Clive Thompson dans Wired estime que nous avons besoin d’un mouvement de réparateurs et pas seulement d’un mouvement de faiseurs (makers). A New York, il s’est rendu à une rencontre du collectif des réparateurs, un groupe de bricoleurs de Brooklyn, qui plusieurs fois par mois, proposent de réparer ce que les gens ont à leur apporter. Les gens défilent avec des ordinateurs, des lampes, des appareils électroménagers et la plupart repartent avec leurs objets réparés. « Le spectacle des marchandises mortes qui reviennent à la vie, n’est pas seulement utile aux habitants, il est transformateur. »

On connaît le mouvement maker dont à rendu compte Chris Anderson dans son livre éponyme, ces geeks qui lancent une nouvelle forme de tradition artisanale. Mais nous avons besoin de quelque chose d’autre, estime Thompson. « Nous devons appliquer ces compétences de fabricant à ce que nous possédons déjà, donner à nos appareils brisés une nouvelle vie. » Nous avons besoin d’un mouvement de réparateur qui serait un énorme changement culturel. Au XXe siècle, les entreprises américaines ont promu agressivement l’obsolescence programmée, concevant les choses pour qu’elles se brisent. Acheter des choses neuves était notre devoir patriotique : « Nous avons besoin de choses consommables, consomptibles, usables, remplaçables et jetables à rythme toujours croissant », écrivait le spécialiste en marketing Victor Lebow en 1955. Aujourd’hui, les déchets électroniques sont devenus l’une des catégories de déchets dont la croissance est la plus forte. Nous avons jeté 2,4 millions de tonnes de ces déchets en 2010 et n’en avons recyclé que 27 %. Seul un mouvement de réparateurs pourrait briser ce système de gaspillage.

Nous pouvons commencer par réparer les ordinateurs, car les anciens modèles, dans un monde où le Cloud computing se généralise, leur permettent d’être aussi bons que les plus récents. Sans compter qu’ils sont souvent étonnamment réparables. Nous le pouvons d’autant plus que l’écosystème de la réparation n’a jamais été aussi accessible : vidéos sur comment réparer sur Youtube, sites comme iFixit qui vendent des pièces et des proposent des guides (en France, on se tournera plutôt vers Comment Réparer), imprimantes 3D qui permettent d’imaginer de nouvelles formes de réparation…

Mais pour vraiment réussir, le mouvement des réparateurs a besoin de l’aide des fabricants. A l’heure actuelle, les fabricants de produits électroniques conçoivent des objets trop souvent impossibles à réparer. Trop souvent, les composants ne sont pas échangeables. Nous sommes face à une « anorexie de la conception » estime Kyle Wiens de iFixit.

Pour Clive Thompson, nous avons besoin d’une action politique. « Les lois pourraient exiger que les marchandises soient conçues avec des pièces interchangeables. Nous pourrions instituer des incitations fiscales pour ceux qui conçoivent pour la réparation. Nous devrions exiger des garanties prolongées. » Nous pourrions exiger que les manuels et les schémas des pièces soient accessibles en ligne…

Le Repair Café de Bruxelles
Image : Le Repair Café de Bruxelles.

En Europe et en France les pouvoirs publics ont commencé à se préoccuper de ces questions, souligne Anne-Sophie Novel sur son blog. Les événements et initiatives autour de la récupe ou de la réparation, les lieux de réparation collaboratifs, comme les Repair Café, essaiment timidement. Mais nous sommes loin d’avoir inversé une tendance de fond que dénonçait le rapport accablant de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques qui constatait que si les achats d’équipements électroniques ont été multipliés par 6 entre 1990 et 2007, les dépenses de réparation ont chuté de 40 % sur la même période. 44 % des appareils qui tombent en panne sont réparés.

« En fin de compte, le véritable défi n’est pas technologique, il est culturel ». La réparation peut-elle être sexy ? Pouvons-nous rendre agréable de préserver nos objets ? Clive Thompson raconte ensuite qu’il a réparé un vieil ordinateur portable avec ses enfants, commandé les pièces, et réparé la machine en quelques heures.

« Nous avons commencé la mise à niveau d’une machine et nous avons fini par notre propre mise à niveau ».

Sur son blog, Clive Thompson explique encore qu’il n’a pas voulu critiquer le mouvement maker. « Faire conduit souvent à la réparation. Quand vous essayez de faire quelque chose, vous vous retrouvez à accumuler l’état d’esprit et les compétences qui sont essentielles à la réparation des objets ». C’est ce qu’explique Mathew Crawford, qui travaille à l’Institut pour les recherches avancées dans la culture, dans Eloge du carburateur :

Les activités d’entretien ou de réparation, qu’il s’agisse de véhicules ou de corps humains, sont très différentes des activités de fabrication ou de construction à partir de zéro. Le mécanicien et le médecin, même chevronnés, sont confrontés chaque jour à la possibilité de l’échec, ce qui n’est pas le cas de l’architecte ou du constructeur. Car médecins et mécaniciens ne sont pas les créateurs des objets sur lesquels ils interviennent et, par conséquent, ils ne peuvent jamais en acquérir une connaissance absolue ou exhaustive. L’expérience de l’échec modère l’illusion de la maîtrise ; dans leur travail quotidien, médecins et mécaniciens doivent appréhender le monde comme une entité qui ne dépend pas d’eux, et ils connaissent fort bien la différence entre le moi et le non-moi. Etre un « réparateur », c’est peut-être aussi une forme de cure contre le narcissisme. »

… Le narcissisme de notre société consumériste.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Ça serait intéressant de voir se dévellopper un système proche de « l’échange standard » qui se pratique sur certaines pièces de voiture (alternateurs etc.).

  2. A mon sens, le problème n’est ni technologique, ni culturel, il est économique, car l »obsolescence programmée est un des piliers de la croissance. Faire sans, c’est s’exposer à la panne totale d’un système déjà
    exsangue. Dans ce cas, mieux vaut avoir des idées (de nouvelle théorie économique) pour la suite.

  3. Simon Starling, comme tous les réparateurs du monde défendent collectivement un projet contre-entropique (l’entropie serait la dégradation irréversible de toute chose, « sans moyen de recoller les morceaux »), où les produits manufacturés sont doués d’une force gestative, comparable aux facultés génératrices de la natura naturans maniériste. Vers une « industria industrians ». Entre leurs mains réparatrices, les objets ont d’abord une capacité à se régénérer…

  4. Je ne partage pas l’avis de @bobleplombier. Des objets plus durables, nécessitent – au moins à court et moyen terme – plus de matière grise (donc plus d’emplois), de nouveaux équipements pour les fabriquer (donc de la croissance), et de nouveaux emplois pour les réparer. Par ailleurs, il faut fabriquer les pièces de rechange / composants qui ne le sont pas aujourd’hui (on crée la aussi de la croissance et de l’emploi). Ce n’est qu’à moyen terme que l’on risque de voir la croissance s’essouffler. Lorsque toute l’infrastructure associée à la transition entre économie du produit et économie de fonctionnalité sera en place. Prenons le risque de cet essoufflement à moyen terme !