Qu’a appris Google de sa quête à bâtir l’équipe parfaite ?

Le journaliste et essayiste Charles Duhigg (@cduhigg), auteur notamment Du pouvoir des habitudes et du récent Smarter, Faster, Better, livre au New York Times Magazine un passionnant reportage sur le management chez Google (un sujet que nous avons déjà plusieurs fois abordé : ici et notamment).

A notre époque saturée par les données, des dizaines de laboratoires étudient comment transformer les employés en versions meilleures, plus rapides et plus productives (Smarter, Faster, Better) d’eux-mêmes. Nous vivons un âge d’or de l’étude de la production personnelle, estime Marshall Van Alstyne de l’université de Boston, qui étudie comment les gens partagent l’information.

La plupart des entreprises estiment qu’améliorer le travailleur isolé (l’optimisation de la performance des employés) n’est pas suffisant, à l’heure où le travail se déroule de plus en plus en équipe. Selon la Harvard Business Review (voir notre article sur « La collaboration en surcharge »), le temps passé par les managers et les employés dans des activités collaboratives s’est accrus de 50 % ces 20 dernières années. Les raisons de cette poussée collaborative reposent sur le fait que les études ont montré que les groupes ont tendance à innover plus rapidement, à voir les difficultés plus vite, et à trouver de meilleures solutions aux problèmes auxquels elles sont confrontées.

Que partagent les meilleures équipes ?

Il y a 5 ans, Google, l’un des plus acteur les plus prosélytes de l’étude des performances au travail, s’est intéressé à construire « l’équipe parfaite ». Via son département « People Opérations », le géant a dépensé des millions de dollars pour mesurer tous les aspects de la vie de ses employés, de la manière dont ils mangent (les employés les plus productifs ont tendance à élargir leurs réseaux relationnels en faisant tourner leurs compagnons de déjeuner – voir également les propos de Ben Waber à Lift France), aux traits de caractères des meilleurs managers. Longtemps, les responsables de Google ont cru que construire les meilleures équipes consistait à combiner les meilleurs employés et à rassembler ceux qui se ressemblent et s’entendent bien… En 2012, Google a lancé le projet Aristote pour étudier des centaines d’équipes (180) travaillant chez Google, sous la conduite d’Abeer Dubey et de Julia Rozovsky (qui ont également lancé un site dédié à ces questions pour Google : Re:Work). Les chercheurs ont commencé par regarder toutes les données sur ces équipes sans trouver de modèles dans leurs compositions. « Nous avions beaucoup de données, mais il n’y avait rien qui montrait qu’un mix de type de personnalités ou de trajectoires fasse la différence. Le « qui » dans l’équation semblait n’avoir aucune importance », explique Dubey. Dans les meilleures équipes de Google, on trouvait autant des équipes de collègues très proches les uns des autres que des gens qui ne se fréquentaient pas en dehors du travail. Certaines avaient un manager omnipotent, d’autres fonctionnaient selon des structures absolument pas hiérarchiques.

Pour dépasser ces limites, Rozovsky et ses équipes se sont intéressés aux normes des groupes, c’est-à-dire aux règles de comportement qui régissent les fonctionnements des groupes. Certaines équipes ont ainsi cherché le consensus : éviter le désaccord étant plus précieux que le débat. D’autres ont préféré le dédaigner au profit de l’échange d’arguments vigoureux. Les chercheurs sont donc partis à la recherche de normes, explicites ou implicites, permettant aux groupes de fonctionner. Comprendre et influencer les normes s’est révélée une clef pour améliorer les groupes.

La confiance et la sécurité sont les clefs de la réussite des équipes

En 2008, des psychologues de Carnegie Mellon, du MIT et de l’Union College se sont posé également la question du fonctionnement des groupes (voir l’article de recherche .pdf). Leurs résultats montraient que ce qui distinguait les bonnes équipes, n’étaient pas liés à la qualité des gens qui les composaient, mais tenaient à la manière dont les équipes traitaient leurs coéquipiers, afin d’améliorer l’intelligence collective. Deux comportements notamment semblaient assez partagés : une égalité de temps de parole entre les membres des équipes et une sensibilité prononcée aux autres, à leur ressenti – le MIT a fait le même constat, voir « Pourquoi certaines équipes sont-elles plus intelligentes que les autres ? ». En fait, les bonnes équipes peuvent parfois sembler inefficaces, mais si elles partagent des choses de manière équitables et si elles sont attentives aux autres, même si elles digressent, elles auront plus de chance d’avoir une contribution plus riche qu’un groupe hiérarchisé et insensible. C’est ce qu’on appelle aussi la « sécurité psychologique », définie par la spécialiste du management Amy Edmondson : un sentiment de confiance interpersonnel qui permet à chacun de dire ce qu’il a dire, de prendre des risques, dans un climat de respect mutuel. D’autres comportements se sont révélés importants : veiller à ce que les équipes aient des objectifs clairs, créer une culture de la fiabilité…, mais les données de Google montraient que la sécurité psychologique était bien souvent première pour que les équipes se réalisent. Sur Re:work, Julia Rozovsky a résumé les 5 dynamiques des équipes qui réussissent : la sécurité psychologique (la capacité à s’exprimer et à prendre des risques ou à se mettre en situation de vulnérabilité en face des autres), la fiabilité (la confiance partagée dans les objectifs à atteindre), la clarté des structures et des buts (l’équipe partage des rôles et des objectifs clairs), le sens (le travail en équipe est important pour chacun), l’impact (l’équipe pense que sont travail compte et a un impact).

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Reste que la sécurité psychologique n’est pas toujours si simple à mettre en oeuvre. Comment favoriser la communication et l’empathie ?
En fait, la sécurité psychologique est liée à l’émotion. L’empathie et la prise de parole équitablement distribuées reposent sur le partage d’éléments personnels, permettant d’être honnêtes et ouverts aux autres. « Nous ne pouvons pas être concentrés seulement sur l’efficacité ». Le projet Aristote a donc encouragé les conversations émotionnelles et les discussions sur les normes des groupes en pratiquant « l’exercice gTeams », un exercice d’une dizaine de minutes qui permet de s’assurer que les 5 clefs de la dynamique sont bien partagées. En fait, conclut Duhigg, dans sa course à construire l’équipe parfaite, Google a montré l’utilité de l’imperfection. « Prouver par les données que ces choses méritent qu’on y prête attention est l’étape la plus importante pour que les gens y prêtent effectivement attention », estime Rozovsky. Le projet Artistote nous rappelle que l’optimisation a tendance à oublier les expériences des gens… quand celle-ci est primordiale.

La confiance passe aussi par la qualité

Le dossier du New York Times Magazine se prolonge d’autres articles sur le thème du travail, notamment un signé Adam Davidson sur Managed by Q, une startup spécialisée dans le nettoyage des bureaux qui se présente comme l’anti-Uber (voir nos articles « Quelle est la meilleure réponse à l’Uberisation ? » et Qui des algorithmes ou des clients seront nos nouveaux patrons ? »). En effet, Managed by Q n’emploie pas de travailleurs indépendants, mais au contraire, des employés qu’elle paye 40 % de plus que le salaire horaire minimum. Dans un secteur aussi concurrentiel que le nettoyage, cela semble assez incroyable, et pourtant… Son fondateur, Dan Teran (@danteran) rappelle pourtant que son entreprise n’est pas un organisme de bienfaisance. Pour lui, les Uber et autres Task Rabbit ne pensent qu’aux gains à court terme, pas à long terme.

Pour Teran, l’office manager dont toutes les entreprises rêvent ressemble au Q de James Bond, quelqu’un qui sait tout faire et qui prend soin de tous les détails, calmement et rapidement. Si Managed by Q se présente comme une entreprise de nettoyage, sa force est de ne pas faire que cela. Ses employés savent faire plein de choses : maintenance, support technique, achat de fournitures, etc. Managed by Q offre un service de nettoyage de haute qualité comme une porte d’entrée vers plein d’autres services personnalisés. Via une application, les clients peuvent demander à Managed by Q tout ce dont ils ont besoin.

Managed by Q   Smart office cleaning and management.

Adepte des thèses de Zeynep Ton, qui cherche à ne pas voir les employés comme un coût, mais comme une source de profit (voir notre article La démesure est-elle le seul moyen pour changer d’outil de mesure ? »), l’enjeu est de créer un lien privilégié avec ses clients. En fait, Dan Teran estime qu’une approche par les coûts les plus bas nécessite chaque année de fortes dépenses en marketing pour recruter de nouveaux clients quand ceux-ci cherchent à changer de société de nettoyage et pour recruter de nouveaux employés, tout aussi volatiles que les clients. Mieux payer ses employés et les rendre plus indispensables à leurs clients permet de réduire les coûts de recrutement de nouveaux clients et de recherche d’employés. En fait, en payant mieux ses employés et en apportant un service de meilleure qualité, Teran estime qu’en 5 ans, cela lui permet de générer 62 % de profits supplémentaires qu’une entreprise qui pratique une politique inverse. 30 % des revenus de Managed by Q proviennent de services autres que le nettoyage.

Pour réussir son pari, Managed by Q, utilise les données pour sélectionner les meilleures caractéristiques pour ses employés… et ce n’est ni l’éducation, ni l’expérience, ni les recommandations qu’il privilégie, mais l’optimisme et l’empathie – qui sont des compétences clefs dans la sécurité psychologique qu’on évoquait précédemment. L’enjeu est que les clients soient le plus satisfait possible des opérateurs de Managed by Q, qu’ils soient serviables, qu’ils dépannent toutes les situations : l’un d’eux a même fait le réceptionniste plusieurs jours quand la réceptionniste de la société où il venait travailler a été malade. Le risque bien sûr, est qu’en cas de succès, la firme remette son modèle en cause et cherche à augmenter ses profits en réduisant les salaires de ses employés.

Imposer un autre modèle est un combat permanent, rappelle Teran, faisant écho à tous ceux qui cherchent de nouveaux modèles d’organisation d’entreprise. Pas sûr qu’il puisse s’adapter partout ou à toutes les entreprises, mais l’initiative mérite l’attention.

Hubert Guillaud

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  1. Un petit contrepoint bien utile : Keys to a successful Google team – https://news.ycombinator.com/item?id=10619608. Ces chers et si positifs américains n’ont pas non plus leurs pareils pour faire taire les voix discordantes… À les en croire, tout est simple et tient en 5 points – et bien entendu, ils savent lesquels et les maîtrisent… Jusqu’à la prochaine étude d’un cabinet de consulting en organisation (américain, évidemment) qui nous en donnera 5 autres… Ce sont là les ravages de la « psychologie positive ». Il me semble que ce qu’elle nous a utilement rappelé est que le travail du positif est nécessaire – vital. Mais ce qu’elle risque fort de masquer, c’est que celui du négatif ne l’est pas moins.