Le paradoxe de Twitter en diplomatie

La lecture de la semaine provient d’un site du nom de Apuntes internacionales, qui réfléchit sur l’état et l’avenir des médias. Il reçoit des contributions en langues anglaises et espagnoles. Le texte que j’ai traduit a été écrit par Jorge Heine (@jorgeheinel), professeur dans l’Ontario, ancien ambassadeur du Chili en Afrique du Sud et en Inde. Il s’intitule « Le paradoxe de Twitter en diplomatie ».

e-diplomacy hub de l'AFP
Image : le e-diplomacy hub de l’AFP, pour surveiller l’activité diplomatique sur Twitter.

Jorge Heine commence par noter que les relations internationales et la conduite de la politique extérieure évoluent sous l’effet des nouvelles technologies et que « dans ce cadre, Twitter est une plateforme-clé. Elle nous permet de comprendre ce que j’appelle, explique l’auteur, le paradoxe de Twitter dans la praxis diplomatique : d’un côté, tout usager de Twitter doit essayer de se montrer le plus drôle, le plus provocateur ou le plus imprévisible possible pour augmenter le nombre de followers. Car à plus grande provocation, plus grande réponse, donc plus grand nombre de followers, et donc plus grande diffusion du message. D’un autre côté, il s’agit de l’antithèse des pratiques diplomatiques établies. Non seulement l’humour est rare en diplomatie (surtout par écrit), mais il aurait tendance à être contreproductif. La provocation est considérée comme un acte peu amical, voire directement hostile. Et l’imprévisibilité est la dernière chose que les gouvernants désirent dans leurs relations extérieures. A cela s’ajoute la nature compressée et spontanée des échanges sur Twitter (les 140 caractères des messages qui les rendent si attirants et stimulants), qui va à l’opposé du caractère étendu et réfléchi du télégramme diplomatique.
Compte tenu de ces inconvénients qui se sont manifestés dans le scepticisme de beaucoup de chancelleries quand Twitter est apparu en 2006, comment expliquer que la plateforme ait autant « pris » dans la communication diplomatique ? », se demande Heine.

Là, l’auteur donne plusieurs exemples de comptes Twitter de diplomates qui sont à la fois très suivis et très alimentés : celui de Carl Bildt, le ministre des Affaires étrangères suédois, qui twitte sur des sujets très variés. Celui de l’ancien vice-ministre des affaires étrangères indien, Shashi Tharoor, qui lorsqu’il remplissait ces fonctions a adressé quelques messages provocateurs qui lui causèrent d’ailleurs souci.

Pour Jorge Heine, « le cas le plus emblématique est celui de Michael MacFaul, ambassadeur des Etats-Unis en Russie. Moscou n’est pas la destination diplomatique la plus facile pour un diplomate américain. Le manque d’accès aux moyens de communication traditionnels, et donc de possibilité pour toucher l’opinion publique russe n’est qu’un des obstacles rencontrés. Cependant, l’ambassadeur MacFaul, qui parle russe, a plus de 48 000 followers. Twitter lui donne une présence dans un pays qui ne lui en offre pas d’autre forme.

Jon Benjamin, ambassadeur du Royaume-Uni au Chili a plus de 15 000 followers, est un autre bon exemple. Il twitte la plus part du temps en espagnol. Il fait montre d’un humour très britannique, il participe au débat public, même sur les sujets les plus controversés. Et ses followers chiliens regrettent son départ précipité pour une autre destination, après quatre années dans le pays.

Ainsi, les préventions initiales au sujet des dangers que représentait pour les diplomates de mettre dans une phrase courte et caustique la première chose qui leur venait à l’esprit se sont-elles révélées infondées. Même s’il y a eu des cas de gaffe, cela n’a pas diminué la popularité croissante de Twitter parmi les diplomates.

Et cela tient aux changements qui ont affecté la diplomatie elle-même, le passage de ce que j’ai appelé, dit Jorge Heine, une « diplomatie de clubs » à une « diplomatie de réseaux ». C’est-à-dire le passage d’une diplomatie traditionnelle, limitée à peu d’acteurs, en majorité gouvernementaux, se faisant portes closes, et destinée à signer des accords, à un modèle très différent. La « diplomatie de réseaux » implique de se destiner à un nombre largement accru d’acteurs, la plupart non gouvernementaux, parfois en public, essayant d’augmenter les flux et échanges entre pays, au-delà de la signature des accords. Les technologies numériques multiplient de manière exponentielle le nombre d’acteurs impliqués, l’augmentation de la diplomatie publique, autre expression de la diplomatie de réseau (et avec laquelle il ne faut pas la confondre), va de pair.

Cela ne signifie pas pour autant que l’usage de Twitter en diplomatie soit facile. Le danger de faire des gaffes reste présent, avec les conséquences que l’on sait. Les mots (surtout s’ils sont écrits) sont comme les flèches : une fois lancés, impossibles de les retenir. Les chancelleries en sont conscientes, et plusieurs ont réglementé l’usage de Twitter, en le limitant à une catégorie de fonctionnaire. »

Mais quoi qu’il en soit, « les changements produits par les nouvelles technologies lors de ces dernières décennies ont été si radicaux que même une profession traditionnelle et marquée par des pratiques et des coutumes centenaires comme la diplomatie ne peut pas s’y soustraire. »

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 15 juin 2013 revenait bien sûr sur la surveillance organisée par la NSA en compagnie de notre ex-collègue Jean-Marc Manach (@manhack), désormais rédacteur en chef du Vinvinteur sur France 5, animateur du Bug Brother et auteur de La vie privée, un problème de « vieux cons » ? et de Au pays de Candy : enquête sur les vendeurs d’armes de surveillance numérique ; ainsi que de Jérôme Thorel, journaliste indépendant, auteur et documentariste, collaborateur à Zelium et Reflets.info et auteur de Attentifs ensemble !, L’injonction au bonheur sécuritaire.

À lire aussi sur internetactu.net