Le « manuel pour la civilisation » peut-il devenir numérique ?

Nous avons déjà présenté dans nos colonnes le « manuel pour la civilisation », un projet lancé par Stewart Brand et sa Fondation du « Long Now » : l’idée est de constituer une bibliographie d’ouvrages fondamentaux qui permettraient éventuellement de sauvegarder le savoir humain indispensable et donc de « redémarrer » une civilisation sur de bonnes bases si la nécessité s’en faisait sentir.

A l’époque où nous écrivions notre article, seuls un petit groupe d’auteurs avaient apporté leur contribution au manuel. Depuis, de nombreuses autres participations se sont ajoutées. Mais pour quels lecteurs ? Jusqu’ici, le manuel existait uniquement « dans la vie réelle », situé sur les étagères de The Interval, un bar-musée-bibliothèque de San Francisco, quartier général public de la Fondation. Ce qui, reconnaît Ahmed Kabil dans un récent post du blog du Long Now, limitait la consultation aux habitants de la région.

C’est pourquoi, annonce-t-il, la Fondation a décidé de passer au numérique et de rendre le « manuel de la civilisation » disponible partout et pour tous. L’organisation a passé un accord avec archive.org pour scanner et mettre à disposition les livres sélectionnés (je serai curieux de voir comment seront réglés les problèmes de copyright, parce que bon nombre des ouvrages en question ont été publiés récemment).

Aujourd’hui, les curateurs du manuel ont reçu 2500 propositions de livres à inclure dans la bibliothèque. Parmi celles-ci, 1400 ont été retenues pour faire partie de la collection finale. 1007 ouvrages sont physiquement stockés à The Interval, et une liste de 861 livres ont été catalogués en ligne. La Fondation espère au final recueillir environ 5000 suggestions, pour en garder environ 3500.

L’article de Kabil fait également le point sur les difficultés liées au choix des textes à conserver. Comment éviter les biais culturels, sexistes ou ethniques ?… Et de donner l’exemple d’un membre de la Fondation, Maria Popova, qui avait noté que la liste soumise par Stewart Brand était très largement le produit de la réflexion d’hommes blancs, et que les femmes et les autres cultures étaient totalement sous-représentées. Maria Popova a depuis suggéré sa propre liste afin de rétablir un équilibre, mais, avoue-t-elle, ce n’est pas si simple : « Si nous prenons, par exemple, le «problème des femmes» – pour paraphraser Margaret Atwood – alors qu’en est-il des femmes noires ? Des femmes noires queer ? Des femmes queer non-occidentales noires ? Des femmes queer non-anglophones, non-occidentales et noires ? Des femmes queer non-anglophones, non occidentales, noires mais avec des origines juives ?… Et ainsi de suite. A cause de cette progression fractale infinie, aucune tentative de représenter la diversité ne peut être achevée – particulièrement sous la forme d’une liste d’une trentaine d’éléments. »

Pour Kabil ce genre de problématique doit être reconnu et largement discuté. « Au final, conclut-il, nous croyons que la conversation sur la manière dont se constitue le manuel deviendra aussi riche et intéressante que le manuel lui-même ».

À lire aussi sur internetactu.net