Réguler la médecine personnalisée ?

L’Institut de recherche Data&Society (@datasociety) vient de publier un très intéressant rapport sur la médecine personnalisée (qu’aux Etats-Unis on appelle plutôt precision medecine), cette médecine qui utilise des moyens de modélisation individuelle, de prévention personnalisée, basées sur des données, de l’analyse moléculaire ou génétique. Pour Kadija Ferryman (@kadijaferryman) et Mikaela Pitcan (@mikaelapitcan), les chercheuses qui ont rédigé ce rapport sur l’équité dans la médecine personnalisée, la perspective de cette nouvelle médecine crée une tension entre responsabilité individuelle et intervention systémique.

L’un des principaux risques que pointe le rapport porte sur la partialité et la discrimination : comme le souligne la Technology Review, certains groupes sociaux risquent d’être moins bien lotis que d’autres lorsque les médicaments et les traitements seront adaptés sur mesure. Les chercheuses soulignent par exemple que nous ne sommes pas tous égaux face aux données de santé : aux Etats-Unis, à quelles données comparera-t-on les non assurés par exemple ou ceux qui ne consultent pas régulièrement de médecins, c’est-à-dire les pauvres et les jeunes notamment ? L’un des risques que pointent les chercheuses est que cette médecine personnalisée profite d’abord aux élites urbaines, ceux qui sont actifs physiquement, ceux qui utilisent des outils pour capter leurs données de santé… En fait, les données de recherche médicale sont intrinsèquement biaisée rappellent-elles, au détriment des femmes et des minorités : les médecins connaissent ainsi les maladies cardiovasculaires depuis des recherches qui concernent surtout les hommes. Les chercheuses s’inquiètent aussi des capacités discriminatoires de ces outils, qui risquent de marginaliser encore plus certains au détriment d’autres. Enfin, la médecine personnalisée produit des recommandations plus adaptées à ceux qui sont plus capables de prendre en charge leur santé. Comment adapter l’information de santé à ceux sans ressources, à ceux qui sont déjà en mauvaise santé, afin que l’information ne soit pas intrusive, accablante, voire confuse ?

Sur le blog de Data&Society, Mikaela Pitcan prend l’exemple de la compréhension du risque génétique. L’information génétique que peut délivrer un service comme 23andMe, indique en effet sur un certain nombre de marqueurs, des taux de risques de développer certaines maladies ou certaines sensibilités (en fait cette pratique a été interdite avant d’être à nouveau autorisé récemment). Or, pour l’utilisateur qui se retrouve confronté à ses résultats, force est de constater qu’en prendre connaissance n’est pas si simple.

Sur BuzzFeed, Jessica Furseth par exemple a raconté combien elle avait paniqué, suite à un test génétique, quand elle a appris qu’elle courait un risque accru de développer un cancer du côlon au cours de sa vie. Le fait de savoir a développé un sentiment de fragilité : « elle avait l’impression que son corps n’était plus sous son contrôle ». L’un des objectifs de la médecine personnalisée est de donner aux gens des informations de santé personnalisées, mais cette promesse oublie de traiter l’impact de cette information. Or, l’information ne conduit pas toujours à l’action, comme à prendre soin de soi quand on apprend qu’on est plus susceptible que la moyenne de développer un diabète. Parfois, elle mène seulement à un sentiment accru de vulnérabilité.

Le fait de demander aux patients s’ils veulent savoir ou pas n’est pourtant pas toujours si évident à pratiquer, rappelle le spécialiste de bioéthique Benjamin Berkman dans un article sur le sujet : la difficulté à comprendre les formulaires de consentement, la difficulté à saisir l’information génomique et ce que signifie le fait de courir un risque accru, ou les changements de préférence du patient au fil du temps, sont autant d’éléments qui rendent ces questions sensibles. Comme le soulignait une étude de la fédération hospitalo-universitaire et de recherche Mayo Clinic : « les individus trouvent qu’on leur demande de gérer directement les informations disponibles sans nécessairement comprendre leur véritable signification ». Pour ces auteurs, la fourniture de résultats à des tests génétiques devrait elle aussi s’adapter au profil des utilisateurs. On sait, dans la publicité par exemple, que les messages très personnalisés sont perçus comme très intrusifs par les gens et que leur intention persuasive génère des sentiments de vulnérabilité. Le problème, pointe encore Mikaela Pitcan, est que les résultats de ce type de tests passent de plus en plus rarement par la médiation d’un professionnel de santé. Or, souligne-t-elle, réintroduire une médiation est essentiel. Pour la chercheuse, il est également nécessaire de travailler à comprendre pourquoi ce type d’information agit différemment sur les gens, en comprenant ce qui augmente le risque de détresse (comme un antécédent d’anxiété ou des facteurs de stress externe au test).

Dans un autre article, Kadija Ferryman rappelle l’importance que prennent les données de santé via nombre de programmes de recherche dédiés comme All of Us (qui prévoit notamment d’utiliser les données des dispositifs sportifs accessibles via les applications de nos smartphone et de nos appareils connectés), Baseline, Human… qui visent à accélérer la découverte médicale. Cela implique bien sûr de réguler la collecte et le traitement de ces données. La question de la sécurité et de la confidentialité des dispositifs médicaux va s’élargir à mesure que la collecte de données de santé via de nouveaux dispositifs va elle-même s’élargir, annonce la chercheuse. Dans les conclusions de leur rapport, les chercheuses soulignent enfin que malgré son potentiel, la médecine personnalisée pourrait ne pas tenir toutes ses promesses. Mais, elles remarquent que les préoccupations portent plus sur les obstacles à la réalisation de cette médecine, et notamment les biais intrinsèques des données, qu’à une critique de ses objectifs.

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