L’école inversée, ou comment la technologie produit sa disparition

Je vais vous raconter une expérience qui pousse la logique du MOOC, ces cours en ligne ouverts et massifs, jusqu’au bout. Une expérience narrée récemment dans le New York Times par Tina Rosenberg (@tirosenberg), et qui est le point de départ d’un mouvement qui porte le joli nom d' »école inversée » ou flipped school.

Tout commence il y a quelques années, à Clintondale, au nord de Detroit, dans une région loin d’être privilégiée. Le proviseur d’un lycée poste sur Youtube des vidéos de tactiques de baseball pour l’équipe de ses fils. Il s’aperçoit que non seulement les jeunes joueurs regardent ces vidéos, mais ils les regardent plusieurs fois… Ils assimilent les stratégies et cela laisse plus de temps, à l’entraînement, pour la mise en application et la pratique.

flipped

A la rentrée suivante, ce proviseur demande à un de ses enseignants en sciences sociales, de tenter une inversion avec une classe : mettre des cours en ligne et consacrer les heures de classes aux questions et à la pratique. A la fin de l’année, cette classe obtient de meilleurs résultats que les autres. Le proviseur va donc voir l’entreprise qui développe le logiciel de capture d’écran pour ses vidéos de baseball et leur dit : « je veux faire une école ». La boite (TechSmith, pas Google) autorise l’usage gratuit du logiciel et l’année suivante, le proviseur inverse tout un niveau, l’équivalent de la 2nde, qui était le niveau le plus problématique de son établissement, qui est un établissement en difficulté. Les résultats sont spectaculaires : les taux d’échecs aux évaluations sont en gros divisés par deux et dans toutes les matières. A l’automne 2011, le proviseur décide donc d’inverser tous les niveaux, et toutes les classes. Les résultats de l’établissement s’améliorent aussi spectaculairement.

Est donc né le mouvement dit de « l’école inversée » : les enseignants enregistrent des cours en vidéo, les élèves regardent ces vidéos en dehors de la classe, sur leur smartphone dans les transports, devant leur écran d’ordinateur chez eux ou dans la salle informatique de leur lycée (pour ceux qui n’ont pas chez eux de quoi regarder des vidéos en ligne). Et depuis Clintondale, le mouvement commence à essaimer doucement.

Qu’est-ce que ça change au fonctionnement de l’école ? En dehors de la classe, on remarque que les élèves sont plus enclins à regarder des vidéos qu’à faire les devoirs traditionnels et, surtout, qu’ils les regardent plusieurs fois (elles sont courtes entre 3 et 6 min), sans avoir peur de passer pour des imbéciles parce qu’ils ne l’ont pas compris du premier coup.

Ca change surtout ce qui se passe à l’intérieur de la classe. La classe devient le lieu des questions et de la mise en pratique. Un lieu d’activité. En petit groupe. Dans un rapport direct entre l’enseignant et les élèves. Ce qui permet aux enseignants d’identifier beaucoup plus vite ceux qui n’ont pas compris (et qui arrivent à se cacher dans un dispositif de classe traditionnel). D’où un constat : l’expérience de Clintondale profite le plus aux élèves en difficulté.

Pour les enseignants, évidemment, ça change beaucoup de choses. L’un explique à Tina Rosenberg qu’il a l’impression de s’être transformé en artiste de l’éducation. Il réfléchit à des contenus formellement innovants et à des activités nouvelles en classe. L’école inversée exige des enseignants plus de créativité et d’énergie.

Evidemment, il y aurait dans le détail beaucoup à discuter dans cette « école inversée » (et j’imagine que ça doit faire bondir certains de nos auditeurs), mais il y a quelque chose que je trouve très intéressant du point de l’usage des technologies :

  • D’un côté, on pousse jusqu’au bout la logique de ce que permet la technologie et de la place qu’elle a dans la vie des élèves ;
  • mais ce renversement produit paradoxalement une disparation de la technologie puisqu’elle sort totalement de la classe, qui devient le lieu de la discussion, des questions.

« Utiliser la technologie pour humaniser la classe », dit le proviseur, c’est une ambition qu’on pourrait appliquer largement au-delà de l’école.

Xavier de la Porte

Retrouvez chaque jour de la semaine la chronique de Xavier de la Porte (@xporte) dans les Matins de France Culture dans la rubrique Ce qui nous arrive à 8h45 et sur son blog (RSS).

L’émission du 19 octobre de Place de la Toile était consacrée à comment les « PornTubes », ces plateformes de partage de vidéos porno en accès libre, ont transformé la pornographie. Un sujet discuté avec l’ex actrice porno et activiste féministe Judy Minx (@judyminx) ; Florian Voros (@fsvoros), doctorant en sociologie des médias qui travaille sur les usages des films et vidéo porno et la construction de la masculinité ; Stephen des Aulnois (@desgonzo), créateur du Tag Parfait, un site qui considère la pornographie comme une culture ; et Ghislain Faribeault (@faribeault), vice-président média chez Marc Dorcel Production, haut lieu de production de la pornographie.

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0 commentaires

  1. Quand on a enseigné dans les établissements les plus défavorisés, on sait malheureusement combien les élèves ne peuvent compter que sur l’école. Penser que, par la grâce des nouvelles technologies, les élèves fourniront chez eux le travail – qui plus dans sa partie plus difficile (l’appréhension d’une nouvelle notion) -, c’est présumer beaucoup et il y a fort à craindre que ce système n’accentue encore des inégalités scolaires déjà criantes.

  2. Très intéressant, à condition de conserver cette classe réelle, car notre économie de marché sera vite tentée de la réduire voire supprimer, et alors l’appropriation et toutes les verrues annoncées disparaîtront !

  3. Je suis d’accord avec Loys, je ne suis pas franchement persuadée que l’informatisation et l’automatisation du système scolaire favorise l’école pour tous et accessible à tous.

  4. L’histoire du proviseur de Clintondale ressemble beaucoup à celle de Salman Kahn, et à une autre plus ancienne, de Siegfried Engelmann, inventeur de l’enseignement explicite.
    Ca commence toujours en famille (les fils pour Clintondale et Engleman, les neveux pour Kahn). Dans la position du précepteur, le tonton, le papa, obtiennent des résultats qu’ils jugent exceptionnels (en maths par exemple). Ils se disent : je tiens là une bonne idée.
    Le reste, c’est du business ordinaire.
    Les américains adorent ce genre d’histoire : un amateur (Kahn est financier, Engleman publicitaire), tout seul dans son coin, fait une découverte à côté de laquelle tous les professionnels sont passés. Il fait ensuite fortune et, au passage, le bonheur de l’humanité.

    Ensuite, une page de porno.
    Comment dire ?… Une certaine lassitude devrait normalement nous gagner.

  5. La classe inversée est extrêmement intéressante. Grâce à elle j’ai revu totalement mon cours de méthodo « recueil, analyse et traitement de données » pour remplacer les parties magistrales passives par des questions que les élèves se posent les uns aux autres et que l’on discute ensemble ensuite.

    .. en plus cela permet d’ouvrir des cours à d’autres internautes, on va peut-être le faire en janvier.

    Ca n’est pas un MOOC, comme le GdP (aujourd’hui je fais justement les amphi de bilan avec mes étudiants et finalement on a peu de questions sur le cours lui-même par rapport aux autres), mais même pour un cours en petits effectifs, le « flipped classroom » a un gros potentiel, à quelques points de vigilance près..

  6. Bonjour,

    Un grand merci d’abord à l’auteur de nous relater cette expérience, que j’ai trouvé très intéressante.
    J’ai eu plusieurs réactions :
    – J’ai été surpris par un des commentaires qui trouve bizarre de « présumer » que ça peut marcher : l’article parle bien d’une expérience qui A fonctionné.
    – Cela dit, je pense que ce genre d’expérience doit émerger et non pas être imposé d’en haut, au moins le temps de faire ses preuves
    – Je me suis posé la question de pourquoi les élèves avaient plus de facilité à re-visionner une video (sur leur temps libre) plutôt que de poser des questions en cours (crainte du professeur, pression sociale liée au regard des camarades ?)
    – Il est clair (comme dit dans l’article) que cela remet sacrément en cause le rôle du professeur (un virage pas facile à vivre, en termes d’amour-propre, d’habitudes, de perte d’autorité, peut-être, etc …)
    – Cela pourrait faire aussi émerger un nombre limité de videos préférées au détriment d’autres, ce qui peut être vexant pour les autres professeurs, embêtant en termes de variété de point de vue, mais aussi allégeant pour les professeurs qui auraient moins à se soucier de la partie explicative (de l’ordre de la pédagogie) que de la partie mise en pratique (de l’ordre de la maitrise « technique » des sujets).
    – Il reste plein d’interrogations :
    * Est-ce que ce « mouvement » est en train de faire des émules en France ?
    * Existe-t-il en France des enseignants qui travaillent de manière plus mutualisée que dans l’image habituele (je pense à Framasoft, notamment).

  7. @bigben :

    C’est-à-dire que le lien concernant les résultats de l’établissement qui « s’améliorent aussi spectaculairement » ne permet pas de le vérifier…

    Revisionner une vidéo, c’est la répétition à l’identique : autant dire le degré zéro de la pédagogie et de l’explication : autant demander aux élèves de lire la leçon dans un manuel : rien de bien nouveau là-dedans.

  8. @lyos
    Il suffit d’aller sur le site… Avez vous même pris le temps de regarder les vidéos en ligne ? Et puis le concept n’est pas seulement basé autour de la prévisualisation des cours, mais sur le travail collaboratif et la discussion ! Mais c’est à l’opposé de la pédagogie française officielle de l’éducation nationale, dont on connait les performances impressionnantes !

    Results?
    In 2010, we used the flipped classroom model with 140 freshman students. We have reduced the failure rate by 33% in English Language Arts, 31% in Mathematics, 22% in Science and 19% in Social Studies in just one semester. In addition, we have seen a dramatic reduction of 66% in our total discipline for our freshman group as well. This approach also allowed us to properly integrate current technologies, guarantee and streamline our curriculum, provide educational services when students and teachers are absent, share staff resources and much, much more…

  9. En vérité les derniers chiffres fournis par l’OCDE en 2009 montrent que le système éducatif français, à performance égale, est bien plus efficace que le système éducatif américain.

    Les résultats que vous citez sont ceux avancés par le lycée lui-même. L’article de Tina Rosenberg est moins enthousiaste quand ces résultats sont évalués de façon indépendante : « Results on standardized tests have fluctuated; they went up in 2012 and then dropped. » L’article évoque à ce sujet l’évolution du public, supposé plus défavorisé, pour expliquer cette baisse.

    Mais c’est précisément ce que j’ai expliqué plus haut : c’est présumer beaucoup d’attendre des miracles de cette méthode…

  10. Qu’entendez vous par « cours » ?

    Apparemment pas grand chose.

    Un discours peut-être ?

    Ou au contraire, des humains qui concourent vers un même objectif : apprendre.

  11. Il semble que comme support complémentaire à un cours ce mode de communication serait bien utile. Certains élèves, l’esprit occupé par divers autres problématiques n’ont pas la mémoire qui « imprime » à la première écoute… Mais pour autant si l’enseignant, bon pédagogue, donne l’envie à ces étudiants d’aller apprendre ils auraient ainsi, à loisir, l’occasion de revenir sur ce qui a été dit… Et à force de l’assimiler…
    La première intention reste cependant l’envie d’apprendre, de découvrir, de progresser ou la simple curiosité… Et sans une classe traditionnelle avec le rapport à l’autre qui se met en place (phénomène de groupe) ou un environnement favorable il pourrait être difficile pour un jeune en difficulté de posséder, seul, l’instinct ou le réflexe d’aller voir un cours sur vidéo… Sinon il faut réfléchir à comment créer l’envie pour qu’il aille consulter ce cours…