Comment armer la transparence ?

51706292Roger Taylor (@rtayloropendata) est le fondateur du Réseau des services publics ouverts à la Royal Society of Arts. Il est aussi l’auteur, avec Tim Kelsey, le directeur de l’agence de la santé numérique australienne (après avoir été celui de la NHS britannique, et responsable de l’ouverture des données et de la transparence au Cabinet Office), de Transparence et société ouverte. Dans une remarquable tribune pour Discover Society, il est justement revenu sur les enjeux de la transparence.

Le développement des technologies de l’information a été vu comme un âge d’ouverture et de transparence, permettant de mettre en capacité les citoyens. Désormais, grâce à une information toujours plus disponible, nous pouvons surveiller et contrôler le monde en continu… Mais est-ce si sûr ? Pour Roger Taylor, l’ouverture et la transparence ne peuvent être mesurées seulement en terme de volume d’information disponible. L’important, ce qui compte, c’est de mesurer de combien d’information je dispose par rapport aux autres. « La transparence nous leurre lorsqu’une des parties est en mesure de profiter indûment de l’autre grâce à un meilleur accès à l’information ». L’important n’est pas la quantité d’information disponible ou publique, mais la symétrie d’accès à l’information pourrait-on résumer. « Demandez-vous si le développement des technologies de l’information vous a permis d’en savoir plus sur l’état ou s’il a permis à l’état d’en savoir plus sur vous ? L’informatisation des services bancaires a-t-elle permis aux particuliers d’en savoir plus sur leurs banques ou aux banques d’en savoir plus sur leurs clients ? » Pour Roger Taylor, l’âge de la transparence de l’information semble avoir surtout rendu le monde plus opaque.

Pourtant, tout le monde se targue de transparence. Gouvernements et entreprises s’en revendiquent, sans nécessairement offrir toujours des accès réels ou directs aux données, libérant au choix les données moins pertinentes, certaines plutôt que d’autres… Pour Taylor, à l’heure du « capitalisme de la surveillance », du Big Data et de l’intelligence artificielle, nous avons besoin d’un concept de transparence qui soit mieux adapté à ces enjeux.

Les deux auteurs identifient plusieurs niveaux de transparence, rapporte Richard Smith : au niveau zéro, le citoyen fourni des données sans rien avoir en retour. Au niveau 1.0, le citoyen fournit des données et l’institution en fournit d’autres en retour en choisissant celles qu’elle fournit, sans être nécessairement reliées aux données fournies. Ainsi, un hôpital récupère les données d’un patient et en échange vous fournit des données sur le temps d’attente ou la propreté. Au niveau 2.0, les organisations recueillent des données, les analysent et les retournent aux utilisateurs d’une manière plus personnalisée pour les aider à prendre des décisions… Autant de niveaux qui semblent esquisser des degrés de transparence.

La transparence renvoie à l’équité. Les appels à rendre les choses transparentes sont des appels à rendre les choses justes, équitables, explique encore Taylor. Le problème estime-t-il, c’est que nous définissons la transparence trop souvent en volume plus qu’en terme d’utilité. Les organisations transparentes sont celles qui fournissent le plus d’information sur elles-mêmes… Mais accéder à davantage d’information n’augmente pas la transparence et encore moins l’autonomie des gens : parfois la volumétrie sert surtout à rendre les choses moins transparentes. Ainsi, Taylor prend l’exemple des tribunaux qui sont l’un des rares endroits où l’égalité d’accès à l’information est importante pour éviter que l’une des parties ait un avantage déloyal sur l’autre. En théorie, tout matériel auquel a accès l’une des parties doit être mis à la disposition de l’autre. Mais la tactique de bien des avocats consiste alors à noyer la partie adverse sous l’information afin de rendre sa capacité à retrouver l’information clef plus difficile plus difficile.

La transparence ne concerne donc pas la quantité d’information, mais bien plutôt sa symétrie. Symétrie d’accès, de contrôle, mais aussi de capacité à utiliser les données, de manière individuelle comme collective ou institutionnelle.

Reste que pour Taylor, il faut néanmoins prendre en compte que nous sommes dans une société de surveillance qui peut permettre certes de mieux gérer les risques, mais qui est également très efficace pour éliminer la dissidence ou manipuler l’information. Les algorithmes et les systèmes de machine learning, capables de s’adapter en permanence à de nouvelles informations et de les personnaliser ne signifient pas que la transparence va s’améliorer automatiquement pour autant. Or, estime Taylor, notre acceptation de la puissance de ces technologies nécessite que nous ayons un accès et un contrôle ouverts sur les données. Le monopole du contrôle des données est incompatible avec la justice sociale, conclut-il. Il faut ouvrir la question de la transparence sinon nous risquons soit de nous leurrer quant à l’impact de nos institutions sociales, soit de donner un contrôle monopolistique à ceux qui exploitent les données.

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