Sur son blog, le spécialiste en marketing, Christophe Benavent (@benavent), auteur de Plateformes, revient sur la rencontre City2City organisée en mai à Amsterdam, qui discutait de l’irruption des plateformes de services dans les villes européennes, notamment en matière de logement, de tourisme et de transport.

Plusieurs représentants de métropoles étaient présents pour discuter de l’impact de l’économie collaborative, notamment d’Uber et de Airbnb, sur les villes. Christophe Bénavent nous rappelle que toutes les villes ne vivent pas la confrontation de la même façon, notamment parce que toutes sont dans des situations différentes. « Toutes partagent le sentiment de devoir réguler », mais toutes n’ont pas les mêmes outils pour se faire (certaines villes ont d’ailleurs très peu de marges de manoeuvre réglementaires). Pour le spécialiste du marketing, la régulation est un réflexe, mais risque de n’être qu’un pansement sur une jambe de bois, et ce alors que les plateformes entendent désormais devenir des acteurs des politiques publiques, représentants des citoyens à qui ils fournissent services et revenus. Pour lui, la solution est à trouver dans le développement d’un dialogue, dans la construction d’un espace de délibération entre tous les acteurs. L’hébergement de courte durée répond à plusieurs critères allant du degré de contrôle des autorités aux conditions d’occupation en passant par la durée de location totale ou consécutive aux délimitations territoriales… Et tout l’enjeu consiste à circonscrire ces nouvelles catégorisations pour délimiter de ce dont on parle et comment on régule.

En attendant que les villes trouvent des modalités de régulation, on commence à voir poindre d’autres approches : la délégation de service public à ces nouveaux acteurs. C’est l’histoire que raconte Spencer Woodman sur TheVerge. Pendant plus de 10 ans, la petite ville d’Altamonte Springs en Floride a tenté de développer une solution de bus à la demande pour assurer son transport public, sans succès. L’administrateur de la ville a récemment décidé d’appeler Uber. Il n’est pas le seul. De nombreuses villes américaines ont signé des accords avec Uber, Lyft ou Google (et son programme Sidewalk Labs). Il faut dire que beaucoup de villes bataillent pour parvenir à financer leurs services de transports dont le prix est souvent prohibitif sans que leur utilisation soit suffisante, notamment dans les villes étendues ou à faible densité. A Washington DC, la ville a même proposé à Uber de pouvoir répondre à certains appels aux urgences pour transporter certains patients.

uberville

Bien évidemment, ces perspectives posent des questions de fond sur l’équité, l’accessibilité ou la transparence des services publics. A Altamonte, le programme pilote mis en place avec Uber est inaccessible à ceux qui n’ont ni smartphone ni carte de crédit (c’est-à-dire les plus pauvres, ceux qui bénéficient potentiellement le plus du transport public). Pire, si ces programmes réussissent, s’inquiètent leurs détracteurs, ils pourraient conduire à une baisse du trafic voir du financement du transport public en commun (même si visiblement, les études ne sont pas aussi pessimistes). Si Uber et autres se présentaient jusqu’à présent comme une solution complémentaire aux programmes de transport, la possibilité qu’ils puissent demain les remplacer n’est plus inenvisageable, s’ils se mettent à bénéficier de subventions publiques (l’accord entre Uber et la ville d’Altamonte évoque une subvention de l’ordre de 20 % à 25 % sur le prix des courses – notamment pour celles qui se dirigent vers les gares -, ce qui devrait coûter environ 1 million de dollar à la ville par an) ! Pour le responsable de la ville d’Altamonte, le transport public n’est pas une question d’infrastructure, mais de commodité et de contrôle.

Lancée depuis le 4 mars 2016, l’offre de transport subventionnée via Uber a visiblement remporté un grand succès. De partout, des fonctionnaires d’autres villes américaines viennent aux informations pour reproduire la formule de partenariat. Outre les gens qui n’ont pas de smartphone ou de carte de crédit, cette offre subventionnée ne fournit pas de services pour les personnes handicapées. Dans un monde de transports en commun ubérisé, tout l’enjeu est encore de savoir comment faire remplir des missions de services publics… alors que la compagnie de taxi locale, elle, doit respecter une obligation de transport des personnes handicapées…

Bien sûr, Uber espère que son service sera bientôt accessible à tous : la firme expérimente des flottes accessibles en fauteuil roulant et teste des services de répartition d’appel de clients à faibles revenus. Pour le responsable de la ville, pour l’instant, ces personnes ont des solutions de rechange, comme les bus qui circulent encore. Autre problème soulevé encore par l’article : le secret de la convention passée avec Uber et la non-mise à disposition aux autorités des données collectées par Uber, qui empêche à certains endroits une évaluation du service (notamment pour savoir s’il bénéficie à toute la communauté ou seulement à une partie) ou la mise à disponibilité de ces informations au public.

Ce qui est sûr, c’est que la perspective que Uber puisse devenir un fournisseur de service public s’apprête plus à ouvrir de nouvelles querelles qu’à les apaiser.

MAJ : Le Monde Diplo vient de traduire une tribune d’Evgeny Morozov qui revient sur les limites du développement de services publics par des startups. Confierons-nous demain les transports publics à Uber ? Les logements sociaux à Airbnb ? Ses parkings à Google ?

« Tout a commencé avec l’essor de programmes dits « intelligents », un euphémisme pour « privatisé ». Des villes intelligentes aux soins intelligents aux personnes âgées, tous promettent de pallier les déficiences d’un secteur public affaibli au moyen de gadgets privés à moindre coût. (…) La prestation de biens et de services essentiels, autrefois chasse gardée de l’État-providence et des autorités locales, se soumet aux caprices des grandes entreprises et de leurs modèles économiques. » Or, rappelle Morozov, les entreprises technologiques ne savent pas plus que l’Etat prédire leurs échecs. Le modèle de service public que proposent les startups semble bien précaire. « L’État-providence par les entreprises reste certainement providentiel, mais uniquement pour elles. »

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