Ce que « liker » veut dire

Do you like ?Maintenant qu’on est à peu près certain que les 1,6 millions de like apposés sur la page Facebook de soutien au bijoutier de Nice ne sont pas une arnaque, ou tout au moins, à la marge, il est temps d’essayer de les interpréter. Avec la question sous-jacente : est-ce que ces 1,6 million de personnes sont vraiment engagés dans ce geste de soutien ? Est-ce que cela révèle une extrême droitisation de la société française ? Qu’est-ce que cela nous dit sur le vote Front National aux prochaines élections ?

A ces questions, il est très difficile de répondre, si ce n’est par les faits, en relevant par exemple que les manifestations de soutien physique au bijoutier, organisées à Nice n’ont pas rassemblé grand monde, en tout cas pas plus que d’habitude. Mais ça ne signifie pas pour autant que ces like ne veulent rien dire. D’où la question qu’on se pose tous, et que Libération se pose ce matin : qu’est-ce que « liker » veut dire ?

Liker, c’est cliquer pour montrer son soutien, pour montrer qu’on apprécie une marque, un propos, une personne, une photo, une page. Liker, ce n’est pas aimer, évidemment, c’est beaucoup moins fort. D’ailleurs, Erwan Cario et Camille Gévaudan, dans Libé, montrent bien que les gens qui ont liké cette page de soutien en ont parfois des centaines d’autres, qu’ils peuvent avoir liké des choses très différentes, contradictoires. Et le sociologue Dominique Cardon essaie de caractériser ce geste du point de vue politique : c’est un investissement minimal, certes, mais c’est quand même un engagement, car il est public, ce qui le différencie du vote, qui est d’ordre plus privé. Pour autant, sa conversion dans la politique réelle est incertaine. Bref, tout ça reste encore assez indéfini

Alors j’aimerais poser le problème différemment. Qu’est-ce que Facebook change à notre monde ? Eh bien, en l’occurrence, Facebook a inventé un geste politique nouveau et Facebook nous enjoint nous, – journalistes, chercheurs, dirigeants politiques, mais aussi citoyens –, à essayer de comprendre ce geste. C’est-à-dire qu’une bande de geeks de la Silicon Valley a l’idée un jour d’un bouton like pour créer des sortes de rassemblements numériques très utiles aux marques pour évaluer leur popularité (et pour savoir auprès de qui elles sont populaires). En février 2009, la fonction est implémentée sur Facebook et en septembre 2013, en France, à des milliers de kilomètres, nous voici en train de constater que liker peut être un geste politique. Quand on y pense, ça n’est pas rien. Ce n’est pas tous les jours que s’inventent des gestes politiques. On connaissait le vote, la pétition, la manifestation, le pamphlet ou encore l’attentat, il faut aujourd’hui compter un nouveau venu : le like. Et si le like nous déstabilise, c’est parce qu’il est nouveau, bien sûr, mais aussi parce qu’il compte en lui des éléments qui nous déstabilisent dans les pratiques numériques en général : il y a le filtre de la technique (cliquer est un geste technique), on a du mal à qualifier la force de l’engagement (comme dans la soi-disant « amitié » qui structure Facebook), le caractère spontané ou réfléchi de l’acte, on évalue mal le degré de réalité de l’opinion ou du geste. Le geste politique que représente le like nous trouble car il échappe à nos grilles d’analyse politique. Alors, évidemment ces 1,6 million de like disent quelque chose, et sans doute quelque chose d’inquiétant, mais je me méfie de tous ceux qui donnent une interprétation définitive.

Xavier de la Porte

Retrouvez chaque jour de la semaine la chronique de Xavier de la Porte (@xporte) dans les Matins de France Culture dans la rubrique Ce qui nous arrive à 8h45 et sur son blog (RSS).

L’émission du 21 septembre de Place de la Toile accueillait Stéphane Vial (@svial, docteur en philosophie, maître de conférences en design à l’Université de Nîmes, et auteur de L’être et l’écran, un ouvrage qui interroge la manière dont nos perceptions sont transformées par le numérique.

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  1. « Que vaut un like ? », « Quelle valeur lui donner ? », s’interrogent également André Gunthert. Un million de likes ne « vaut » pas un million de manifestants, ni un million de voix. Signe d’adhésion économique, visible seulement par les contacts, le like a sa propre logique : « une logique d’empathie distante ou de fausse proximité (qui) abolit toute réflexivité, toute distance », explique Olivier Ertzscheid d’Affordance, en rappelant, suite à la Technology Review que la colère est beaucoup plus influente que les autres émotions (comme la joie ou la tristesse) sur les réseaux sociaux et donc dans sa capacité à se diffuser.

    Certes, les chiffres sont à prendre avec des pincettes et comme le dit très bien Xavier, personne ne sait évaluer l’importance de cette nouvelle forme d’expression politique. « Faire justice soi-même ou le crier, est-il autre chose qu’adresser à un acteur lointain et indifférent la colère et le ressentiment d’un abandon ? », conclut avec raison André Gunthert.

    Une remarque cependant qui me semble ne pas avoir été relayé dans les analyses, il faut tout de même rappeler que liker une page est aussi le seul moyen d’en suivre l’actualité. Cela ne dédouane pas ceux qui se sont abonnés à la page de soutien au bijoutier de Nice (peu l’on certainement fait pour en suivre l’actualité), mais rappelle que le like n’est pas qu’une expression de quelque chose, il est aussi un processus technique dans un système.

  2. A mon avis, c’est surtout une question de nommage qui nous trouble, l’idée du « like » ou « j’aime » est, je pense, trop connotée dans nos esprits (avant nous étions « FAN » c’était encore pire). En effet, il n’est pas rare de liker une page par simple curiosité (pas parce qu’on l’aime juste pour voir ce qui s’y passe) – Google avec son « +1 » a mis du recul sur cet engagement.

  3. Merci Hubett Guillaud d’avoir souligné ce dernier point, pour ma part, « liker » une page facebook est un outil de veille parmi d’autres.

  4. RE !
    Liker n’est pas un « acte politique », à moins que les média(teur)s soient enfin parvenus à vider ce concept de tout son sens.

  5. Il faudrait d’une part un équilibre donc pouvoir « unliker » et avoir une position neutre ou mieux se placer sur un graphe, ou qqchose de plus subtil.

  6. Le Like un geste politique ? Pas d’accord estime Miklos dans un billet qui mérite la lecture : le like est le geste des badauds, « un geste « comme ça », facile et rapide, effectué sans réflexion – donc apolitique. Geste public, dit l’article ? Oui, mais vu le nombre de ces gestes publics que font certains, ils deviennent négligeables, ils n’ont aucun sens. Vu aussi le nombre de clicks – ou de vues sur YouTube (on pense à un certain clip personnel franco-français « vu » presque sept millions de fois depuis sa mise en ligne il y a moins de cinq mois) – on est en droit de se demander au moins s’ils sont le fait de personnes qui ont bien consulté le contenu en question. Autre question : s’il y avait un bouton Hate, quel serait le nombre de clicks de ce type-là ?

    Ce mécanisme n’est qu’un avatar de la publicité : par ce Like, on adhère à un slogan, à une image, à des contenus souvent proposés en fonction de leur popularité croissante (et dont on se demande s’ils ont été lus par ceux qui ont signalé leur adhésion). »

  7. Je vais trancher autrement : quelle est la durée réelle de ces ‘like’ dans le temps ? Est-ce que leur épuisement n’est pas fulgurant ? Aussitôt cliqué, aussitôt oublié, épuisé.

    J’ai vu l’autre jour sur Arte : T Shirt Stories. Il était dit quelque chose comme : « la nouveauté est finie », en anglais ça se terminait par « burn » (cramé ?). Ces ‘like’ me font penser à cela. Quelle est leur valeur dans le temps, si on a du mal à en mesurer le geste lui-même ?

  8. 1,6 Millions de like ce n’est quand meme pas anodin et on ne peut cantoner toutes les personnes dans le meme sac. Pour ma par j’ai liké. Et oui si je me faisais braquer d’un pistolet à la tempe, je ne sortirais pas le pistolet de suite pour échanger des coups de feu ou je serais sur de perdre ma vie ou celle de ma femme. Non. Je ferais comme le bijoutier et j’attendrais qu’il sorte de la boutique pour lui tirer dessus pour ne pas risquer de perdre ma vie ou celle de ma femme, (j’essaierais alors de le blesser pour ne pas qu’il s’en aille avec toute ma vie dans son sac et puis apres tout je ne suis pas justicier. Il est mort. Merde. En meme temps c’etait une attaque a main armée pas un enfant de coeur). Pour moi ce groupe de soutien c’est le seul moyen de montrer que les gens comprennent ce que ce monsieur à fait et lui donner un sens à défaut d’une crédibilité face à la justice pour alléger sa peine. Bien sûr il a tué. Mais il ya des circonstances. Pas la peine de parler de radicalisation à ce niveau là je pense que le bijoutier ou la famille du cambrioleur s’en foutent de la politique.

  9. Hoaxbuster publie une autre analyse de l’évènement, assez intéressante : « On l’a vu, le nombre hallucinant de likers de la page est principalement lié à deux facteurs. Premièrement, une action concertée par la mouvance « extrême droite » et deuxièmement, un emballement médiatique hors norme et sans précédent. Il est plus que probable que les personnes ayant décidé de miser sur cette page n’en espéraient pas tant, tout comme il est plus que sûr qu’aucun média n’est tombé sciemment dans le piège tendu. Pourtant, dans cette histoire, il ne faut pas se leurrer, le like sur Facebook est devenu un véritable outil de propagande massive. Cette progagande et la déflagration médiatique qui s’en est suivie seront sans aucun doute possible récupérées politiquement. »