Apple Health : qui a le pouvoir ?

L’auteur et sociologue Sarah Wanenchak (@dynamicsymmetry) pour l’excellent Cyborgology (@cyborgology) a été troublée quand elle a appris que Apple Health, le système de santé pour les smartphones et montres d’Apple, était doté d’une capacité de mesure du poids et d’un compteur de calories… qui ne peuvent pas être supprimés !

applehealth

Si les applications de santé sont populaires et peuvent être utiles, elles ne le sont pas nécessairement pour tout le monde. Pour les personnes qui ont des troubles de l’alimentation et des comportements obsessionnels ou compulsifs liés, Apple Health est un catalyseur de comportement, une tentation pour tomber ou retomber dans des habitudes autodestructrices qui sont parfois mortelles. Et la question de ce type de troubles du comportement n’est pas qu’une question de maîtrise de soi, puisqu’en fait, le déséquilibre chimique qui affecte le cerveau des gens qui en sont victimes les conduit à faire des choses qu’ils ne veulent pas faire. Pour elle, la présence de cette application que les utilisateurs ne peuvent enlever, est une menace très réelle pour certaines personnes.

« Apple ne déteste certainement pas les gens souffrant de troubles alimentaires. Ils n’y pensent pas. Et c’est ça le problème ! »

Mais ce n’est pas le seul problème d’Apple Health, estime Sarah Wanenchak. Apple Health est capable de suivre plein de choses très spécifiques… (comme la saturation d’oxygène du sang, l’activité électrodermale…) mais pas les cycles menstruels, un suivi pourtant assez important pour beaucoup de femmes.

« Encore une fois : Apple ne déteste certainement pas les femmes ou celles qui ont leurs règles. Ils ne considèrent seulement pas ce problème comme étant important. »

Certes, de nombreuses applications de suivi du cycle menstruel existent, même si beaucoup de femmes les trouvent souvent trop sexistes et mal adaptées. Pour Sarah Wanenchak ce double exemple illustre parfaitement les limites de la conception aujourd’hui :

« La conception des objets reflète avant tout les hypothèses des designers sur quels types de gens vont utiliser les objets et comment les gens vont les utiliser. Le design est une image de l’inégalité, des systèmes de pouvoir et de domination, à la fois subtile et pas subtile du tout. »

Et Sarah d’accuser Apple de sexisme et de capacitisme, c’est-à-dire de discrimination envers les gens ayant un handicap. L’oubli de prendre en compte certaines populations et l’impossibilité d’éliminer une application, brouillant toujours plus la ligne de savoir qui est propriétaire de l’appareil que vous achetez, souligne surtout combien ce type d’approche demeure extrêmement paternaliste. Au final, rien n’est plus néfaste à la conception que l’arrogance des concepteurs, rappelle Sarah Wanenchak.

« Nous savons ce dont vous avez besoin, ce que vous voulez, ce qui est le mieux pour vous. Nous n’avons pas besoin de vous donner le contrôle sur cela. Nous savons ce que nous faisons. »

Alors qu’il n’en est rien et qu’il y a là, pour beaucoup d’entre nous, une prise de pouvoir social insupportable.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Bonjour. Je ne comprends pas où vous volez en venir. Vous écrivez que :  » le système de santé pour les smartphones et montres d’Apple, était doté d’une capacité de mesure du poids et d’un compteur de calories… qui ne peuvent pas être supprimés ! ».
    Mais si vous ne demandez pas à l’application Health de surveiller votre poids… et si vous n’entrez pas votre poids manuellement (car l’application ne sait pas vous paser !)… Il ne se passera rien !
    Et idem pour les calories. C’est vous qui ajoutez (ou non) dans l’application votre demande de suivre cet indicateur…
    Alors où est le problème ?
    La plupart de ces indicateurs peuvent être reliés à des appareils externes susceptibles de communiquer automatiquement ces informations à l’application… Si vous souhaitez les suivre.
    Là encore, rien ne vous y oblige.
    On sent bien qu’Apple ouvre la porte à tout ce qui peut générer des possibilités applicatives autour de capteurs externes. On aime, ou pas.
    Mais chacun est libre de l’utiliser ou non.

    Le paternalisme n’est-il pas dans le discours un peu infantilisant consistant à dire que les personnes ne sont pas responsables de leurs choix ?

  2. @Eric M. Le libéralisme n’est-il pas un discours un peu élitiste consistant à dire que les personnes sont responsables de leur choix ? Tout le monde n’a pas les mêmes capacités, moyens ou aptitudes à faire des choix (rationnels, prudents, conscients…) que les autres. Mais effectivement, vous avez raison, ce n’est pas ce que semblent penser les développeurs d’Apple ;-). Le fait de ne pas pouvoir supprimer l’application qui évalue le nombre de calories brûlées par jour (selon vos déplacements) est-il une liberté ? Votre seule liberté est donc de ne pas la consulter, mais quand votre poids devient un problème psychologique, et que votre appareil vous rappelle chaque jour que vous pouvez voir combien de calories vous avez brûlé ou pas (comme via une notification), et que vous ne devez pas la regarder… êtes-vous bien sûr que vous êtes libre ?

  3. @ Hubert G. Mais connaissez-vous l’application en question ? Si vous ne venez pas délibérément y entrer des informations de poids ou explicitement lui demander de surveiller les calories brûlées… par défaut elle ne fait strictement rien et ne vous alerte donc de rien.
    Et en considérant que « tout le monde n’a pas les mêmes capacités… à faire des choix que les autres »… vous proposez quoi ? D’aider à faire ces choix ? Et donc proposer VOTRE lecture ? N’est-ce pas une forme de prise de pouvoir ?
    Il est indéniable que la santé est devenue depuis bien longtemps un marché. Je ne défends pas Apple, loin s’en faut. Mais qu’une société éminement commerciale suive le vent de cette tendance actuelle qui met l’apparence physique en avant, les salles de sport, les publicités où chacun doit être « beau’… n’est pas étonnant.
    Il y a matière à débat de société : le regard sur le handicap, l’obésité, les différences… Là oui, nous sommes d’accord.
    Mais Apple, comme beaucoup d’entreprises actuellement, surfe sur cette vague du business-santé. Celui qui est intéressé, peut activer cette application, comme d’autres avaient déjà téléchargé d’autres applications.
    Health, par défaut ne fait rien et peut être rangé au fin fond d’un dossier au même titre que les applications que nous jugeont inutiles (pour moi la Bourse, le dictaphone, la boussole…).
    La liberté ne se situe pas là, mais dans notre liberté par rapport au regard de l’autre sur nous-même et donc notre propre regard sur nous-même.

  4. Rien ne nous oblige à utiliser les applications installées et qu’on ne peut pas enlever. Certes. Mais pourquoi certaines applications peuvent-elles être enlevées et d’autres non ! Clive Thompson pour Medium raconte qu’il a du se racheter récemment un iPhone. Et lui aussi a été étonné qu’on ne puisse pas enlever l’application « stocks », permettant de suivre les cours de la bourse et ses actions. On peut enlever certaines applications d’Apple (comme Garage Band, iMovie, Page ou Keynote…) mais, tout comme « Health », on ne peut pas enlever « Stocks ».

    « Cette « ineffacibilité » est incroyablement intéressante. Elle est un joli aperçu freudien des priorités d’Apple (…). Quand vous regardez ce que vous pouvez et ne pouvez pas supprimer sur un nouvel iPhone, vous vous rendez compte qu’Apple a une vue incroyablement étrange et déprimante de ce qu’est la vie de ses utilisateurs – et de ce que nous sommes censés faire de nos téléphones. Créer de la musique ? Écrire des choses ? Faire une vidéo ? Ce sont tous des domaines où les applications mobiles d’Apple ont été à juste titre considérés comme étant vraiment superbes. Mais à un certain niveau, les dirigeants d’Apple ont décidé qu’on peut s’en dispenser. (…) Mais la vérification de vos actions ? (…) Pour Apple, le suivi de votre portefeuille d’actions avec attention est une activité si quotidienne qu’il est important de ne même pas vous donner la possibilité d’y dire non ! »

    Or, les Américains n’ont jamais aussi peu investi en bourse que depuis la crise des subprimes, rappelle Thompson. Selon Nielsen, 61% des Américains utilisent des applications de jeux, alors qu’ils sont seulement 28% a utiliser des applications de banque et de finance chaque jour. Facebook et Google Maps viennent en tête des usages de toutes les applications selon d’autres études…

    Alors pourquoi Apple continue à rendre cette application ineffaçable ? Est-ce parce que les possesseurs d’iPhone sont censés être plus riches que la moyenne des possesseurs d’autres marques de smartphone ? Peut-être, mais la différence est de moins en moins saisissante explique encore Thompson.

    Et Thompson de rejoindre l’analyse que faisait Sarah Wanenchak sur l’application de santé. Plus probablement, les concepteurs d’Apple n’arrivent pas à concevoir un monde où la valeur des actions n’a pas d’importance. Normal ! Ils travaillent dans l’une des entreprises qui a connu la plus grande capitalisation boursière de la planète ! Ils appartiennent à un milieu où tout le monde a les mêmes préoccupations et consulte régulièrement l’évolution de leur portefeuille boursier.

  5. Peut-être que l’application Stocks utilise des propriétés spéciales du système qui rendraient l’application difficile à réinstaller via la procédure classique (une application classique n’a pas tous les droits sur le système).

    Peut-être aussi que l’application a d’autres fonctions que celles exposées aux utilisateurs, mais j’en doute, car ça serait vraiment du travail de sagouin Windowsien.

  6. Et on peut retourner la question : pourquoi les autres applications peuvent-elles être désinstallées ? Peut-être parce qu’elles consomment trop de ressources, tout simplement, sans aucune vision culturelle derrière cette possibilité.

  7. Mouais… beaucoup de questions… et finalement pour seules réponses que des hypothèses. Chacun peut nourrir ses fantasmes sur Apple et ses intentions. En même teps cela n’est pas bien grave…
    J’ai des iPhone depuis le 3 et je n’ai jamais utilisé l’application Bourse, toute non désinstallable qu’elle soit… Et autour de moi c’est pareil.
    Alors peut-être qu’Apple a des intentions derrière le choix des applications que l’on peut ou non désinstaller.
    Et peut-être pas.
    Much ado about nothing…