Quand les robots « grandissent »…

Un robot peut-il grandir, se développer comme le ferait une plante ou un animal ? La question peut sembler étrange, et pourtant les tentatives n’ont pas manqué depuis la naissance de ce domaine pour réaliser une telle prouesse. Le premier à s’être intéressé à la question n’est autre que John Von Neumann, qui peut être considéré avec Alan Turing comme le fondateur de l’informatique. Il se demandait comment une machine serait capable de s’autorépliquer en capturant des modules flottant dans l’environnement. En fait, les travaux de Von Neumann sur l’évolution des machines ont donné naissance au champ des automates cellulaires, puis à celui de la vie artificielle, un domaine très lié à cette idée de « croissance des robots ».

Dans un long papier pour Frontiers in Robotics and AI, les auteurs, membres du centre de micro-biorobotique à l’Institut italien de technologie nous proposent un historique de ces tentatives et mieux, élaborent une nomenclature des différentes possibilités de « croissance » des robots, ce qui contribue à clarifier les idées sur un domaine plutôt complexe.

Comment un robot peut-il se développer ? De deux manières nous disent les auteurs : il peut changer de taille, devenir littéralement plus grand, mais peut également augmenter la complexité de son organisation.

De fait, les auteurs, différencient deux types de croissance robotique : l’autoassemblage et l’autoreconfiguration. Ces deux facultés sont associées à une forme particulière de robotique, la robotique modulaire. Un robot modulaire est composé de plusieurs parties séparées. Dans le cas de l’autoassemblage, il est capable d’ajouter certaines de ses parties à son système. Dans celui de l’autoreconfiguration, il change l’organisation existant entre ses éléments. A noter qu’alors que l’ autoassemblage suggère nécessairement une « croissance », l’autoreconfiguration peut simplement être une réorganisation sans que réellement on puisse dire que le robot « grandit ». Les auteurs basent leur catégorisation des différents prototypes sur la similarité entre le développement des machines et celui de certaines formes de vies. Ils distinguent ainsi, les robots moléculaires, cellulaires et organiques.

Les robots moléculaires


La notion de « robot moléculaire » se base sur l’idée que les différentes parties se trouvent éparpillées dans l’environnement et sont susceptibles de se rencontrer, en se « cognant » les unes contre les autres.

La première tentative du genre est un système imaginé par Saul Griffith. Il s’agissait d’un ensemble de petits cubes magnétiques qui, correctement configurés, étaient capables de prendre par eux-mêmes n’importe quelle forme bidimensionnelle, par exemple, comme il l’a montré pour sa thèse, le logo du MIT.

Un autre exemple est celui des « lily robots » développés à l’école polytechnique de Lausanne (.pdf), il s’agit de petits cubes flottant dans l’eau, munis de capteurs magnétiques. Pour contrôler l’autoassemblage, on procède de deux manières : on peut paramétrer les capteurs magnétiques de chaque module, ou manipuler le flot de liquide dans lequel ils surnagent, ainsi que l’explique la chercheuse Bahar Haghighat dans la vidéo ci-dessous.

Les robots cellulaires


Les robots cellulaires semblent plus prometteurs et moins limités, selon les auteurs. Par cellulaires, ils n’entendent toutefois pas, comme dans le cas des cellules biologiques, la capacité d’autoréplication. Les robots cellulaires sont en fait les exemples typiques de « robotique modulaire » spécifiquement capables de croissance et d’auto-modification. Ils se définissent par trois caractéristiques. La modularité est bien sûr la première. Mais il faut également que chaque cellule soit dotée de fonctionnalités simples : elle n’héberge pas un programme compliqué. Pas de deep learning ou de big data pour les robots cellulaires ! Enfin, il faut que le système soit décentralisé ; l’intelligence est une fonctionnalité émergente de l’interaction entre les cellules. Une telle description rapproche beaucoup les robots cellulaires des différents collectifs de robots comme il en existe beaucoup, par exemple les « swarmanoids« . Mais dans la plupart de ces essaims, les différents éléments restent physiquement indépendants les uns des autres, même s’ils agissent de concert comme des fourmis dans une fourmilière. Alors qu’un robot cellulaire est bel et bien une entité unique obtenue par la réunion de ses différentes parties.

Contrairement aux robots moléculaires, où l’autoassemblage se fait uniquement grâce à la géométrie des modules et la nature de l’environnement, les robots « cellulaires » se cherchent, les modules sont capables de s’aborder entre eux. Cela implique plus d’intelligence de la part des modules, ainsi que de l’énergie pour assurer leur déplacement. On peut voir dans la vidéo ci-dessous un CKBot s’autoassemblant alors que ses différentes parties sont éparpillées sur le sol. Dans chaque groupe de modules, il en existe un disposant d’une caméra permettant de « chercher » ses congénères à distance.

Les robots « végétaux »


Reste la dernière option, les robots « organiques ».

Il ne s’agit plus ici de robotique modulaire : il n’existe pas plusieurs parties qui s’assemblent pour créer quelque chose de plus grand, mais une seule unité qui est capable d’accroître sa configuration en faisant usage d’un matériau trouvé dans l’environnement, ou, plus généralement, embarqué dans sa structure.

On divise volontiers les organismes vivants multicellulaires en animaux et en plantes et c’est surtout ces dernières qui intéressent les auteurs. Chez les végétaux, la capacité à croître est fondamentale : en effet, alors que les animaux se déplacent, la seule manière pour une plante de changer son comportement est de modifier sa forme. Un exemple de ces plantes robots a été élaboré à l’université Stanford. Il s’agit d’une espèce de tuyau qui est capable de se dérouler jusqu’à 72 mètres à une vitesse de 35 km/h. Le robot, nous explique le New Scientist, est constitué de trois chambres qu’on peut gonfler avec de l’air (vidéo). Lors de son déploiement, il est capable de changer de direction, et même d’effectuer des tâches simples comme tourner un robinet. Ce robot, nous dit encore le New Scientist, pourrait être utilisé à des fins chirurgicales, par exemple pour poser des cathéters.

Le projet européen « plantoïd » s’inspire quant à lui des racines d’un végétal pour s’enfoncer dans une surface meuble (vidéo). Pour croître, il intègre une petite imprimante 3D lui permettant de fabriquer ses extensions. Grâce à des capteurs, il pourrait analyser la nature chimique du sol, et, nous explique Science et Avenir, ce « tronc » pourrait disposer de feuilles analysant, elles, l’environnement atmosphérique.

Les « robots plantes » présentent par rapport aux systèmes modulaires l’avantage de pouvoir mieux régler leur configuration. Ils ne sont pas contraints par la taille des modules : selon la quantité de filaments utilisé par l’impression 3D dans le cas du plantoïd, ou la pression de l’air dans les chambres du « tuyau », il est possible de régler la croissance de manière plus précise.

Cependant, qu’elles soient cellulaires ou organiques, ces machines connaissent une limite : elles sont contraintes dans leur développement par la quantité de matériel disponible. Pour les cellulaires, il s’agit du nombre de modules accessibles dans l’environnement. Pour les « organiques », la quantité de filaments thermoplastiques en réserve ou la taille maximale du « tube ».

Quel est l’intérêt de toute cette recherche ? Comme l’indiquent les auteurs dans leur conclusion, de tels types de machines capables de se modifier et de se reconfigurer seraient particulièrement à l’aise dans des environnements incertains ou dangereux. Pour l’instant, on le voit, on reste dans le domaine de la recherche fondamentale. Comme le notent avec justesse les auteurs, c’est sans doute en conjonction avec d’autres recherches, comme celle sur les nouveaux matériaux ou en biologie synthétique, que ce genre de travaux pourra atteindre la maturité.

Rémi Sussan

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