Des chiens immortels aux cellules humaines invulnérables…

George Church photographié par Joi ItoOn a souvent parlé de George Church (@geochurch) dans nos colonnes, et il est parfois bien difficile de savoir où ce multi-entrepreneur de la biotech se trouve à chaque instant. Non content d’avoir été l’un de pionniers de la génomique personnelle, de s’intéresser à l’usage des algues comme source énergétique, d’être très actif sur CRISPR ou de jouer les champions de la dé-extinction, il réussit cette fois l’exploit de se retrouver mentionné dans la presse spécialisée de ce mois pour deux projets complètement différents. Même s’ils ont plus ou moins à voir, à long terme, avec la quête de l’immortalité.

Et comme tous les travaux de Church, ceux-ci sont à la fois extrêmement ambitieux et tout à fait controversés.

Rajeunir les chiens

Premier projet, dont nous parle la Technology Review, la startup Rejuvenate Bio dont Church est l’un des fondateurs,qui se lance dans le rajeunissement… des chiens.

Pourquoi travailler sur les chiens ? Church a donné la réponse lors d’une conférence à Boston :

« Les chiens sont un marché en soi… Ce n’est pas seulement un gros organisme proche des humains. C’est quelque chose pour lequel les gens sont prêts à payer, et le processus de la FDA (la Food and drug administration, l’autorité américaine de régulation en matière de médicament) est beaucoup plus rapide. Nous ferons des essais sur les chiens, et ce sera un produit, et cela pourra payer pour les essais sur l’humain. »

Autrement dit, s’attaquer aux animaux domestiques est lucratif et beaucoup moins difficile que s’intéresser tout de suite aux humains.

L’idée de base serait d’introduire de nouveaux gènes chez nos amis à quatre pattes pour allonger leur durée de vie. C’est une chose qu’on sait déjà faire avec de petits organismes comme des insectes ou des vers. On a pu doubler leur longévité de cette manière. Dans le labo de Church à Harvard, il y a déjà eu des tests sur des souris. Ils y ont essayé plus de 60 types de thérapies géniques sur ces rongeurs. Et bientôt, cette équipe devrait, nous dit encore la revue du MIT, sortir un rapport expliquant comment la manipulation de deux gènes pourrait protéger des souris âgées de la survenue de quatre maladies : le diabète, l’obésité et les problèmes de coeur et de reins.

Il s’agit bien sûr de maladies liées à l’âge, mais ces procédés luttent-ils réellement contre le vieillissement en tant que tel ? C’est dur de faire la différence. Récemment, Rejuvenate Bio a contacté des propriétaires d’épagneuls Cavalier King Charles qui meurent souvent avant 10 ans d’une défaillance cardiaque. Il s’agirait d’effectuer sur eux une thérapie qui consisterait à bloquer la production d’une protéine, le TGF-Beta, afin d’améliorer leurs chances de ce côté-là… Cela s’appelle-t-il un rajeunissement ou simplement un soin ? Pour Church, cela n’est pas très important pour un maître « tant que son chien se met à sauter partout en remuant la queue ». Mais dans un domaine purement scientifique, lors de l’application sur les humains, la question pourrait bien avoir du sens !

Où la jeune entreprise en est-elle exactement ? Combien de chiens a-t-elle traités ? Difficile de le savoir. Elle aurait traité quatre beagles dans une école vétérinaire à Boston, toujours d’après la Technology Review. On n’en sait pas plus.

Des cellules protégées contre les virus

L’autre raison de la présence de Church dans les médias est sa participation à un projet consistant à rendre « les cellules humaines invulnérables aux virus ».

Ça paraît assez délirant, mais bizarrement, c’est quand même une tentative moins ambitieuse que le projet d’origine. Tout a en effet commencé en 2015 par une initiative privée nommée GP-Write. Ce devait être le pendant du célèbre Human Genome Project, qui consistait à pouvoir lire l’intégralité d’un code génétique humain. Il s’agissait là, non plus de lire le génome, mais bien de l’écrire.

Petit problème, il fallait 100 millions de dollars pour mener à bien cette entreprise : somme qu’il n’a pas été possible de réunir. Le nouveau projet nommé Recode ne devrait coûter « que » des dizaines de millions de dollars et prendra à peu près une décennie.

Selon Nature, ce changement de priorité correspond aussi à un changement d’angle. Il ne s’agit plus de recherche fondamentale, de l’écriture d’un génome humain dans l’absolu, mais de passer tout de suite à des technologies plus applicatives.

L’idée de base consisterait à éliminer des « codons » (séquence de trois des fameuses molécules des acides nucléiques, bases de l’ARN : A, C, T, et G) inutiles, c’est-à-dire ne codant pas d’acides aminés (constituants des protéines). En effet, les virus utilisent ces codons inutiles pour se propager.

Mais s’agit-il de transformer chaque cellule d’un être humain pour le rendre ainsi invulnérable ? Évidemment non ! Comme l’explique encore Nature : « Une lignée cellulaire humaine résistante aux virus permettrait aux entreprises de fabriquer des vaccins, des anticorps et d’autres médicaments biologiques sans risque de contamination virale. Elle pourrait également aider à fabriquer des médicaments protéiques avec des propriétés chimiques similaires à celles des protéines humaines, pour diminuer le risque que le système immunitaire de l’organisme les rejette. »

De nouvelles vieilles technologies

On pourrait penser que CRISPR, dont Church est l’un des promoteurs les plus enthousiastes, va jouer un rôle fondamental dans le nouveau projet. Eh bien non !

Pourquoi donc ce choix ? Pour des raisons économiques, dues notamment aux problèmes de droit qui pèsent encore sur CRISPR ? La raison en serait plutôt d’ordre technique, il semblerait que la modification massive de gènes impliqués par ce programme ne serait pas adaptée à la technique de couper/coller de CRISPR. Comme l’a expliqué Jef Boeke, l’un des quatre leaders du projet (avec Church, Nancy Kelley et Andrew Hessel) dans le magazine Stat : « Nous n’avons rien contre CRISPR… Nous l’aimons et l’utilisons tout le temps. Mais nous parlons de changements massifs. C’est comme si vous modifiez une histoire courte : si vous changez trop de choses, vous pourriez aussi bien tout réécrire ».

Ce « projet Recode » va faire usage d’une technologie plus ancienne, nommée les TALENs, pour Transcription Activator-Like Effector Nucleases (en français Nucléases effectrices de type activateur de transcription). Cette technologie, nous explique Jennifer Doudna dans son livre A Crack in Creation, a été inventée en 2009 et remplaçait avantageusement la méthode de modification génétique alors en cours, celle utilisant les « doigts de zinc« . Mais malheureusement pour les TALENs, à peine furent-ils mis au point qu’ils étaient supplantés par une technologie encore plus efficace, CRISPR.

Et, comme le relate le magazine Forbes, Church aurait déclaré qu’« il faut se méfier de la tendance à mode, qui fait que quelques résultats positifs ou l’illusion de coûts moindres puissent entraîner tout un domaine de recherche à négliger des technologies raisonnables… J’ai tendance à suivre des technologies longtemps après qu’elles aient été abandonnées ou longtemps avant qu’elles aient été reconnues. Il n’y a pas de mauvaise technologie. »

Ceci dit, il n’est nulle part expliqué pourquoi les TALENs seraient plus efficaces que CRISPR pour effectuer ces « changements massifs »… En tout cas il n’y aura pas de problèmes de droits avec les TALENs. La société française Cellectis qui en détient les droits, en a cédé l’usage au projet Recode.

Bien entendu ces deux projets suscitent leur lots de critiques. D’après la Technology Review, pour Rod Russell, qui dirige le site consacré aux épagneuls Cavalier King Charles, CavalierHealth.org, promettre aux propriétaires de chiens de rajeunir leur compagnon reste de la « pure hype », et doute que des maîtres soient prêts à payer pour « rajeunir » leur chien. La Technology Review cite dans le même sens Matt Kaeberlein, chercheur à l’université de Washington et spécialiste du vieillissement chez les chiens. Pour lui, explique la revue, il vaudrait mieux continuer des expériences sur les souris avant de passer aux chiens. Et lui aussi soupçonne une tentative de susciter du battage médiatique : « Ils peuvent raconter tout ce qu’ils veulent, mais rien n’a encore été fait… Je pense que c’est un bon moyen d’attirer l’attention des gens. Mais je ne suis pas sûr que ce soit le discours le plus rigoureux du monde. » Des questions éthiques sur le bien-être animal se posent aussi, d’autant plus que la législation américaine reste floue sur le sujet. Coté Projet Recode et GP-Write, la crainte de l’humain synthétique ne peut que susciter des réactions. Même Drew Endy, qu’on ne peut guère soupçonner d’être hostile à la biologie synthétique, s’inquiète du fait que la première réunion, en 2016, autour de GP-Write se soit effectuée en toute discrétion, loin de la présence des médias.

En attendant, faut-il prendre au sérieux ces approches ? En ce qui me concerne, je crois qu’on pourra dire ce qu’on veut sur Church, mais il ne se contente pas de proférer des discours prophétiques comme le font bien d’autres, il bosse. Et je me rappelle qu’en 2007, lorsqu’il prédisait dans The Edge que chacun pourrait avoir accès à son génome dans le courant de l’année qui suit, j’avais trouvé cette personne, dont je n’avais pas entendu parler à l’époque, bien trop optimiste. Neuf mois plus tard apparaissait 23andMe. Depuis, j’ai tendance à prendre le bonhomme plutôt au sérieux…

Rémi Sussan

À lire aussi sur internetactu.net