Internet et innovation : « innovation ascendante »

Dans le cadre de l’Université de printemps de la Fing qui s’est tenue à Aix-en-Provence les 8, 9 et 10 juin 2005, InternetActu.net vous propose une série de compte rendus synthétiques d’une sélection d’ateliers et de plénières. Pour nos lecteurs désirant aller plus loin, les enregistrements vidéos sont disponibles en ligne.

Nous ne reviendrons pas sur l’essentiel de ce qui a été échangé lors de cette plénière, l’interview que nous avons publié de Dominique Cardon il y a peu, faisant bien le point sur le sujet (la vidéo de la plénière est également disponible en ligne). Cependant, l’intervention de Frank Beau sur l’innovation par les utilisateurs dans les jeux en réseaux était particulièrement éclairante par les exemples qu’elle donnait.

La présentation de Frank a porté essentiellement sur les jeux « massivement multijoueurs », qui reposent sur des univers persistants représentés en trois dimensions. Il existe une centaine de jeux de ce type, dont une dizaine concentrent 80 % des joueurs. On estime le nombre de joueurs à 6 millions aux Etats-Unis et en Europe, 5 millions en Corée et 14 millions en Chine. L’un des objectifs de ce type de jeu est de faire évoluer son personnage selon un principe incrémental qui nécessite de tisser des alliances avec d’autres joueurs pour atteindre de nouveaux objectifs. Dans ces univers chronophages, on estime que les joueurs passent en moyenne 4 à 6 heures par jour à jouer (voir 10 à 18 heures pour les joueurs qui sont dans des logiques compétitives ou compulsives).

Dans ces univers virtuels, on constate l’apparition de deux phénomènes importants dans le cadre des interactions sociales entre les joueurs :

  • L’émergence d’une économie parallèle : les joueurs capitalisent leur temps passé à faire monter les compétences de leurs personnages et à amasser des objets collectés au cours de leurs périples, avant de les vendre – donnant naissance à un commerce qui n’a pas été prévu économiquement par les éditeurs (Edward Castronova, co-auteur du blog Terra Nova spécialisé sur ce sujet, estime ce commerce à plus d’un milliard de dollars). Les éditeurs réagissent différemment à ce développement sauvage : certains tentent de le réintégrer, d’autres le combattent, tandis que des sociétés telles qu’IGE se fondent sur ces échanges. Ce phénomène soulève ainsi des questions juridiques et économiques complexes et non résolues.
  • L’apparition d’une nouvelle race de productions audiovisuelles : dans des jeux tels que World of Warcraft de Blizzard, les joueurs utilisent des logiciels de capture vidéo (Fraps par exemple) pour enregistrer leurs sessions de jeux, leurs aventures… Au-delà de cette dimension « documentaire », certains commencent à monter leurs séquences, voire à « tourner » à partir de scénarios préécrits, avec d’autres joueurs recrutés comme acteurs et figurants. De véritables petits courts métrages apparaissent ainsi. Les univers persistants donnent lieu à de nouveaux usages multimédias (Frank Beau parle de Craftware, pour désigner cette construction « artisanale » de logiciels et de contenus) qui disent quelque chose de la manière dont les usagers s’approprient ces univers… De nombreux exemples sont à regarder notamment sur les sites HacProd ou sur WarCraftMovies. Aujourd’hui bricolés, qui sait si demain, ils ne donneront pas lieu à un nouveau type de production audiovisuelle…

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