L’âge de l’amélioration : jusqu’où iriez-vous ?

La lecture de la semaine provient du New York Times, sous la plume de David Ewing Duncan (@Duncande), journaliste scientifique et est intitulée « Comment la science peut vous améliorer ».

Si un implant cérébral était sûr et disponible, et vous permettait de manipuler votre iPad ou votre voiture par la seule force de la pensée, en voudriez-vous un ? Qu’en serait-il d’un outil intégré qui arroserait gentiment votre cerveau en électrons et augmenterait votre mémoire et votre attention ? Est-ce que vous en achèteriez un à vos enfants ? Lors d’une prochaine élection présidentielle, voteriez-vous pour un candidat doté d’implants neuronaux lui permettant d’optimiser ses réactions pendant une crise, ou pendant un débat d’entre deux tours ? Voteriez-vous pour un chef des armées qui n’est pas équipé d’un tel outil ?

Si ces questions vous semblent absurdes, considérez le cas de Cathy Hutchinson. Paralysée par une attaque, elle a récemment bu une tasse de café en utilisant un bras articulé contrôlé par la pensée. Et ceci grâce à un outil du nom de Braingate, une petite couche d’électrodes implantée, par une opération chirurgicale, dans son cortex moteur et relié par câble à un ordinateur. Ainsi équipée, on lui a demandé d’imaginer qu’elle bougeait son propre bras. Quand ses neurones se sont mis en marche, Braingate a interprété les ordres du cerveau et a provoqué le mouvement du bras artificiel et de la main mécanique, qui ont porté aux lèvres de Cathy Hutchinson la tasse de café. Braingate n’a pour l’instant fonctionné que sur un nombre très restreint de gens, et il faudra attendre des années avant que son utilisation se répande. Mais il s’agit là d’un exemple de technologies nouvelles qui dans les deux ou trois prochaines décennies pourraient transformer la vie, non plus des personnes handicapés, mais des gens en bonne santé.


Vidéo : une vidéo de Nature qui explique le système qui équipe Cathy Hutchinson – voir l’article publié par la revue ainsi que les explications du blog de Michel Alberganti sur Slate.

Beaucoup de chercheurs, y compris les créateurs de Braingate, s’opposent catégoriquement à l’usage de leurs technologies pour l’augmentation des capacités des gens en bonne santé. Pourtant, beaucoup de gens tout à fait en bonne santé s’aident déjà de technologies médicales. Depuis des années, des millions d’étudiants et de salariés absorbent de puissants stimulants pour passer des examens et faire des nuits blanches. Ces médicaments peuvent être hautement addictifs et ne fonctionnent pas pour tout le monde. Même s’il faudrait faire des recherches plus approfondies, il n’existe pas de preuve aujourd’hui qu’une masse d’usagers aient eu à en payer des conséquences graves. On pourrait dire la même chose d’un usage modéré des stéroïdes pour les athlètes.

Ce qui nous amène à une question cruciale : jusqu’où iriez-vous dans la modification de vous-mêmes avec les dernières technologies médicales ?

Duncan explique poser régulièrement, lors de conférences, la question de savoir si les gens étaient prêts à donner à leurs enfants des pilules permettant d’augmenter la mémoire de 25 % et il observe que les réactions dépendent beaucoup de la formulation. En gros, si les gens se montrent hésitants au premier abord, ils accepteraient facilement si ces pilules étaient sûres et largement utilisées. Il poursuit en expliquant que de telles pilules n’existent pas aujourd’hui, mais que des entreprises pharmaceutiques sont en train de les tester sur des patients atteints de démences ou de troubles de la mémoire et que, si personne ne sait encore si elles seraient efficaces sur des gens en bonne santé, il est tout à fait possible qu’elles le soient.

Plus troublante est selon lui l’idée que des pilules augmentant la mémoire et l’attention puissent être un jour utilisées dans des métiers particuliers – pour les pilotes, les chirurgiens, les policiers ou le président des Etats-Unis. On pourrait considérer comme immoral qu’ils ne les utilisent pas si elles les aident.

Or il ne s’agit que d’une liste partielle des thérapies technologico-médicales sur le point de permettre des améliorations de l’homme. Plus de 200 000 personnes sourdes ont aujourd’hui leur ouïe partiellement rétablie grâce à des implants cérébraux qui reçoivent des ondes et utilisent de mini-ordinateurs qui travaillent ces ondes et les adressent directement au cerveau via le nerf cochléaire. De nouvelles technologies en expérimentation pourraient mener à des outils permettant à des gens qui ne sont pas atteints de surdité d’entendre mieux, beaucoup mieux. D’autres entreprises commencent à développer des outils et des implants qui redonnent en partie la vue aux aveugles. Nano Retina, par exemple, une société israélienne, utilise un minuscule senseur doté d’électrodes placé à l’arrière de l’oeil, au-dessus de la rétine. Aujourd’hui, les images sont floues, en noir et blanc et loin de restaurer une vision fonctionnelle. Mais les chercheurs travaillent à l’amélioration de tels procédés, ce qui pourrait mener à terme à des technologies beaucoup plus sophistiquées. D’autres entreprises – comme Ekso Bionincs sont en train de créer la première génération d’exosquelettes permettant à des patients paralysés de marcher. On en est au tout début. L’exemple de l’athlète sud-africain Oscar Pistorius cet été au JO de Londres a frappé tout le monde… Et bien les neuroscientifiques sont en train de développer des prothèses plus performantes qui pourraient être activées par le cerveau grâce à un réseau de fibres optiques placé sous la peau. Pendant des années, les chercheurs ont manipulé les gênes animaux pour améliorer la performance cérébrale, la force ou l’agilité. Toucher directement à l’ADN humain – via la « thérapie génique » reste dangereux et pose des questions éthiques. Mais il pourra sans doute être possible de créer des médicaments qui touchent aux enzymes et à d’autres protéines associés aux gènes pour, par exemple, modifier la vitesse et l’endurance ou pour modifier le niveau de dopamine dans le but d’améliorer les performances du cerveau. Certains pensent que des techniques de renouvellement cellulaire nous permettront d’éliminer les maladies. D’autres que nous fabriqueront des hommes sur mesure, etc.

Toutes les améliorations ne relèvent pas de la haute technologie et ne sont pas invasives, poursuit Duncan. Les chercheurs en neuroscience voient des améliorations cérébrales rendues possibles par des jeux vidéo créé pour développer la cognition.

Ce qui mène selon Duncan à une autre question. Jusqu’où iriez-vous dans l’amélioration de vous-même ? Remplaceriez-vous des jambes qui marchent très bien par des jambes artificielles qui vous rendraient plus rapides et plus forts ? Et si l’Agence américaine pour l’augmentation de l’homme avait approuvé ces améliorations radicales, et d’autres encore ? Est-ce que cela vous convaincrait ?

Les défis éthiques lancés par le prochain « Age de l’Amélioration » incluent, à côté des questions basiques de sécurité, celles de savoir qui aurait la possibilité d’être amélioré, quel sera le coût de ces améliorations et qui en tirera un avantage en profitant. Dans une société qui manifeste déjà un fossé grandissant entre les plus riches et les autres, la question de l’égalité démocratique pourrait affronter un problème critique si la richesse permettait aussi d’offrir un avantage physique, génétique ou bionique. Cela pourrait aussi poser la question d’une définition de l’homme.

Et pourtant, les améliorations arrivent, et on aura du mal à y résister. La vraie question est : qu’en ferons-nous quand elles seront irrésistibles ?

Xavier de la Porte

“Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 17 novembre 2012 était consacrée à trois raisons d’espérer, thème du Forum d’Avignon, en compagnie de Sébastien François (@sebastien_fr) pour évoquer les contributions amateures autour des FanFictions qui a écrit un article intitulé « Fanf®ictions. Tensions identitaires et relationnelles chez les auteurs de récits de fan » dans le numéro 153 de la revue Réseaux « Passionnés, fans et amateurs ». Ainsi que du psychologue et psychanaliste Yann Leroux (@yannleroux), auteur de Les jeux vidéo ça rend pas idiot !. Et de Philippe Le Guern, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Nantes qui s’intéresse à la musique et qui a écrit « Irréversible ? Musique et technologies en régime numérique » dans le numéro 172 de la revue Réseaux « Musique et technologies numériques » qu’il a coordonné.

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