Les trolls de la droite alternative américaine n’ont pas de pouvoirs magiques

Affirmer que les trolls de la droite alternative américaine sur le net ont été un facteur déterminant de la victoire de Trump minimise les tendances qui ont amplifié leur influence, soulignent Jessica Beyer (@jibeyer), Gabriella Coleman @biellacoleman) et Whitney Philipps (@wphillips49, auteure notamment d’un livre sur les rapports entre la culture mainstream et les trolls en ligne), spécialistes des trolls studies, dans MotherBoard. Si les trolls ont un héritage culturel homogène, ils demeurent un groupe totalement hétérogène, allant de blagueurs inoffensifs à des agresseurs impitoyables. La droite alternative américaine n’a pas métastasé le trolling, rappellent les chercheuses. Si les trolls de la droite alternative ont inondé les médias sociaux de mèmes et ont contribué à participer à l’élan global que rencontrait la campagne de Trump, affirmer qu’ils ont été un facteur décisif de sa victoire, c’est minimiser bien d’autres tendances culturelles, sociétales et médiatiques. La couverture médiatique a amplifié leurs messages et l’utilisation par Trump lui-même de ces messages a renforcé ces effets, rappellent-elles.

Dans une remarquable étude publiée par la Columbia Journalism Review analysant quel que 1,2 million d’histoires publiées par plus de 25 000 sources durant les élections, les chercheurs Yochai Benkler (@ybenkler), Robert Faris, Hal Roberts (@cyberhalroberts) et Ethan Zuckerman (@ethanz) expliquent que durant la campagne présidentielle américaine, un réseau médiatique de droite, autour de Breitbart, s’est développé comme un système médiatique distinct et isolé, utilisant les médias sociaux pour diffuser une perspective hyper-partisane du monde.

Cette sphère multimédia pro-Trump a réussi à modifier l’ordre du jour des médias conservateurs, mais a également fortement influencé l’agenda des médias traditionnels. Pour les chercheurs, la polarisation s’est avérée d’autant plus asymétrique, que les médias de la droite alternative ont attaqué les autres médias notamment en pratiquant la désinformation. Durant l’élection, le système médiatique de droite s’est transformé en une communauté cohérente et isolée, expliquent-ils, renforçant sa vision du monde et la protégeant de toute parole la contestant.

Pour les chercheurs, l’asymétrie de la polarisation montre que l’internet n’est pas ce qui fragmente et polarise les opinions, sinon on verrait poindre une symétrie des motifs. Les dynamiques internes à la droite et à la gauche ont conduit à des modèles de réception et d’utilisation différente d’internet : à droite, Facebook et Twitter ont permis de contourner la puissance des chiens de garde que représentent les médias traditionnels. « Le fait que ces schémas asymétriques d’attention soient similaires sur Twitter et Facebook suggère que les choix humains et les campagnes politiques – et non les algorithmes de ces entreprises – étaient responsables des modèles que nous observons. Ces modèles pourraient être le résultat d’une campagne coordonnée, mais ils pourraient aussi être une propriété émergente du comportement décentralisé ou une combinaison des deux. Nos données à ce point ne peuvent pas faire la distinction entre ces deux alternatives », confient avec modestie les chercheurs.


Image : les sources des articles partagés sur Twitter durant les élections américaines (la taille des noeuds est relative à la proportion des partages sur Facebook).

En fait, peu de sites non partisans ont attiré l’attention. Contrairement à la droite, la gauche américaine n’a pas connu une augmentation de sites ou de niveaux d’attention partisans. « L’explication principale de cette polarisation asymétrique est plus vraisemblablement politique et culturelle que technologique », insistent-ils. Nombre des sites d’information de la droite radicale américaine sont nouveaux : Fox News est né en 1996, Breitbart en 2007 et la plupart des sites de droite qui composent ce nouveau paysage informationnel ont été créés plus tard encore. L’attaque hyper-partisane de ces sites a commencé dès la primaire américaine et les candidats de la primaire républicaine, comme Fox News, son principal média, ont été la cible régulière d’attaques en délégitimation. Après la primaire, les médias alternatifs de droite s’en sont pris à tous les médias traditionnels. L’étude souligne combien la campagne de Trump est entrée en résonnance avec ces médias notamment en se concentrant sur le thème de l’immigration, via un réseau de sites hyper-partisans se renforçant mutuellement.

Pour les chercheurs, plus que de propagande ou de désinformation, les fake-news, c’est-à-dire la publication d’information délibérément fausse, se sont autorenforcées par leur répétition et leur circulation, donnant aux récits communs qui en émergeait une incroyable crédibilité et familiarité. Leur puissance est venue d’un mélange de mensonges répétitifs, de logique paranoïaque et d’une orientation politique cohérente au sein d’un réseau de sites semblables se renforçant mutuellement. « L’utilisation de la désinformation par des médias partisans n’est ni nouvelle ni limitée à la droite, mais l’isolement des médias de droite partisans des médias journalistiques traditionnels et la véhémence de leurs attaques contre le journalisme traditionnel faisant cause commune avec le discours de Trump, a été un phénomène nouveau et distinctif. »

Pour les chercheurs, l’enjeu à venir est de reconstruire une base sur laquelle les Américains peuvent retrouver une croyance partagée sur l’actualité, concluent-ils. Les données montrent que la plupart des Américains, y compris ceux qui accèdent aux nouvelles via les réseaux sociaux, continuent d’accorder de l’attention aux médias traditionnels en les comparant avec ce qu’ils lisent sur les sites partisans. Pour les chercheurs, les médias ne doivent pas chercher à développer des contenus viraux pour rivaliser avec les médias partisans, mais comprendre qu’ils évoluent désormais dans un environnement de propagande et de désinformation.

MAJ : Une autre étude (.pdf) signée Levi Boxell, Matthew Gentzkow et Jesse Shapiro, analysée par Will Oremus sur Slate.fr va dans le même sens : la polarisation est principalement présente chez les groupes démographiques qui passent le moins de temps sur internet.

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