Méditation 2.0 ?

La méditation est-elle un remède à notre société hyperconnectée ? Ou une nouvelle mode de la Silicon Valley ? Dans Wired, Noah Shachtman (qui nous avait habitués à des sujets plus belliqueux, puisqu’il tenait jusqu’à récemment le blog « Danger Room » consacré aux questions de défense) s’interroge sur la conversion « spirituelle » des enfants du Web 2.0.

Il se penche notamment sur l’usage de la pratique chez Google. Shachtman a ainsi pu assister au cours de méditation de Chade-Meng Tan donné au sein du programme « Search Yourself » de Google.

« Plus d’un millier de « googlers » sont passés par ces sessions d’entrainement Search Yourself », nous explique-t-il. Et de mentionner d’autres programmes parallèles comme « Neural Self Hacking » ou « Gérez votre énergie ». Il y aurait aussi tous les « déjeuners vigilants » accomplis dans le silence complet, interrompus seulement par des sons de cloche. Enfin, Google aurait récemment construit un labyrinthe pour la méditation en marche.

Et Google n’est pas le seul. « les cofondateurs de Twitter et Facebook ont fait des pratiques contemplatives une des caractéristiques clés de leurs nouvelles entreprises, organisant des sessions régulières de méditation dans leurs bureaux et s’arrangeant pour que les habitudes de travail augmentent la vigilance. »

La grand-messe de ces nouveaux méditants est la conférence Wisdom 2.0, qui s’est tenue pour la première fois en 2010. Cette année, environ 1 700 personnes s’y sont inscrites. Parmi les principaux participants, on a pu remarquer le CEO de Linked-in Jeff Weiner, le cofondateur de Twitter, Evan Williams, des cadres dirigeants de Cisco et Ford…

Wisdom 2.0 est apparemment devenu le dernier salon où l’on cause : « Partout où vous vous tournez à Wisdom », dit le cofondateur de PayPal Luke Nosek, « c’est toujours : Oh mon Dieu, vous êtes ici aussi ? »

Selon Shachtman, le créateur des conférences Wisdom, Soren Gordhamer, « est devenu un superconnecteur, avec un carnet d’adresses qui rendrait n’importe quel entrepreneur ordinaire vert de jalousie. »

Crise de mysticisme ? Pas vraiment. La méditation est vue désormais comme une technique permettant de gérer les émotions et le stress, nous aidant à opérer de meilleurs choix et par conséquent, nous rendant plus productifs. Espoir aussi de pouvoir faire face au bombardement d’information, à l’accélération du temps provoquée par nos outils technologiques. L’illumination et le mysticisme ne sont pas à l’ordre du jour.

« J’ai voulu parler aux gens comme moi. J’ai voulu me parler. J’ai voulu parler à l’ingénieur râleur, qui peut être un athée, qui peut être un rationaliste », explique Bill Duane, le concepteur de « neural self hacking », encore chez Google.


Mais quel est le type de méditation encouragé par les cadres de la Silicon Valley ? Car le terme de « méditation » peut recouvrir beaucoup de pratiques différentes : de la simple pensée philosophique (voir les Méditations métaphysiques de Descartes), à la répétition infinie d’une prière ou d’un mantra, comme le font quotidiennement adeptes de l’hindouisme, du soufisme, voire du christianisme orthodoxe, ou encore la mise en place de systèmes de visualisation complexes, comme chez les bouddhistes tantriques. Non la « méditation » qui reçoit les faveurs de la jeune garde informaticienne est ce qu’on appelle la « méditation vigilante », propre au bouddhisme, au cours de laquelle on se contente d’observer le flux des perceptions, sensations et pensées sans chercher à les contrôler, mais sans non plus s’y abandonner. Cette pratique est commune à toutes écoles de bouddhisme, qui y adjoignent le plus souvent d’autres techniques (comme la concentration sur la respiration).

De fait, l’intérêt pour la méditation vigilante est très courante dans la population geek, elle constitue même un des grands pôles d’intérêt du quantified self, les adeptes de la mesure de soi. On trouve même un podcast, Mindful Cyborgs, diffusé par Klint Finley du blog Technoccult, sur ce sujet précis. La méditation apparaît comme une version antique, traditionnelle, du « hacking neural », quelque chose d’assez proche de la méthode scientifique, impliquant l’observation impartiale de l’enchaînement des états mentaux.

De fait, la méditation vigilante est depuis longtemps liée aux recherches sur les sciences cognitives et l’intelligence artificielle. Francesco Varela, le créateur des théories de l’énaction et de l’autopoiesis, était un bouddhiste et un méditant convaincu.

La méditation est-elle efficace ? Apparemment oui, les recherches se succèdent et semblent confirmer sa capacité à provoquer des changements profonds dans le cerveau, liés à la réduction du stress, mais également à la capacité de décision, ou même à la créativité.

Evolution ou trahison ?

Mais peut-elle être considérée comme un exercice mental « pur », dénué de toute connotation religieuse ?

Pour bon nombre des personnes interviewées par Shachtman c’est le cas. C’est également le point de vue d’un Sam Harris, l’un des quatre grands « évangélistes » du nouvel athéisme, en compagnie de Daniel Dennett, Christopher Hitchens et Richard Dawkins (on les appelait les quatre cavaliers de l’Apocalypse, du moins jusqu’au décès de Christopher Hitchens. Au contraire des trois mousquetaires, les quatre cavaliers ne sont donc aujourd’hui que trois).

Toutefois, la situation est complexe : tout d’abord, il faut bien dire que cet usage « technologique » de la méditation n’est guère apprécié, tant par les bouddhistes traditionnels que par les experts universitaires du domaine. En effet la méditation vigilante a un but : enseigner l’impermanence de toutes choses. Au fur et à mesure que le flux des états mentaux s’écoule, l’adepte apprend la non-substantialité de toute chose, y compris de sa propre identité, et cela ne se passe pas nécessairement sans angoisse. Pour Donald Lopez, auteur du Scientific Buddha : his short and happy life, violente charge contre la version « rationnelle » du bouddhisme, « le but d’une telle méditation est d’induire le stress. Celui-ci est le résultat d’une insatisfaction profonde envers le monde. Plutôt que de chercher une satisfaction sereine dans le déroulement d’expérience, le but de cette pratique est hautement critique, amenant en fait à juger le monde comme une prison ». Pas forcément compatible avec la préparation de la prochaine réunion du service marketing…

Mais après tout pourquoi pas ? Peut-être les bouddhistes, dans leur quête de la libération, ont-ils effectivement découvert une technologie susceptible de s’appliquer indépendamment de toute considération métaphysique, tout comme les alchimistes ont découvert sans le vouloir les principaux éléments chimiques, alors qu’ils cherchaient à créer la pierre philosophale. Cela est justifiable, mais pose néanmoins certaines questions. Au moins les chimistes ne font-ils plus référence à la pierre philosophale. Au contraire, les « néomeditants » fondent encore une bonne part de leur argumentation sur le socle bouddhiste, il suffit de se référer à certains propos rapportés par Shachtman : « Mon rêve est de créer les conditions d’un monde de paix et d’obtenir cela en créant les conditions nécessaires pour la paix intérieure et la compassion à une échelle globale. » affirme Chade-Meng Tan. « Par chance, une méthode pour y parvenir existe déjà… La plupart d’entre nous la connaissent sous le nom de méditation. »

Ce à quoi Shachtman répond cyniquement : « Il est difficile de nier que la méditation peut entraîner des bénéfices remarquables. Mais un monde de paix ? La sainteté ? Cela paraît un peu tiré par les cheveux. Steve Jobs passait beaucoup de temps en position du lotus ; il ne payait pas moins des salaires d’esclaves à ses employés, réprimandait ses subalternes et garait sa voiture sur les places pour handicapés. »

Et encore a-t-il le tact d’éviter de citer Anders Breivick qui utilisa la méditation comme moyen de se distancer de ses émotions et commettre son massacre avec plus d’efficacité.

Cette vision « amorale », « non mystique » de la méditation ne serait qu’une construction récente, pas seulement occidentale, d’une pratique ancestrale. Dans son livre Le Zen en guerre, Brian Victoria note par exemple que l’idée d’une méditation zen totalement « rationnelle », détournée de toute considération mystique ou religieuse, serait en grande partie une création des moines zen des débuts de l’ère Meiji. Il faut dire qu’à l’époque Meiji, le bouddhisme n’avait pas bonne presse auprès de l’empereur, qui lui favorisait le shinto, d’esprit plus nationaliste. Il s’agissait en fait de rendre compatibles les enseignements du bouddhisme avec la nouvelle idéologie impériale, faisant du zen une doctrine adaptée à l’obéissance militaire.

Cette ambiguïté sur la pratique de la méditation est gênante, mais peut-on l’éviter ? Oui, si l’on pense que la méditation n’est qu’un sport mental comme les autres (par exemple les jeux vidéos ou la pratique d’un instrument de musique). Non, si sa pratique (qui n’est pas facile reconnaissons-le, et dont l’efficacité, même établie, met bien du temps à s’imposer comme évidente) repose sur des mythes et un imaginaire plus ou moins mystiques et surnaturels, et qu’il est impossible d’y renoncer totalement. Peut-être alors la seule solution pour les méditants modernes serait de renoncer à la doctrine bouddhiste et d’adopter un mythe plus en adéquation avec leurs objectifs. Par exemple, ils pourraient s’inspirer de Star Trek, et, à l’instar de Sheldon Cooper du Big Bang Theory, affirmer pratiquer le Kolinahr, technique mentale Vulcaine susceptible de nous aider à purger nos émotions…

Via Technoccult.

Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. Là, on dépasse vraiment les limites du délire. Je suppose que cela doit arranger un certain nombre de consultants qui y trouvent des bénéfices substantiels.
    Vous voulez « des remèdes à notre société hyperconnectée »? Le premier de tous, c’est tout simplement de savoir couper de temps en temps son smartphone, vindiou de bondzi! Regardez les gens dans le métro ou l’autobus: les 3/4 d’entre eux sont crispés sur leur greffon!
    On pourrait ajouter d’autres solutions proprement révolutionnaires:
    – aller voir un bon film,
    – ouvrir un polar,
    – écouter un quatuor de Schubert (ça, ça vaut toutes les méditations du monde),
    – faire des câlins avec son conjoint,
    bref: VIVRE, tout simplement!

  2. Article très intéressant.
    Attention cependant à la conclusion, l’enseignement du Bouddha n’est pas une « doctrine » qui repose sur des « mythes » bien que le bouddhisme originel ait engendré tout une pléthore de sectes plus ou moins exotiques.
    Le coeur du bouddhisme, les -supposés- dits du Bouddha, que l’on retrouve dans le Tipitaka par exemple, est un précieux guide pour la pratique de la méditation.
    Je pense donc que même si s’inspirer d’oeuvres de fiction, à la manière des magiciens du chaos, permet de rendre la pratique plus personnelle et plus fun, l’enseignement du Bouddha ne doit pas être ecarté, considéré comme une vieillere, car il contient des informations extrêmement utiles au méditant qu’on ne risque pas de retrouver dans Matrix ou Star Wars.

    Metta,
    Antoine

  3. @wOlverO:
    Merci de ce rappel utile. Je connais mal le bouddhisme, mais suffisamment pour savoir qu’il s’agit d’une philosophie très profonde, qui ne se pénètre qu’avec un long apprentissage et beaucoup de travail intérieur. Il est irritant de le voir mis à contribution (vraisemblablement rémunérée) pour « déstresser en 10 leçons les cadres surmenés », dans une sorte de cross-over qui mélange tout. Et si j’étais bouddhiste, cela m’énerverait certainement encore plus.

    Tout ça pour tenter de combler des vides culturels et spirituels abyssaux! Et ça sera quoi, la prochaine étape? « Se déstresser avec les sagesses millénaires des Troulala-Ytous de Nouvelle-Guinée »? Il se trouvera bien un consultant inspiré pour nous les vendre, et des cervelles en friche pour accepter de payer.

  4. Intéressant mais on a l’impression que vous méconnaissez ce qui se fait en France et en Europe.
    Donc: oui en France la méditation est de plus en plus pratiquée et depuis longtemps. C’est ici que se trouvent parmi les plus grands centres pratiquant la méditation, qu’ils soient bouddhistes ou non (Rigpa, Rimay, etc.). Il y a même un enseignement de « Méditation de Pleine Conscience » à l’Université de Strasbourg… Il y a une Association Française de Pleine Conscience, etc., etc.
    La méditation est très intéressante pour gérer le stress de la vie quotidienne (le travail, la vie en couple, les enfants…). Celle que je pratique (reliée au Reiki ou plus généralement au Bouddhisme) est absolument non mystique et non religieuse. Elle pourrait même s’appeler « Mindfulness » si ça vous fait plaisir!
    Il s’agit de s’exercer à être ici et maintenant pendant quelques secondes. Cela signifie porter son attention sur un ressenti (souffle ou autre) qui nous permette de s’ancrer dans la réalité, malgré les pensées incessantes qui nous embarquent sans relâche vers le lointain, l’hier, le demain, les espoirs, les regrets, les envies, les frustrations…
    Tout simplement: plus facile à dire qu’à faire. Car justement, ce qui est très difficile dans la méditation c’est qu’il n’y a RIEN à faire !!!

  5. Antoine,

    Je ne m’y connais pas trop en histoire du Bouddhisme, mais il me semble que la tendance actuelle est à « réviser » la perception traditionnelle d’une philosophie « rationelle » qui aurait ensuite donné naissance à des légendes et des mythes. Il semblerait que ce soit plutôt une construction des orientalistes du XIXème siècle et aujourd’hui on aurait tendance à penser au contraire qu’on ne peut séparer aussi aisément le fond mythologique et religieux de la pensée philosophique. (C’est également le cas pour le taoïsme, on a longtemps opposé le « taoïsme des philosophes », Lao Tseu et Tchouang tseu, au taoïsme religieux; aujourd’hui on aurait plutôt tendance à repérer un vieux fond chamanique et mythologique dans les écrits desdits philosophes).
    Évidemment ma suggestion d’adopter la philosophie vulcaine en lieu et place du bouddhisme était plutôt une plaisanterie ! (bien qu’ effectivement les magiciens du chaos n’hésitent pas à évoquer Monsieur Spock et affirment que ça marche!). Ceci dit, il me semble que la différence entre les fictions et les grandes traditions religieuses ou mystiques tient essentiellement à la complexité et à la richesse des secondes, par opposition à la simplicité des premières, plutôt qu’à une question d’authenticité des enseignements (mais évidemment, une telle discussion nous entrainerait très loin). .

  6. @Rémi: le débat sur l’histoire et les fondements (réalisme / idéalisme / nihilisme) du Bouddhisme interprétés par la philosophie occidentale peut avoir son intérêt.
    Franchement je ne crois pas que ce soit le plus intéressant.
    Disons qu’il s’agit du plus ancien corpus *connu* et assez cohérent qui ait étudié le fonctionnement de l’esprit humain ET qui ait avancé des solutions pour diminuer le mal-être.

  7. Effectivement les deux aspects sont fortement liés (mais pas indissociables). Cependant, je ne pense pas qu’il s’agisse de mythes à proprement parler, plutôt de l’autre facette de l’enseignement rationel, la version « cerveau droit » si l’on veut. (un lien random à titre d’exemple http://www.centrebouddhisteparis.org/Bouddha/Le_Dharma_du_Bouddha/les_six_royaumes.html).

    « la différence entre les fictions et les grandes traditions religieuses ou mystiques tient essentiellement à la complexité et à la richesse des secondes, par opposition à la simplicité des premières, plutôt qu’à une question d’authenticité des enseignements. »

    Tout à fait d’accord, c’est précisement ce que j’essaye d’exprimer.

  8. Sans la vue la pratique n’est rien, sans la pratique la vue n’est rien.
    En réalité pour avoir pratiqué pendant de longues années et de longues heures quotidiennes la méditation auprès de gens plus ou moins aguerris (lamas de tout poil inclus ), j’ai pu découvrir que la plupart des méditants vivent de lourdes frustrations.
    La raison ? Ils ne méditent pas ils contrôlent leur mental, ce sont deux choses clairement distinctes.
    Mais c’est un contrôle subtil non vu qui repose sur une vue fallacieuse empreinte de religion, empreinte de vertu, empreinte de concept… L’égo a annexé la méditation…. Et dans ce cas pas de liberté possible…
    Méditer oui, mais sans la boànne intention c’est s’enfermer dans une autre prison que celles des « smartphones » ou de la société consumériste.
    Soyez libre !

  9. (1) Sachant que Google = algos pointus + scalabilité + métrique/retour sur expérience/validation
    (2) et que la psychologie positive, telle que définie et promue, en France, par ex, par Christophe André, se veut une discipline mettant en avant diverses pratiques validées scientifiquement, comme la pratique de la méditation,
    il n’est pas étonnant que Google offre un cadre accueillant à ses employés qui promeuvent la méditation, ou qui veulent la pratiquer.

    Par ailleurs, si l’on parle, dans l’article original notamment, de l’aspect positif de faire ami-ami avec ses émotions, il y a un point qui demanderait plus de détail. Les cognitiens ont remarqué que, dans plusieurs cas, le néocortex et le limbique s’inhibent l’un l’autre pour fonctionner ; communément, une émotion peut par exemple inhiber le fonctionnement du néocortex, le siège de nos raisonnements les plus évolués. Ainsi, la publicité, et les politiques, qui jouent très souvent sur les émotions, peuvent être vus comme du bio-hacking. Evidemment, pour Google and co, il est avantageux que notre limbique soit plus calme, au repos, pour que le néo-cortex ait la main (au sens de « processus OS »).

    Il est dit que « une psychothérapide équilibre/stabilise l’identité, tandis que l’Eveil spiritiuel, fruit d’un cheminement spirituel, dissout l’identité ». Ainsi, s’il y a des bénéfices – prouvés scientifiquement, cf. plus haut – à retirer de la méditation dans une approche, disons, laïque (pour simplifier), certains risquent d’avoir des surprises à emprunter sur ce chemin.