La voix sur IP

Les tentatives pour utiliser internet comme réseau de transport de la voix ne sont pas nouvelles. Depuis près de 10 ans, de multiples solutions de téléphonie via l’internet ont vu le jour, sans réellement convaincre de leurs avantages. Aujourd’hui, bien que l’offre soit loin d’être parvenue à maturité, la généralisation des accès à haut débit laisse entrevoir de nouvelles possibilités. Les opérateurs alternatifs, Free et 9Telecom en tête, ont lancé leurs offres, tandis que des solutions logicielles, notamment le très médiatique Skype, connaissent un franc succès. Pourtant, la voix sur IP demeure complexe, tant d’un point de vue technique et commercial qu’en termes de lisibilité pour le consommateur. L’occasion d’une explication détaillée de ce qu’est la téléphonie IP, coordonnée par Judith Bregman et Cyril Fievet.

Les tentatives pour utiliser internet comme réseau de transport de la voix ne sont pas nouvelles. Depuis près de 10 ans, de multiples solutions de téléphonie via l’internet ont vu le jour, sans réellement convaincre de leurs avantages. Aujourd’hui, bien que l’offre soit loin d’être parvenue à maturité, la généralisation des accès à haut débit laisse entrevoir de nouvelles possibilités. Les opérateurs alternatifs, Free et 9Telecom en tête, ont lancé leurs offres, tandis que des solutions logicielles, notamment le très médiatique Skype, connaissent un franc succès. Pourtant, la voix sur IP demeure complexe, tant d’un point de vue technique et commercial qu’en termes de lisibilité pour le consommateur.
Par Judith Bregman et Cyril Fievet

Sommaire
VoIP : une technologie protéiforme
Voix sur IP, avantages et inconvénients
Les opérateurs à l’attaque
Un marché international et touffu
Encadré : Entreprises : comment passer au tout IP ?
Pour aller plus loin

VoIP : une technologie protéiforme

Techniquement, le transport de la voix sur l’internet ne diffère pas fondamentalement des méthodes employées pour les autres types de données. Comme pour les autres contenus, faire transiter de la voix par IP signifie que les données sont divisées en « paquets ». L’intérêt de ce mode de codage est que la bande passante disponible peut être utilisée à tout moment par plusieurs interlocuteurs, au contraire de la téléphonie RTC (Réseau téléphonique commuté), où l’intégralité de la liaison est dédiée à un instant donné à une seule et même conversation. Une fois les données codées par paquets, il devient possible de les transporter de différentes manières. En Adsl, le mode de transport est l’ATM (Asynchronous transfer mode), qui consiste à découper l’information en cellules de 53 octets.

Concrètement, pour l’utilisateur, il existe de nombreuses façons différentes d’utiliser la voix sur IP. La distinction s’effectue principalement selon l’appareil utilisé pour émettre des appels.

On parle ainsi de « PC to PC » pour qualifier les procédés permettant d’appeler un correspondant disposant d’un ordinateur (et non d’un téléphone), à partir d’un ordinateur. Cette solution présente l’énorme avantage d’être totalement gratuite  : les paquets correspondant à la voix ne sont pas distingués des autres données transitant sur la ligne utilisée pour accéder à l’internet, et les logiciels faisant fonctionner le tout sur les postes clients sont le plus souvent téléchargeables gratuitement. Mais elle pose un sérieux problème d’interopérabilité : les deux correspondants qui communiquent oralement doivent (du moins aujourd’hui) avoir les mêmes logiciels installés sur leur ordinateur pour que cela fonctionne. En clair, cela suppose de savoir par avance de quel logiciel dispose la personne que l’on veut joindre… Un problème rendu délicat du fait de la multiplication de l’offre en la matière. Qu’il s’agisse des principaux acteurs de l’internet, qui proposent tous des logiciels de « messagerie instantanée vocale » (Yahoo ! Messenger, http://fr.messenger.yahoo.com, AOL IM, http://aim.aol.fr, MSN Messenger, http://messenger.msn.fr…) ou de produits dédiés (du plus ancien CUSeeMe, http://cuworld.com, au très récent Skype, http://www.skype.com), il existe plus d’une douzaine de solutions non compatibles entre elles…

A l’inverse, le « PC to phone » désigne les procédés de voix sur IP avec lesquels on peut appeler n’importe quel numéro de téléphone dans le monde, à partir d’un PC muni du logiciel idoine. L’intérêt est bien sûr de se rapprocher de la téléphonie classique, tout en tirant parti de l’internet. Cette solution n’est pas gratuite, mais bénéficie de tarifs très inférieurs à ceux pratiqués par les opérateurs de téléphonie classique. L’un des acteurs importants dans ce domaine est par exemple Net2Phone (http://net2phone.com), qui propose le téléchargement d’un logiciel gratuit sur le PC, pour appeler n’importe où dans le monde. Un appel depuis la France vers Sydney en Australie coûte ainsi 0,03 euro la minute, soit 10 fois moins que la tarif proposé par France Telecom en heures creuses… La communication est acheminée successivement via le réseau de l’opérateur de l’appelant, puis si nécessaire via l’internet public, jusqu’à un « point de présence » situé aussi près que possible du destinataire. L’appel est alors transformé en appel téléphonique classique, en bénéficiant du tarif local du lieu de destination.

Enfin, le « Phone to Phone » correspond véritablement à la « téléphonie sur IP » : un téléphone raccordé à l’internet peut émettre et recevoir des appels vers et depuis n’importe quel autre téléphone. En France, ce type d’offre est récent. Depuis le 25 août dernier, le fournisseur d’accès Free propose une offre de téléphonie sur IP à ses abonnés qui disposent d’une Freebox. Cette dernière exploite le modem Adsl, auquel se branche un combiné téléphonique classique. L’utilisateur n’a besoin d’aucun logiciel complémentaire et se voit même attribuer un numéro d’appel classique (à 10 chiffres, commençant par « 08 »). Le lancement de l’offre s’est accompagné d’un positionnement agressif en terme de tarif : les appels sont totalement gratuits vers les autres abonnés Free et vers toutes les lignes fixes traditionnelles jusqu’au 31 décembre 2003. A partir de janvier 2004, les abonnés n’auront plus droit qu’à 10 h de gratuité par mois (au delà de 10 heures, la minute supplémentaire sera facturée un centime d’euro), tandis que les appels internationaux et vers les téléphones mobiles seront facturés, à des tarifs là aussi très largement inférieurs à ceux de la concurrence « non IP ».

Free a été rejoint le 15 octobre par l’opérateur 9Telecom, dont l’offre « Tout 9 » de téléphonie et web illimitée est accessible via un tarif forfaitaire de 40 euros par mois, et permet des appels téléphoniques illimités vers des lignes fixes en France métropolitaine. L’opérateur Telecom Italia s’est également joint à la bataille, en proposant son offre « Alice Super libre » (accès Adsl à 13 euros par mois, incluant les communications téléphoniques nationales à 3 centimes la minute), ainsi qu’une formule originale, « Alice Super avec Téléphone Instant libre », offrant pour 29 euros par mois des communications téléphoniques illimitées vers des lignes fixes nationales, au prix unique de 12 centimes d’euro par appel.

Voix sur IP, avantages et inconvénients

Pour l’usager, l’énorme avantage de la téléphonie sur IP provient des tarifs rendus possibles par l’utilisation – totale ou partielle – de l’internet pour acheminer les communications. Mais le potentiel est également considérable en termes de services. En mode « PC to PC », les utilisateurs peuvent nativement converser à plus de deux interlocuteurs, ou associer à leur conversation d’autres modes de communication : partage d’un tableau blanc, envoi simultané d’images ou de tout autre fichier, etc.

Du reste, parce qu’elles s’appuient sur des PC utilisés comme « combinés téléphoniques », ces solutions sont presque toujours assorties d’une fonction de visio-conférence. De simples webcams connectées aux PC de chacun des correspondants permettent aux interlocuteurs de se voir, même si c’est avec une qualité d’image souvent dégradée. Mais l’offre évolue, et Apple a par exemple présenté en juin sa solution iChat AV (http://www.apple.com/fr/ichat/), couplée avec AIM, pouvant offrir jusqu’à 30 images/seconde en visio-conférence entre deux ordinateurs raccordés à l’internet à haut débit.

Si la voix sur IP a donc souffert d’une certaine désaffection due à une qualité de communication aléatoire et souvent très inférieure à celle du téléphone, les choses sont en train de changer avec la généralisation du haut débit et de la stabilité qu’il procure.

L’ambition de Skype, créé par les fondateurs de Kazaa, est d’ailleurs de tenter de remédier aux défauts habituels de ce mode de communication (difficulté à installer et configurer le logiciel, mauvaise qualité sonore, etc.), en tirant parti du peer to peer. Utilisant le protocole FastTrack – et le réseau associé, très populaire pour l’échange de musique au format MP3 – Skype promet (et fournit, en général) une meilleure qualité de son que le téléphone classique !

Les opérateurs à l’attaque

Si l’on parle de « Phone to Phone », la véritable innovation de la téléphonie IP sur Adsl repose sur les modems de deuxième génération, qui transforment un téléphone classique en « téléphone IP ». Contrairement au « PC to PC », le terminal est ici le téléphone habituel, dès lors qu’il est branché sur le modem. On peut penser que le procédé va rapidement paraître naturel aux abonnés Adsl, et vraisemblablement doper encore le marché de l’accès à haut débit.

Reste à savoir comment vont réagir les opérateurs historiques, quelque peu « court-circuités » par l’internet utilisé comme réseau téléphonique. Tandis que le dégroupage, marquant la fin du monopole sur le dernier kilomètre, se poursuit dans l’hexagone, l’arrivée des opérateurs alternatifs sur le marché naissant – mais vaste – de la téléphonie sur IP pourrait bien faire tomber les derniers bastions.

« Le marché de la téléphonie sur IP est le marché du dégroupage », résume Guillaume Lacroix, directeur technique de 9Telecom, expliquant : « Si notre offre n’arrive sur le marché que maintenant, c’est complètement lié au dégroupage. Il y a aujourd’hui 130 000 lignes dégroupées, alors qu’il n’y en avait pas il y a encore un an ».

Chez France Télécom, où une « Cellule voix sur IP » a été créée au début du mois d’octobre 2003, on admet qu’on réfléchit beaucoup, mais on ne souhaite pas communiquer sur le sujet. Des liaisons IP existeraient déjà « entre des commutateurs de niveau supérieur ».

Pour Michaël Boukobza, directeur général adjoint de Free, « la mutation des réseaux vers le tout IP est une évolution normale pour les opérateurs ». Quant à définir à qui appartient l’avenir de la téléphonie sur IP, Michaël Boukobza prêche pour sa paroisse : « Il est important d’être à la fois opérateur et fournisseur d’accès pour se positionner sur ce marché. Opérateur pour participer au dégroupage de la boucle locale. Fournisseur d’accès pour pouvoir développer l’offre vers le triple play«  (offre associant le web, la téléphonie sur IP et la télévision).

Sur ce point tout le monde est d’accord, la convergence vers le triple play, c’est l’avenir. Free annonce l’ouverture de l’offre à la télévision pour l’année 2004, tandis que 9Telecom prévoit de proposer ce service dès le mois de janvier. Dès décembre 2003, les habitants de Lyon pourront également tester l’offre « Télévision par Adsl » (Tpsl), proposée par France Télécom et TPS. Les opérateurs Adsl japonais ou encore l’Italien FastWeb, proposent déjà des services combinant téléphonie et télévision.

Un marché international et touffu

Reste à savoir qui seront les acteurs de ce marché à la croisée de plusieurs « mondes ». Opérateurs ? Fournisseurs d’accès ? Editeurs de logiciels ?

Pour Michaël Boukobza, ni Yahoo, ni Skype ne sont de réels concurrents : « Les opérateurs de messagerie instantanée peuvent tout à fait se positionner sur le marché français de la téléphonie de PC à PC. Néanmoins nous ne faisons pas le même métier ! Notre principal concurrent, c’est encore et toujours France Télécom ! ».

« Ce qui rend possible de nouveaux services, c’est l’accès direct au client. Aujourd’hui, la voix sur IP nous permet de contrôler le service téléphonique du client de bout en bout. Aux Etats-Unis, les opérateurs qui proposent ce type de services sont probablement détenteurs de réseaux locaux qui les placent dans la position de notre opérateur historique. Dès lors que l’équipement final nous appartient aussi, ces services sont appelés à se développer, et on y croit beaucoup ! », confirme Guillaume Lacroix.

Sur le marché américain, les opérateurs de messagerie instantanée semblent pourtant vouloir leur part du gâteau. Avec une première étape : établir une compatibilité entre les différents systèmes. C’est ainsi que AOL et Reuters annonçaient début septembre un accord de compatibilité effectif au premier trimestre 2004 entre leurs logiciels de messagerie Reuters Messaging et ses 50 000 usagers professionnels de la finance d’une part, ICQ et AIM et leurs 60 millions d’inscrits d’autre part. Pour David Gurle, vice-président de Reuters Messaging, pas de doute possible : « Microsoft, AOL et Yahoo sont les opérateurs téléphoniques du futur », confiait-il fin septembre au site Cnet News.com. (http://news.com.com/2008-1032-5081443.html)

Aux Etats-Unis et au Canada, certains opérateurs ont fait le choix de transformer leur réseau pour véhiculer la voix sous forme de paquets jusqu’à l’utilisateur final. C’est le cas du premier opérateur américain, AT&T, qui annonçait début septembre un investissement de trois milliards de dollars cette année, avec comme objectif de passer au tout IP à l’horizon 2005, tout en automatisant l’accès direct du consommateur final au réseau. Selon Hossein Eslambolchi, directeur du laboratoire AT&T, l’opérateur transporterait déjà environ huit fois plus de trafic IP que de trafic voix.

Aux Etats-Unis toujours, l’opérateur local Sprint (8,1 millions de lignes dans 18 Etats) a amorcé la mutation de son réseau, prévue pour durer de 12 à 15 ans, en partenariat avec Nortel Networks. Outre l’optimisation économique prévue, le passage à l’IP devrait permettre de dispenser de nouveaux services à leurs usagers comme la portabilité du numéro, la vidéophonie et la messagerie sur le web.

En Europe, Telecom Italia annonce également avoir commencé à basculer sous IP l’intégralité de la gestion du trafic téléphonique au coeur de son réseau. Selon son fournisseur Cisco, l’opérateur en attendrait une réduction des coûts d’exploitation de l’ordre des deux tiers.

Judith Bregman et Cyril Fievet

Entreprises : comment passer au tout IP ? Si la voix sur IP ne s’ouvre qu’aujourd’hui aux particuliers, cela fait déjà deux ans qu’elle s’est rendue indispensable à un nombre croissant d’entreprises. Difficile de prendre la mesure du marché ! Le cabinet d’études IDC prévoit néanmoins pour cette année une progression de 66 % de l’équipement des entreprises en matériel de voix sur IP. (http://www.journaldunet.com/printer/031015voipmarket.shtml)
Selon Forrester Research, passer à l’IP permet aux entreprises de réduire leurs coûts de communication d’environ 20 %. En contrepartie, cela suppose des investissements conséquents, puisque l’entreprise doit installer et exploiter un VPN (Vitual private network). Signe des temps : France Télécom a annoncé mi-octobre le lancement de son offre de VoIP e-Téléphonie. Destinée aux grandes entreprises pour des sites d’une centaine de postes maximum, cette offre permet de délocaliser le Pabx (central téléphonique privé) dans le serveur central de l’opérateur et demande moins d’investissements qu’une offre classique. (http://www.journaldunet.com/printer/031023voip.shtml)
Pour passer à la VoIP, deux solutions techniques sont actuellement possibles. La première, intermédiaire, consiste à connecter deux Pabx par un réseau interne. Il suffit pour cela d’ajouter une carte IP sur les Pabx existants. La seconde consiste à passer d’emblée au tout IP : cela demande des terminaux téléphoniques IP et un système de numérotation spécifique capable de faire le tri entre le trafic interne et externe.
En matière de codage et de restitution de la voix, le protocole H323 est toujours le seul à être disponible et stabilisé aujourd’hui, même s’il en existe plusieurs variantes non totalement compatibles entre elles. Des constructeurs comme Cisco ou Intel vendent déjà de nombreux produits utilisant ce protocole. Pourtant le protocole SIP, fondamentalement meilleur, est prêt et devrait trouver sa place. Il présente l’avantage de simplifier le basculement de la voix à la vidéo ou au mail, ainsi que les interopérabilités entre les différents terminaux.

Pour aller plus loin :

Quelques logiciels de messagerie instantanée (PC to PC) :
MSN Messenger : http://messenger.msn.fr
ICQ : http://www.icq.com
Netmeeting : http://microsoft.com/netmeeting
CuSeeMe : http://cuworld.com
Skype : http://www.skype.com

Comparatif des offres PC to phone : http://budgetelecom.com/newOne/Fixe/Operateurs/index.asp

Quelques opérateurs de téléphonie IP (phone to phone) :
Free (Freebox) : http://adsl.free.fr/tel/telephonie.html
9 Telecom (Tout 9) : http://www.9online.fr/offres/
Telecom Italia (Alice), http://www.aliceadsl.fr

Tout savoir sur le dégroupage : http://www.art-telecom.fr/dossiers/degroup/index-d.htm

Les interventions de la journée de Séminaire X/Aristote du 16 Octobre 2003 consacrée à la voix sur IP, « De la réalité d’aujourd’hui à celle de demain » : http://acanthe.saclay.cea.fr/sem/sem200310/index.htm

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