelle me paraît très importante. Aussi importante sans doute que celle de l’identité numérique, ou de la confidentialité des données (dont on nous parle tellement). Et donc cet article (et votre compte rendu) tombe à pic. Mais, en effet, il n’est pas certain que les réseaux sociaux soient les mieux faits pour répondre au besoin. En revanche, je m’étonne qu’on parle si peu des agendas. Imaginons une application qui permettrait de recevoir une trace (un lien), sur son Google agenda, de (vers) tout ce que l’on met sur Google+. Les 2 outils verraient leur puissance multipliée de manière remarquable. Il me semble…

  2. Pour twitter et le problème de l’auto-archivage digne de son nom, je me sers depuis 2ans du plugin Packrati.us (http://packrati.us).

    Il s’occupe de synchronisé vos tweets (avec liens) sur votre compte delicious. C’est très pratique si votre compte n’est pas privé, et le search de delicious est remarquable.

    Cordialement.

  3. « On partage des choses sur le Web, mais qu’est-ce que le web partage avec nous ?”

    Question intéressante qui ramène à « Pourquoi partageons-nous des choses sur le web ». Pour moi, on en attend bel et bien une rétribution mais la nature de cette rétribution est plutôt à aller chercher du côté de nos besoins psychologiques, bien humains ceux-là, et qui nous servent de carburant pour avancer dans la vie : besoin d’être reconnu pour ses idées, opinions, valeurs, besoin d’être reconnu pour son travail, besoin d’être reconnu en tant que personne, etc. Internet multiplie les outils qui nous permettent d’alimenter ces besoins vitaux, voilà à mon sens la vraie rétribution que l’on reçoit en échange…

  4. « …pouvoir revenir en arrière, pouvoir consulter les archives de notre activité… » : eh oui, c’est capital !

    Pour plusieurs raisons : notre mémoire est limitée et faillible et parfois pouvoir retrouver trace de ceci ou cela, dont on sait qu’on l’a « probablement mis là » sans en avoir gardé une mémoire exacte, peut être important.

    Retrouver les traces de ses « actions » passées permet de confronter la mémoire au témoin de la réalité passée qu’est l’archive.

    Une façon d’aider au fameux « connais-toi toi-même ».

    Nous sommes conçus de façon telle que nous disposons d’une mémoire : lui procurer une aide ne me semble pas la plus stupide des idées.

    « Sommes-nous si importants que chaque jour de notre vie le soit ? » : oui et non.

    Oui car chaque jour nous nous reconstruisons un peu dans la confrontation de notre passé à notre présent : pouvoir confronter certaines figures « réelles » de notre passé à celles, transformées par notre cerveau qui ne sont chez nous qu’au stade du souvenir que l’on croît précis, peut effectivement s’avérer d’une grande importance et certaines personnes tiennent un carnet journalier qui les enrichit.

    Non car si l’objectif n’est que de pouvoir affirmer : « j’ai fait ceci Moi Môssieu tel jour » effectivement autant oublier…

    Certains services, s’ils étaient configurés pour le faire, pourraient nous restituer facilement des traces de notre passé : qu’ils le fassent me semble une bonne chose, pour autant que les données conservées ne soient utilisées que dans un profond respect de chaque personne.

    Et cela n’est pas garanti a priori…

  5. Cette question rejoint la problématique de la redistribution de l’intelligence. Nous partageons notre intelligence et nos connaissances avec le web, qui ne nous redistribue pas l’intelligence et les connaissances ainsi collecté (pas seulement mes posts et mes tweets mais ceux de toute la planète).

    Nous pensons chez xBrainSoft que ce temps est bientôt venu.
    Donc, patience c pour bientôt !