Michel Feher : les nouveaux enjeux de la question sociale

Pour Mediapart, Christian Salmon livre une remarquable interview du philosophe Michel Feher qui publie Le Temps des investis, un livre qui invite à réorganiser les luttes sociales en fonction du déplacement du capitalisme vers les marchés financiers. Pour Michel Feher, la financiarisation de l’économie nécessite de repenser la lutte contre le capitalisme et de repenser les enjeux des conflits de classe, qui se déplacent du marché du travail au marché des capitaux.

Nous sommes en train de passer de l’exploitation du travail à l’exploitation du capital, estime Michel Feher. « La stagnation des salaires et la compression des budgets sociaux qui caractérisent notre époque s’expliquent avant tout par l’emprise du capital financier sur les entreprises privées et les États. » Nous sommes passés de l’extraction du profit à l’allocation du crédit. Les protagonistes principaux ne sont plus les employeurs et les employés, mais bien les investisseurs et les « investis » qui sollicitent leurs largesses (les investis, précise-t-il ne sont pas seulement les individus en quête de crédit, mais également les individus « ubérisés » dont le sort dépend des évaluations de son « capital relationnel »). Désormais, nous sommes incités à mener nos vies comme on dirige une entreprise.

« En empruntant pour accéder à la propriété immobilière, en souscrivant une assurance maladie auprès d’un organisme privé ou encore en confiant leur retraite à un fonds de pension, même les individus qui ne sont pas entrepreneurs de profession sont censés apprendre à se conduire comme tels. Comme l’écrit l’ordolibéral Wilhelm Röpke, il s’agit de « déprolétariser » les salariés en les dotant d’une mentalité d’entrepreneur.

Des individus à la recherche du meilleur crédit pour faire valoir leurs maigres capitaux, en passant par les entreprises qui cherchent à optimiser à court terme le cours de leurs actions, en passant par les gouvernements qui cherchent à conforter la confiance des marchés dans leur dette, le monde est devenu financier. Nous sommes passés du marché du travail au marché des capitaux, du produit au projet et de la négociation fixant le prix du travail à la spéculation sur la crédibilité d’un projet.

Pour Michel Feher, « une autre spéculation est possible ! » faite par exemple d’agences de notation citoyennes. Pour lui, les « investis » doivent se former aux techniques de spéculation dont les investisseurs tirent leur hégémonie, « d’apprendre à spéculer pour leur compte, de manière à modifier les conditions d’allocation du crédit ». Pour Michel Feher, il existe déjà de nombreux exemples de contre-spéculations militantes : allant des travaux d’Attac, aux publications de révélations provenant des lanceurs d’alerte sur l’irresponsabilité sociale, financière ou environnementale des entreprises, campagnes de boycott, collectifs d’endettés, contre-expertises sur les dettes publiques, agences de notation alternatives (pour déprécier des projets nocifs et apprécier des projets alternatifs)…

Michel Feher invite à imaginer le modèle organisationnel pour cristalliser ces luttes et les outils pour évaluer en continu et d’une manière alternative et démocratique ces politiques. En nous invitant à déplacer le regard des luttes locales du travail aux luttes globales de la financiarisation, Michel Feher pointe le besoin de construire des alternatives pour observer et déconstruire l’optimisation financière du monde. Férocement intéressant !

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