Les dispositifs créatifs en questions (1/2) : ce que la créativité libère

Il n’est pas toujours facile de montrer aux gens qu’on peut innover simplement et rapidement – surtout dans des secteurs qui paraissent, a priori, rétifs à l’innovation. Nos routines quotidiennes nous empêchent bien souvent de trouver des solutions pour faire les choses autrement. Cela ne signifie pas qu’il faille faire tout ce que l’on fait autrement, mais interroger nos pratiques permet toujours d’introduire des moments de réflexivité pour tenter de les améliorer. D’où l’idée, ravivée notamment par les premiers Barcamps ou les interventions de designers dans le champ de l’innovation sociale, de créer des évènements, pour imaginer faire autrement… et le montrer concrètement.

C’est, il me semble, le véritable enjeu de MuseoMix, un évènement dont la 2e édition se tenait du 19 au 21 octobre 2012 au musée Gallo-romain de Lyon, qui est un bon exemple pour questionner les dispositifs créatifs, en comprendre leurs forces et leurs limites.


Image : l’espace MuseoMix au musée gallo-romain de Lyon, photographié par Quentin Chevrier.

Cet évènement, organisé par l’agence d’accompagnement à l’innovation Nod-A, le living lab du Rhône Erasme, le créateur d’évènements Julien Dorra, Samuel Bausson, le webmestre du Museum de Toulouse et l’agence Buzzeum spécialisée dans les stratégies numériques culturelles, consistait à réunir pendant 3 jours 150 participants (codeurs, bidouilleurs, médiateurs culturels, créateurs, conservateurs, designers, simples amateurs de culture… répartis presque pour moitié entre participants et coachs) pour les faire travailler à réinventer, via les technologies numériques, une sélection d’oeuvres du musée. Une dizaine d’oeuvres avait été choisie par les conservateurs du musée gallo-romain de Lyon et une dizaine d’équipes avaient pour mission de concevoir un prototype fonctionnel pour réinventer l’interaction que les visiteurs pouvaient avoir avec l’oeuvre.

Dispositifs créatifs : l’exemple de MuseoMix

Comme l’expliquait Julien Dora à Lift 2012, Museomix est un processus. A la différence des conférences traditionnelles, les participants viennent ici non pas pour écouter, mais pour mettre la main à la pâte avec un objectif concret.

Le processus MuseoMix commence par réunir une équipe d’organisation, qui s’assemble par
préférence plus que par intérêt. Les organisateurs partagent une vision et l’envie de faire les choses autrement. Ils amènent leurs forces et leurs qualités respectives dans le partage d’un but commun : faire évènement, proposer une autre approche de l’innovation au musée. L’organisation montée, cette équipe lance un appel à intérêt aux musées. Ceux-ci doivent expliquer pourquoi ils voudraient accueillir MuseoMix, quelles oeuvres de leur collection ils souhaiteraient voir travailler par les participants et bien sûr quelles facilitations ils envisagent de mettre en place. Sur ces critères, les organisateurs sélectionnent l’un des candidats. Dans le même temps, ils cherchent des partenariats pour financer l’évènement. Le budget de la première édition tournait aux alentours de 20 000 euros, cette seconde édition a coûté 35 000 euros, sans arriver à couvrir tous les frais de l’organisation de l’évènement, notamment une grande part du temps passé par les organisateurs et les équipes chargées d’aider les participants. Les dispositifs créatifs participatifs peinent à financer leur fonctionnement. Nous y reviendrons.

Ce budget sert à nourrir les participants (qui payent également une modeste participation), financer une partie du travail d’animation et de préparation, l’installation matérielle, la mise à disposition de technos, etc.

Parallèlement, un appel à participation public est ouvert où s’inscrivent les plus motivés : l’organisation sélectionne les profils afin de réunir des équipes hétérogènes et complémentaires. Des partenariats sont finalisés avec notamment des écoles de design et de développement, pour assurer une partie du support technique de l’évènement… bénévolement.

Pendant 3 jours, les participants doivent découvrir les oeuvres et les comprendre, comprendre les techniques mises à leur disposition, imaginer un scénario d’interaction, le développer puis l’installer physiquement dans le musée. Autant dire que le temps est compté et que ça bouillonne comme le raconte très bien la synthèse des 3 jours (vendredi, samedi et dimanche et la synthèse en vidéo du premier jour, du deuxième jour et du troisième jour).


[MUSEOMIX 2012] Jour 1 par museomix


[MUSEOMIX 2012] Jour 2 par museomix


[MUSEOMIX 2012] Jour 3 par museomix

Pour réaliser leurs prototypes, les participants sont accompagnés, tout le long du processus de plusieurs équipes mises à leur disposition. Une équipe technique qui leur explique les outils qu’ils peuvent utiliser : tables interactives, Arduino, QR code, vidéoprojecteurs, kinects, objets tangibles, robots, imprimantes 3D, découpes laser… mais aussi un atelier de menuiserie pour finaliser les installations.


Image : l’atelier de fabrication du MuseoMix, photographié par Quentin Chevrier.

Une équipe de programmeurs qui vont les accompagner pour réaliser leur projet, depuis le scénario d’interaction imaginé et les technologies retenues pour le rendre possible. Des équipes d’historiens et de conservateurs, qui vont pouvoir les aider à comprendre les textes, à remettre les objets dans leur contexte historique… L’équipe du musée, qui va gérer la logistique. Une équipe d’organisation, de coachs, de designers, qui vont les aider à reformuler leurs scénarios, les aider en cas de difficulté, les aider à se coordonner, etc. Ainsi qu’une équipe pour documenter le processus et le nourrir : prendre des photos, faire des sons, des vidéos, créer des visuels…

Au final, le dispositif est impressionnant comme le soulignent dans cette présentation Yves-Armel Martin d’Erasme et Emile Hooge de Nova 7, chargés d’évaluer l’évènement.

Présentation : Retours sur Museomix 2012 par Yves-Armel Martin.

Cocréation et participation : ce sur quoi les dispositifs créatifs agissent

Sans vouloir revenir sur les 10 projets, observons-en en détail deux, pour mieux comprendre ce que le MuseoMix produit.

L’une des équipes avait comme objectif de travailler sur une maquette de Lyon au IIe siècle. Cette maquette ancienne (elle a été réalisée en 1958) n’est plus à jour : les recherches archéologiques ont montré que sur plusieurs points, elle comportait même des informations fausses. Elle parle peu au visiteur, puisqu’elle est livrée brute, sans grandes explications (video).


1. Maquette Lugdunum par museomix

L’équipe a donc choisi d’animer la maquette grâce à une rétroprojection qui illumine et explique les différents points de la maquette. La rétroprojection est commandée via une table tactile multiutilisateur installée à côté de la maquette, pour permettre aux visiteurs d’interagir avec celle-ci, se faire expliquer les différents points et lui délivrer les explications dont il a besoin pour la comprendre (voir une vidéo de la réalisation finale).

Le résultat est impressionnant pour une réalisation dans des délais aussi courts, mais assez attendu. Ce type de dispositifs existe déjà pour mettre en valeur des pièces de collection muséales. Il n’importe, pour le conservateur du musée, Hugues Savay-Guerraz, voir le prototype fonctionnel en situation démontre l’approche possible.

Autre exemple avec cette stèle sur laquelle est écrite en latin une épitaphe en honneur d’un soldat (vidéo explicative). Comment mettre en scène ce patrimoine de pierres silencieuses entre lesquelles se promène le visiteur ? L’équipe a choisi de faire se déclencher une animation projetée sur la pierre quand un visiteur s’approche de la stèle, en partant du texte gravé pour raconter l’histoire au visiteur (voir la vidéo du dispositif final).


Image : La stèle et son dispositif de storytelling rétroprojeté, photographié par Quentin Chevrier.

L’apport principal de MuseoMix repose bien sûr les démonstrateurs que les équipes fourbissent. Mais pour l’essentiel des participants, l’intérêt principal n’est pas là : comme si finalement, ce qui était produit était moins important que ce qui était vécu. L’important, pour tous, c’est l’énergie que l’évènement distille.

« L’urgence joue un rôle de cohésion non négligeable » estime l’un des participants, Antoine Fauchié, chargé de mission à l’Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation. Pour une autre participante, Céline Cadieu-Dumont, conservateur du patrimoine du département du Rhône, l’entraide, la bonne humeur, l’absence de compétition sont les principes moteurs du moment. Même si c’est surtout la découverte de la méthode de travail (collaboration, co-création, partage d’idées et de compétences…), qui l’impressionne le plus !

Pour Hugues Savay-Guerraz, conservateur du musée gallo-romain de Lyon, l’évènement a bien sûr été une réussite, une « très belle aventure humaine ». « Si on peut le faire en trois jours, cela montre qu’on peut aussi réaliser des mises en valeur de nos collections de manière plus pérenne ». Mais le plus novateur, estime le conservateur, c’est le côté participatif. Plus que les dispositifs imaginés, même s’ils peuvent être stimulants, c’est la participation du public qui a marqué Hugues Savay-Guerraz, cette manière d’impliquer le public, de le faire participer pour à la fois le renouveler et renouveler son approche du musée.

Comment travaille-t-on ensemble ?

L’essentiel repose donc bien sur le processus que les gens vivent ensemble. Un processus qui montre qu’en peu de temps, sans nécessairement avoir à sa disposition beaucoup de moyens (mais en regroupant des profils diversifiés et des capacités variées), on peut décider de prendre en main et d’avoir une action concrète sur quelque chose. Cette forme d’innovation agile, très resserrée dans le temps, est assurément le plus stimulant catalyseur. Les participants repartent en se disant « c’est possible » !

Pour Hugues Savay-Guerraz, conservateur du musée qui accueillait l’évènement : « Bien sûr, l’évènement interroge également en profondeur nos façons de travailler. Ici, on bénéficie du travail bénévole de gens très compétents, ce qui ne peut hélas pas être une règle. C’est l’antithèse des délais, des appels d’offres, des consultations avec lesquels nous sommes contraints d’habitude. Mais la participation modifie profondément notre façon de travailler. Et c’est certainement cela qu’il faut tenter de pérenniser… »

Pour Marie-Noéline Viguié, directrice de Nod-A : « comme beaucoup d’autres acteurs, les musées ne savent pas comment intégrer les nouvelles technologies. Alors qu’en suivant un processus traditionnel, un prototype mettrait 8 mois à 1 an à sortir, Museomix a pour fonction d’utiliser une approche intégrée, proche des méthodes agiles pour créer de la transversalité et de la transdisciplinarité afin de créer de l’adhésion et de la compréhension. Ces dispositifs sont des agents de changements plus efficaces que n’importe quelle conférence, document ou séance de brainstorming. Ce design de situation permet d’apporter, dans un contexte précis, une solution. C’est un moyen pour les gens d’accepter et même de porter le changement, alors que nous avons tous tendance à y être réfractaires. Les résultats sont montrables, compréhensibles par d’autres et permettent à chacun de s’en emparer. »


Image : une partie de l’équipe d’animation vient écouter un projet pour le coacher, photographié par Quentin Chevrier.

« En utilisant les méthodes proches du design de service, MuseoMix cherche à concevoir, opérer et produire différemment un projet. En proposant une autre organisation on contourne les résistances des institutions pour mettre les gens en capacité de faire. Et cette dynamique là, est une dynamique qui contient une énergie fabuleuse, très joyeuse, très galvanisante. »

Emile Hooge de Nova7 est chargé d’évaluer le projet, de comprendre les effets du dispositif sur le musée, les participants et le public. Ce qui ressort bien sûr, là encore, c’est le côté très stimulant du dispositif qui permet à un grand nombre de personnes d’être créatives ensemble et qui montre que des actions sont possibles. Le cadrage du dispositif (qui suit un processus avec des étapes – des bilans collectifs à plusieurs moments durant les 3 jours -, des livrables et doit conduire à un prototype fonctionnel final dans un temps réduit) est suffisamment rigoureux pour arriver à un résultat tangible tout en laissant beaucoup de libertés aux participants. « La production est bien sûr un objectif très structurant et permet aux gens d’adhérer au principe. Tout comme le problème que chaque équipe avait à résoudre a guidé leur démarche créative. Bien sûr, ce n’est pas toujours simple pour autant : chaque équipe doit trouver son mode d’organisation, prendre des décisions face aux alternatives qui se proposent à elles… » Apprendre à gérer son groupe.

Le MuseoMix ne produit rien qui n’existe pas souligne encore Emile Hooge. « C’est la façon de faire qui demeure la plus novatrice pour beaucoup ». Elle permet même d’impliquer le personnel du musée bien plus que quand il confie un cahier des charges à un prestataire extérieur…

Certes, les démonstrateurs sont éphémères : ils sont restés quinze jours accessibles aux visiteurs du musée. Mais l’expérience a donné des idées. Elle a montré que c’était possible. Nombre de participants repartent en se disant qu’il faudrait tester ailleurs ce type de dispositifs créatifs. Le concept du MuseoMix (du « Mix ») peut d’ailleurs s’adapter à d’autres objets. Une entreprise, un commerce, une administration, une école… pourraient ainsi utiliser cette forme de jeux pour réinterroger ses fonctionnements, assure Marie-Noéline Viguié.

Hubert Guillaud

Le dossier, les dispositifs créatifs en question :

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